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Terblanche  Shani

Les Mangroves


 

Cette sensation d’être engloutie ne me quitte plus, elle a envahi mon quotidien.  Je me noie encore et encore sous ces pensées qui se répètent comme des vagues se brisant sur ma tête. Je n’en ressors plus, elles m’écrasent, le courant me tire et tout ceci est devenu ma nouvelle réalité. Pourtant, je suis encore vivante, la mort n’a pas encore absorbé, tout ce qui était autre fois moi, à jamais. J’ai encore un présent, passé et futur, mais le passé s’allonge alors que le futur se raccourcit. Mon présent lui n’est devenu qu’un moment de malaise éphémère qui se répète. Ce sont ces fichues pensées qui m’ont doucement envahie comme une inondation; elles prennent le dessus et me submergent. Une fois que la première pensée me passe par la tête , je suis comme un paquebot en pleine mer lors d’une tempête; la mort devient alors un constat très réel et le présent devient une expérience désagréable. C’est ironique puisque c’est une fois que j’ai réalisé que mon mal-être venait de la notion du temps qui passe, que j’ai cessé de dormir. C’est pendant ces nuits sans sommeil que le temps est fluide et coule entre mes doigts comme le sable de mon oasis. Je suis parfaitement consciente de chaque seconde qui passe et recalcule sans cesse les minutes  restantes avant que cette journée-ci fasse également partie de mon passé. Je ressens les secondes s’écouler comme chaque grain de sable et mon oasis qui était le moment de calme que m’apportait le sommeil semble avoir disparu à jamais. Ce manque de contrôle du temps se ressent comme lorsque j’admire le fleuve qui ruisselle et qui ne sera plus jamais ni tout à fait le même ni  tout à fait un autre. Quand j’étais jeune, la vitesse à laquelle le fleuve coulait était lente, et tout ce qui m’importait était de savoir ce qui m’attendait derrière la prochaine courbe du fleuve. À l’époque, j’avais des rêves, des buts et des choses pour lesquelles je me réjouissais; je comptais les dodos, ayant hâte que les événements arrivent. Mes attentes donnaient un but immédiat à ma vie. Les petits événements tels que l’arrivée de mes grands-parents ou la sortie à la fête foraine menaient à des nuits blanches due à l’anticipation et l’excitation. En y repensant, comment ai-je pu tant négliger et ne pas apprécier la beauté des moments de repos que m’apportaient les nuits? Maintenant, à l’âge mûr de dix-sept ans, le fleuve coule comme une cascade et j’en ai le mal de fleuve. Comment rétrograder cette vitesse?qui me donne la nausée? La disparition de l’attente mène au vide de mon existence et je regrette de ne plus pouvoir me réjouir du futur. Je voudrais retourner aux mangroves, m’agripper à elles, rester au moment de ma prise de conscience de la mort du présent. Ne jamais passer à l’eau salée, lorsque les pensées descendent en vrille et que tout va à vau-l’eau. Cette eau salée qui représente ma vie d’adulte qui m’attend et qui une fois franchise ne me laissera plus jamais retourner au fleuve de mon enfance. Le courant est trop fort et je ne peux remonter le temps;  je dois accepter et faire deuil du passé. Je vois mon navire couler, je suffoque, je ressens les larmes couler le long de mes joues et brouiller ma vision;  l’eau m’engloutira de nouveau cette nuit.  


 




Envoyé: 16:42 Mon, 16 March 2020 par: Terblanche  Shani