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Sousa Sara

Le passé n'oublie pas

 

 

Chapitre 1

*Flashback 1999*

« J'y vais, Maman, bisous Papa ! », avait crié la petite fille en se dépêchant de sortir de chez elle pour aller en classe. Elle venait d'avoir six ans la veille et était enthousiaste de voir ses amies pour le leur annoncer. Comme elle habitait juste à quelques pas de son école primaire, elle y était partie en courant, avec, tout contre elle,  l’ourson qu'elle venait de recevoir. Elle était si fière de ce cadeau qu’elle avait exigé que sa mère couse son nom dessus. Mais voilà qu’en plein milieu de sa course, elle était tombée sur le trottoir. Elle s'était assise en observant ses genoux et ses mains en sang qui commençaient à lui faire affreusement mal. Des larmes sales lui brouillaient la vue. Elle avait désespérément essayé d'appeler sa mère, mais sa voix était trop faible pour que ses parents puissent l’entendre.

Alors que les douleurs s’estompaient, un homme était apparu dans la rue. Il l’avait vue et avait commencé à marcher vers elle. La petite avait peur, mais elle était trop jeune pour reconnaître le danger et elle avait laissé sa naïveté prendre le dessus.

L'homme s’était baissé à sa hauteur, sans parler. Il avait plongé son regard vert sombre dans celui de l’enfant, puis tendu la main vers son visage. Par réflexe, elle avait fermé les yeux, pensant qu'il allait lui faire quelque chose. Mais il s’était contenté de sécher ses larmes avec son pouce.

Elle avait doucement ouvert les yeux pour observer l'inconnu : cheveux longs brun foncé avec quelques mèches grises, une petite barbe. Il semblait si jeune … mais ces quelques cheveux gris disaient le contraire.

Il avait pris le temps de regarder ses égratignures, avait passé son pouce sur la blessure du genou, puis l’avait prise dans ses bras pour l’emporter. Elle ne savait pas où il l'emmenait, elle n'y pensait pas, elle était fatiguée. Petit à petit ses yeux s’étaient fermés et elle s’était endormie.

Quand elle s’était réveillée, elle avait commencé à pleurer et à crier : la chambre où elle se trouvait était dans le noir complet. Au loin, elle avait entrevu une lueur, comme une porte qui venait de s'ouvrir, puis une lumière s'était allumée. Deux têtes avaient alors surgi au-dessus de son visage, mais les larmes l'empêchaient de reconnaître ces personnes. Quand elle avait entendu la voix connue et apaisante, elle s’était arrêtée de crier. Sa maman ! Elle se tenait là, le visage crispé d'inquiétude. La petite avait continué de pleurer, mais de soulagement. Son papa l’avait ensuite prise dans ses bras protecteurs et lui avait doucement caressé le dos, murmurant un doux « chut » en lui assurant que tout allait bien.

Il faisait clair dehors, ce qui signifiait qu’il n’était pas tard. Elle avait demandé à ses parents ce qu'il s'était passé mais la mère lui avait seulement répondu qu'elle l’avait laissée dormir car elle paraissait malade. La fillette, pleine de confiance, s’était contentée de cette réponse.

Ses parents l’avaient embrassée en la laissant dans sa chambre. Elle avait essayé de dormir car elle se sentait fatiguée quand soudain, elle avait senti une douleur au genou. Elle avait enlevé son pantalon mais n’avait rien vu, si ce n’était une petite marque violette. Sans y prêter attention, elle avait fermé les paupières. Mais comme le sommeil tardait à venir, elle avait eu l'envie de prendre l’ours en peluche qu’elle avait reçu pour son anniversaire : ne le trouvant nulle part, déçue,  elle en avait pris un autre à contrecœur et s’était finalement endormie.

Était-ce seulement un rêve ?
 

Chapitre 2

*Flashback 2007*

Mes quatorze ans, enfin ! Le temps est passé tellement vite ! Je ne sais toujours pas ce qu’il y a eu il y a sept ans, à mon anniversaire ; mes parents disent que ça devait être un mauvais rêve. Mais je ne le crois pas, cela ne peut pas être possible, c'était tellement réel, sa façon de me regarder, son regard d’un vert si sombre, tel une forêt, non… J'ai essayé de l'oublier, cet évènement, mais ce n'était pas facile. Je ne l'ai jamais revu depuis, cet homme, comme si ce n'était vraiment que le fruit de mon imagination.

Chaque fois que je marche vers l'école, je fixe les alentours, je veux savoir la vérité, je ne veux pas me persuader que c'était un rêve, non. Je sais que c'est stupide car c’était il y a sept ans, ça fait un bail, et puis je suis en parfaite santé. Mais il y a quelque chose qui me hante jour et nuit. Je ne cesse d’y penser. Ce regard intense me procure des frissons. J'ai comme un mauvais pressentiment.

Mes parents disent que ce n'est rien, ils m’ont souvent demandé pourquoi je ne l’oubliais pas, tout simplement. Je ne pouvais et je ne voulais pas. Alors j'ai simplement arrêté de leur en parler, je me suis renfermée sur moi-même. C'est comme si cet incident ou bien ce "rêve" m'avait changée. 

J'avais beaucoup d'amies, mais quand j'ai commencé à avoir peur de sortir de chez moi, elles ont commencé à penser que j'étais folle. Je ne leur en voulais pas, ça ne me faisait rien d'être seule, ça m'apaisait.

Bien sûr, mon anniversaire retombe sur un jour d’école. Je me suis vite habillée de mon uniforme bleu, j’ai pris une pomme, j’ai salué mes parents et je suis partie vers le lycée avec mes écouteurs sur mes oreilles. Il faisait beau ce jour-là, quelques nuages flottaient dans le ciel, c'était éblouissant.

Quand je suis arrivée devant le bâtiment que je haïssais plus que tout, j’ai consulté ma montre et j’ai réalisé qu’il était encore trop tôt pour le début des cours. Je me suis alors installée sur un banc, un peu à l’écart,  et j’ai pris un livre de mon sac. J’ai jeté un coup d’œil autour de moi, j’ai vu les oiseaux voler, j’ai souri, puis me suis concentrée sur ma lecture.

J’ai terminé mon chapitre, il me restait encore un peu de temps avant que les cours ne commencent, alors je me suis adossée au banc et j’ai observé le ciel, les nuages qui bougeaient rapidement mais d'une manière si... structurée. Comme si toutes les pièces d’un puzzle se réunissaient. C'est à ce moment que j’ai pris conscience que je n’étais pas seule : quelqu'un était aussi assis à côté de moi. C'était bizarre car tout le monde savait que c’était ma place habituelle, et personne ne souhaitait se rapprocher de « l’intello ».

J’ai jeté alors un regard à l’inconnu ; il lisait un livre. Ses cheveux bouclés tombaient sur ses épaules, sa peau avait un teint clair et de captivantes lèvres charnues. Il était beau, même magnifique. Je croyais l’avoir déjà vu quelques fois dans les couloirs de mon école, mais je n'avais jamais vraiment prêté attention à lui, ni à personne d’autre d’ailleurs, pour être franche.

J’ai cru qu'il avait remarqué que je l’observais, car il a commencé à rougir et à bouger la jambe. J’ai pris mon sac, tête baissée, pour me diriger vers le bâtiment, m’enfiler dans le couloir vers mon casier, afin de prendre tout mon matériel pour la journée. En m’emparant de mon livre d'histoire, j’ai vu un petit papier bleu qui a attiré mon attention, je l’ai pris et j’ai été surprise d’y lire « Joyeux anniversaire Alaina ».

En cours, je repensais au petit mot qu'un inconnu m'avait laissé, je ne m'en remettais pas : personne ne m'appréciait ou semblait conscient de mon existence, personne ne savait la date de mon anniversaire, alors qui pouvait-ce être ? Sûrement une mauvaise blague. Mais quand j’ai mis le petit papier dans ma trousse, quelque chose a attiré mon intention.

 L'inconnu avait signé « A.W ».

 

Chapitre 3

*flashback 2009*

J'ai dû changer d'école. J'ai dû le faire car mes camarades trouvaient drôle de me harceler. Je ne sais pas pourquoi. Pourtant, je faisais ce que ma mère disait. J'étais toujours polie, souriante, discrète, ne voulant pas me mêler de la vie des autres ou être mêlée à leurs problèmes.

Mais eux me traitaient de tous ces noms dégradants. Je voulais tellement être forte, avoir des amis, m'amuser. Mais non. Non. Ils ne prenaient pas le temps de me parler.  Non. Ils jugeaient.

Je sentais souvent le regard du bouclé sur moi. On ne le remarquait pas, il était tellement discret. Un matin, j'étais assise sur « mon banc » en train de lire et je ne l'ai même pas vu venir s'asseoir à côté de moi, je crois que, proche comme il était, il a même lu avec moi ! J’étais tellement passionnée par ma lecture, et lui, tellement discret ! Car il est invisible, indécelable comme un fantôme.

Depuis ce jour, quelque chose a changé : « mon banc » est devenu notre lieu de rendez-vous tacite. On n’a jamais échangé une parole. On se tenait là, côte à côte. Nous n’avions pas besoin de mots.

 Parfois, il était lui aussi plongé dans un livre, d’autres fois, il observait simplement le ciel. Souvent, il se tenait près de moi et nous partagions ma lecture.

Un jour pourtant, il m’a fixée. J'ai sûrement dû rougir. Je sentais mon cœur battre à tout rompre, mes mains tremblaient légèrement. Je me sentais extrêmement gênée. Je ne respirais quasiment plus. Ses yeux me rappelaient quelque chose.

Quelque chose que je voulais tellement oublier. J'ai croisé son regard une fois. On ne s'est regardés que quelques secondes, mais pour moi, c'était comme des heures. Depuis ce jour, je n'avais plus ce sentiment en moi. Qui me faisait mal. Ce vide ? Oui, voilà vide. Je ne me sentais plus seule. J'ai souri. J'ai souri comme jamais. Je me suis mise à écouter ma chanson préférée et j'ai souri. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai souri de tout mon cœur.

Et, comme si j'étais vraiment condamnée à être seule, mes parents ont décidé de me faire changer d'établissement ! La première chose qui m'est venue en tête était le charmant inconnu. Je ne voulais pas changer d'environnement, je ne voulais pas me sentir isolée à nouveau. Mais mes parents trouvaient que c'était la meilleure solution. Pour eux, évidemment. Ils n'avaient pas envie d'avoir une fille dépressive chez eux. Ils n'avaient pas envie de se faire de soucis. Ils voulaient me voir faire des efforts pour recommencer à zéro. Après tout, je n'avais rien à perdre, n'est-ce pas ?

Le lendemain j'ai pris la décision d'aller une dernière fois à mon école, uniquement pour l’inconnu bouclé. Je voulais lui dire que j'allais déménager. Pour mon plus grand malheur, il était absent ce jour-là. J’ai voulu pleurer. Je me sentais vide, comme si je perdais quelque chose de précieux. Je regrettais tellement de ne pas avoir eu le courage de lui parler plus tôt, je me sentais tellement idiote.

Je n’allais jamais le revoir.

Jamais.

 

Chapitre 4

Cela va faire quatre jours que je suis dans cette nouvelle ville. Mes parents ont acheté une maison gigantesque : pour seulement trois personnes, il y a quatre chambres, trois salles de bain et puis le reste. Cela m’intéresse peu, le seul endroit qui me plaît est le grenier, ni poussiéreux et vieux, mais lumineux et immense. Il y a une grande fenêtre qui a une vue sur le champ derrière ma maison. Il y a aussi un petit balcon. La vue d’ensemble est absolument pittoresque !

La ville est très silencieuse, j’ai l’impression que tout le monde se connaît ici, c’est pour cela que je ne m’y sens pas à l’aise. Mais je vais devoir m’y faire.

Je ne suis pas encore allée à l’école car je suis arrivée un jeudi et, avec tout le bouleversement du déménagement, je suis restée chez moi, mais demain je vais devoir y aller. Je me sens déjà nauséeuse. Depuis que je suis ici, je n’arrête pas de penser au bouclé avec ses iris verts et ses lèvres pulpeuses.

« - Alaina ! » Je descends pour voir ce que ma mère veut.

 « -Chérie, il y a les voisins qui sont passés nous dire bonjour. »

« -Ils nous ont invités pour dîner chez eux ce soir. » La voix de mon père surgit de derrière.

« -Les voisins d’en face y seront aussi. Les Bowers ont un garçon de dix-huit ans et un de six ans, et la voisine d’en face n’a qu’une fille de dix-sept ans », a précisé ma mère à son tour.

Super…

« -Tu vas sûrement bien t’entendre avec eux, ils vont à la même école que toi, alors sois gentille », a ajouté mon père.

Bien sûr.

« - A quelle heure ? », ai-je demandé calmement.

« -Sois prête pour 7.30h, ma chérie », a lancé ma mère en me claquant un bisou sur la joue.

Mes vêtements. Où sont passés mes ‘tain de vêtements ?! Ah oui ! Dans le carton qui attend d’être déballé. Pfiou !

Je crois que mes poumons ignorent comment dire à mon cerveau de pomper pour que du CO² entre et du dioxyde de carbone sorte. Bref, mon corps oublie de respirer parfois, tout court. Je suis si tendue. Je dois penser à autre chose.

Je me laisse alors tomber sur mon lit, regardant droit devant moi, puis je me concentre sur ma respiration en pensant aux yeux verts hypnotisants qui me font fondre en une seconde. Mon cœur se calme et ma respiration redevient régulière, pile au moment où ma mère m’appelle.

Je ne suis pas très sociable et rencontrer de nouveaux visages me rend toujours nerveuse.

Je me retrouve à l’instant coincée entre ma mère et mon père, avec une bouteille de vin à la main et le sourire aux lèvres, devant l’entrée de mes nouveaux voisins : les Bowers. La porte s’ouvre et je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit que quelqu’un me prend dans ses bras.

« -Alaina, quel plaisir de te rencontrer ! », gazouille une voix féminine en s’écartant de moi.

Je suis capturée par la créature, mais j’essaye de sourire, il faut quand même que je laisse une bonne impression.

« -Excuse ma femme, elle est très chaleureuse ! », me chuchote une voix masculine qui se tient derrière elle.

« -Oh ! », un rire nerveux sort de ma gorge. Ce n’est pas grave. Enchantée », dis-je en tendant la main vers M. Bower.

La soirée bat son plein et j’ai déjà fait connaissance avec William, le plus âgé, Chris le plus jeune, et Samantha qui veut bien être appelée Sam. Je m’entends vraiment bien avec eux, ils savent que je suis timide et essayent d’animer la conversation, je leur en suis vraiment reconnaissante.

William est … remarquable : grand, de longs cheveux blonds, des yeux marron foncé, un piercing au nez. Aujourd’hui, il est vêtu d’un jean noir et d’une chemise blanche qui lui va parfaitement.

Sam à l’air d’une fille rebelle mais elle ne l’est pas du tout. Elle a des cheveux longs roux et des yeux bleus. Son visage enfantin respire la joie de vivre.

Je me sens bien, pour la première fois depuis longtemps. Sam est vraiment folle, mais pas au sens mauvais, elle crée l’ambiance ; je ne crois pas que quelqu’un pourrait passer une minute sans rire avec elle.

Le dîner se passe bien, tout le monde est de bonne humeur. Je peux enfin voir que mes parents sont heureux, et moi aussi.
 

Chapitre 5

Dimanche, le 26 juin 2011

Cela va faire deux ans que j’ai déménagé à cet endroit. Je m’y suis habituée. J’avais peur que les gens ne m’acceptent pas mais l’intégration n’a pas été un problème. William et Sam ne m’ont jamais quittée et depuis mon arrivée, on est inséparables. Mes parents s’entendent bien avec quasiment tout le monde et notre relation s’est beaucoup améliorée : on se parle davantage, on ne cherche plus à s’éviter. Tout semble s’être arrangé et cela me rend bizarre, c’est trop beau pour être vrai.

Je pense encore souvent à mon inconnu du banc ; parfois j’essaye de m’imaginer comment ma vie serait si je n’avais jamais déménagé. Ce garçon était la seule raison de me réveiller le matin et de me faire sortir de chez moi. D’accord, je suis heureuse maintenant, mais j’ai l’impression que quelque chose manque, c’est étrange.

Mes parents sont encore chez des collègues de travail, j’essaye de m’endormir, mais je n’y arrive pas. J’ai ce sentiment bizarre de nervosité au creux de mon ventre depuis le matin. J’imagine que c’est à cause des examens de la semaine prochaine mais quelque chose me dit que la raison est ailleurs.

Le sommeil m’envahit enfin. La porte s’ouvre violemment, je sursaute, ouvre mes yeux : deux hommes sont là ! L’un me colle un tissu devant le nez, une odeur chimique me monte tout de suite à la tête, les larmes coulent. Tout est si clair et si chamboulé. Mon regard s’accroche au sien : des yeux que je n’ai jamais pu oublier…
 

Chapitre 6

Le garçon se sent coupable, il ne veut pas lui faire mal. La voyant comme ça, pleurant, inconsciente, lui brise le cœur, mais il ne peut rien y faire, pas maintenant. Il se dépêche de descendre les escaliers, regarde autour de lui, et, voyant une photo d’Alaina, il s’arrête pour la contempler.

« -Adam ! », crie une voix, « p’tain, dépêche-toi ! »

Il dévale les escaliers pour poser un mot sur la table à côté de l’entrée.

« -Prends-la et attache-lui les mains et les pieds », lui ordonne l’adulte inconnu.  « N’oublie pas de lui scotcher la bouche. »

« Adam » s’exécute et la met à l’arrière du van. L’homme derrière le volant démarre la voiture et ils s’en vont.

Cela fait presque trois heures que la voiture roule en direction forêt. Ils s’arrêtent un instant à une pompe d’essence pour faire le plein et en profitent ainsi pour acheter de quoi boire et manger. Le prénommé Adam se trouve donc seul avec la fille inconsciente allongée à l’arrière de la voiture, avec la tête posée sur ses genoux. Il l’observe et lui caresse tendrement les cheveux. L’air pensif, il lève la tête et fixe la porte de la pompe d’essence. A ce moment même, il sent quelque chose bouger sur ses genoux et constate que la fille reprend conscience. Elle commence à se tortiller en sentant ses pieds et mains attachés. Adam essaye alors de la calmer : il la prend contre lui, la berce en lui chuchotant des mots réconfortants. Miracle : elle se détend, comme si elle lui faisait confiance. Alors qu’il ouvre la bouche, il voit l’homme sortir du bâtiment. Il la rallonge et lui murmure de faire comme si elle était encore évanouie.

Il fait noir. La voiture est à l’arrêt. La seule chose qu’on entend est la pluie qui s’abat sur le toit en métal. Alaina est entièrement éveillée, cependant elle ne bouge pas. Elle reste posée sur les genoux de l’inconnu. Celui qui conduit se trouve maintenant derrière le coffre et on l’entend parler : « Elle est avec moi. » « Non Adam est avec elle. » « Elle reste dans ma voiture pour la nuit. » « Ouais, demain matin je la mets dans la baraque. » « Non je leur ai laissé six jours » « A trois heures, devant l’usine cassée. » « T’inquiète, je gère la situation, à plus, mec. »  Elle sent les larmes couler sur la jambe de l’inconnu dont elle connaît le nom à présent. Elle sursaute légèrement, sentant Adam lui caresser les cheveux, lui faisant savoir qu’il ressent sa tristesse. Elle se sent bouleversée. Elle est perdue. Elle ne sait plus quoi penser. Elle essuie rapidement les gouttes sales avant que celui qui conduit ne revienne dans la voiture.

Un coup brutal la réveille. Les yeux grands ouverts, elle fixe l’homme aux cheveux grisâtres et aux yeux bleus. Il la sort sans ménagement de la voiture et l’entraîne, vacillante, jusqu’à la petite cabane en pierres entourée d’arbres. A l’intérieur, l’atmosphère est étouffante et humide. Elle aperçoit le prénommé Adam qui pose des sacs à dos dans un coin. Elle se sent protégée en sa présence. Elle est encore troublée par ses gestes. Ce moment intime lui paraît si irréaliste qu’elle commence à croire que tout n’était qu’un rêve. L’homme derrière elle ne lui laisse pas le temps d’admirer Adam : il la jette sur le sol.

« - T’es vachement calme pour une fille qui vient juste d’être enlevée ! », crache-t-il d’un air moqueur. Elle lève la tête et la nausée la prend quand elle aperçoit entre ses larmes son sourire machiavélique. Elle essaye de se contrôler se forçant à respirer doucement. Il s’accroupit en face d’elle. « Tu te souviens de moi Alaina ? Non ? T’es vachement plus mignonne quand tu pleures. ». Il lui caresse la joue et la fixe avec ce même regard abominable. Elle essaye de s’écarter mais ses bras et jambes attachés l’en empêchent. « Ah oui, j’ai presque oublié ce détail ! », ajoute-t-il en se levant. Il tire d’un des sacs un objet qu’il cache derrière son dos. « Quelle ironie !  Tes pauvres parents ont oublié un petit détail de la vie de leur fille… Et ça va bouleverser toute ta vie… Comme c’est triste !  Ahhh, comme j’aime le drame et les secrets ! Mais avant que j’oublie, j’ai encore quelque chose pour toi, ma belle ! ». Il pose alors devant la fille l’objet caché. Elle manque de s’étrangler. Cet objet si petit qui lui fait revivre le moment comme si c’était hier : son ours en peluche, cadeau pour ses six ans. Elle lui jette un regard éperdu « Mais où sont mes manières ? », dit-il en tirant le scotch de sa bouche. Le regard lointain, elle fixe l'objet qu'elle croyait  perdu ou n’avoir jamais existé. Le nom inscrit dessus confirme tout. Elle souffle un « non » à peine audible. L'homme lâche un rire gras. Elle se sent humiliée, sale.

« -Tu sais ce que t’as à faire, fils, je reviens tard, j’ai des trucs à régler. », grommelle-t-il en sortant de la cabane.

Alaina reste stoïque, fixant le sol, sentant son cœur pulser, ses mains devenir moites et les flash-back revenir. Ce cauchemar qu’elle voulait tant oublier n’est plus un cauchemar mais un souvenir horrible. Elle l’avait toujours senti, elle le savait, mais les mots de ses parents avaient le pouvoir de la convaincre. Le plus choquant est qu’elle se trouve prisonnière d’inconnus qui l’ont enlevée.

Alors qu’elle est dans ses pensées, Adam se charge de couper les cordes qui l’entravent.

« -Désolé, je pense juste que c’est plus agréable sans les mains et pieds attachés. », murmure-t-il en la détachant. A peine libérée, elle saute sur lui et lui assène des coups de poing dans le ventre. Adam essaie de prendre ses mains pour la stopper et la calmer.

« Mais qu’est-ce qui te prend ? », jette-t-il ahuri.

« Qu’est-ce qui me prend ? Non mais t’es sérieux ? Vous me kidnappez, ton père et toi, et puis tu me demandes ce qui me prend ? Puis encore, ce n’est pas tout, tu commences à t’asseoir à côté de moi, sur la banquette devant l’école, tu me parles jamais, mais lis des livres avec moi, tu m’écris des messages d’anniversaire secrets, et puis tu disparais le seul jour où j’avais le courage de te parler et, le meilleur pour la fin, tu l’as fait dans le but de m’espionner pour ton père ? Vas te faire voir, Adam ! », hurle Alaina en faisant attention de bien articuler son prénom.

Il ne sait pas quoi répondre, il sait qu’elle a raison, tout est vrai, à part une chose qu’il regrette et qui aurait pu tout changer.

A ce moment, il n’a pas envie de bouger, de rétorquer, il se sent bien là, si près de son corps qu’il perçoit sa respiration lourde. Ils se fixent. Leurs yeux  s’opposent comme la lune et le soleil, mais ils s’attirent de toute leur âme. Vert et Marron. Des couleurs de la nature, si paisibles.
 

Chapitre 7

Adam a dû me rattacher pour que son père ne se doute de rien. Nous avons parlé toute l’après-midi, il m’a expliqué ce qu’il avait dû faire pour son géniteur. Il m’a tout dit sur mes parents. Je comprends que ces derniers m’ont menti pour que je sois en sécurité, mais maintenant que j’ai grandi, il serait temps de me révéler cette histoire qui me hante depuis mes six ans.

Mes parents ont des dettes envers le patron de Mike, le père d’Adam. Le jour de mon sixième anniversaire, Mike venait exiger l’argent que mes parents ne possédaient pas. Il les a menacés de me prendre, moi, si cette somme n’était pas remboursée dans les dix ans. Au lieu de chercher à les rembourser, mon père a voulu déménager, sauf qu’ils nous ont trouvés et qu’ils ont mis leurs menaces à exécution. Maintenait que ma vie prenait une tournure satisfaisante, maintenant que je me sentais bien, tout ce passé revenait d’un coup.

Adam m’a aussi avoué qu’il était soumis à son père, que c’était pour cela qu’il l’aidait. Les matins qu’il passait avec moi, ce n’était en aucun cas un ordre de son père, il le faisait parce qu’il voulait s’assurer que personne ne me fasse du mal, mais il avait juré à son père de ne jamais me parler.

Je ne sais pas pourquoi, mais je le crois, je lui fais confiance. Cela peut paraître stupide pour d’autres, je me fais passer pour une fille naïve, mais je n’ai pas d’autre choix. Je veux sortir vivant d’ici.
 

Chapitre 8

Vendredi, le 1 juillet 2011

Cela fait cinq jours que ces trois individus se partagent une cabane ; Mike sort régulièrement pour finir d’autres « missions », laissant Adam et Alaina tous seuls. Cela fait cinq jours qu’Alaina est retenue prisonnière ici. Demain est le dernier délai pour que les parents remboursent leur dette. Dans exactement onze heures, Mike rencontrera le couple, quelque part dans la forêt.

Alors qu’il s’en va encore une fois, Adam s’occupe de leur préparer quelque chose à manger, la semaine a vite passé grâce au jeune homme. Ils se sont rapprochés, puisqu’ils n’avaient pas d’autre chose à faire que de parler, ils en savent à présent beaucoup l’un sur de l’autre. 

*flash-back*

Mercredi, le 29 juin 2011

Le ciel est propre, pas de nuages, Adam décide de sortir prendre l’air. Alaina l’imite quelques secondes plus tard. Sentant que maintenant est le meilleur moment pour aborder ce sujet, Adam se lance.

« Tu sais, Alaina, mon père t’observe depuis tes six ans, et moi j’ai toujours dû l’écouter ou accompagner ses recherches, je me sentais toujours très proche de toi, même sans te connaître. J’avais l’impression de tout savoir de toi, sans même avoir échangé un mot avec toi. Et maintenant que j’ai la chance de te parler et que tu m’apprennes des choses sur toi, cela me rend vraiment heureux. Tout cela doit te faire croire que je suis un malade mental, mais je me suis toujours senti attiré par toi. Je sais, ce n’est pas le moment de tout t’avouer mais… » Adam est coupé en plein monologue, par un baiser passionné.

C’est elle qui s’est lancée… Elle se recule et ne peut s’empêcher de rire en voyant l’air stupéfait d’Adam. Il rit de bon cœur à son tour et l’embrasse avec fougue.

*fin du flash-back*

Tout se passe vite : Mike arrive, son portable collé à l’oreille, les clés de voiture dans l’autre main, furieux. Il balance les clés sur son sac à dos posé sur le sol. Il trépigne, agitant sa main dans tous les sens. Il n’arrête pas de faire les cents pas.

Alaina fixe le sol, comme en transe, elle n’entend que des bouts de phrases. « Arrête de me le répéter ! » « Merde, t’es qu’un con ! ». Mike s’arrête subitement et s’en va dans la voiture. Il roule en direction du lieu de rendez-vous.

 Pas de signe des parents. Furieux, il marche en rond, passe un coup de fil à son supérieur qui lui donne l’ordre de la tuer et de déposer le cadavre devant leur maison.

En arrivant devant la cabane, il laisse le moteur en marche. Alors qu’il entre, il voit Alaina, les mains détachées. Il la prend par les cheveux, et crie sur Adam « P’tain, mais t’es con, je t’avais dit de jamais la détacher, tu ne sers à rien ! T’es pitoyable ! Regarde-toi, t’es amoureux d’elle jusqu’à la moelle, c’est ça, hein ? ». Il ricane. « Mais que t’es stupide parfois. Tu crois que tu vas pouvoir vivre un conte de fées et être heureux avec elle jusqu’à la fin de ta vie ? Ouvre les yeux, mon fils ! ». Mais alors qu’il ne s’y attend pas, Adam lui écrase la bouteille de chloroforme sur la tête.

Il s’étale par terre, lâchant les cheveux d’Alaina. La tête en sang, inconscient ou mort. Adam prend la main de la jeune fille et il l’entraîne en courant vers la voiture. Ils grimpent dedans, démarrent en trombe. Direction : loin d’ici.

 

Chapitre 9

2016.

Cela fait cinq ans que cette histoire de l’enlèvement d’Alaina s’est produite. Après la fuite, ils ont trouvé refuge dans un hôtel minable. Sachant que la voiture pourrait être reconnue par quelqu’un impliqué dans l’affaire, ils ont marché jusqu’à la maison des parents d’Alaina. Ils leur ont expliqué les circonstances de l’enlèvement ; la jeune fille leur en voulait de leur si long silence, mais ce n’était vraiment pas le moment de se disputer. Ils ont fait à la hâte quelques valises et, tous les quatre,  sont partis à l’aéroport.

Les adieux faits, ils ont pris chacun une direction, car bien sûr, ils ne pouvaient pas partir ensemble, le gang auquel appartenait Mike les aurait tous trouvés.

Cinq ans plus tard, Alaina et Adam se trouvent alors dans un petit village en Norvège, essayant de vivre une vie normale, oubliant cette partie de leur vie qui les a traumatisés.

Adam, qui a vingt-cinq ans, travaille comme comptable pour l’Etat, pendant qu’Alaina, âgée de vingt-trois ans, continue ses cours à l’Université.

 « Adam ? », appelle-t-elle depuis le salon.

« J’arrive ! », crie-t-il depuis la salle de bain.

« Dépêche-toi, on va arriver en retard ! »

Alaina sursaute en entendant la sonnerie de la porte d’entrée. Elle roule déjà les yeux en sachant que ce sont les voisins qui viennent encore une fois se plaindre.

« Quoi ? », demande-elle en plissant les yeux, irritée. En les rouvrant, elle ne voit personne, elle lâche un souffle en croyant que c’est une farce des enfants. Alors qu’elle ferme la porte, elle remarque une boîte posée sur leur paillasson. Elle l’emmène à l’intérieur, fronçant les sourcils.

« C’était qui ? », demande Adam en sortant de la salle de bain.

« Personne, il n’y avait que cette boîte. », annonce-t-elle en marchant vers la table de la cuise pour l’y déposer.

Adam prend le paquet et l’ouvre : son sang ne fait qu’un tour. Alors Alaina regarde mais son sourire se fige : à l’intérieur, il y a son ours en peluche, avec son nom inscrit dessus.

Un cauchemar.




Envoyé: 16:34 Sat, 11 March 2017 par: Sousa Sara