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Cano Pauline

Des îles et des phoques



Jour un : Que m’arrive-t-il ? J’ai comme l’impression d’avoir quelque chose de coincé dans la gorge, mais je ne sais pas exactement ce que c’est. Je n’arrive pas à l’avaler mais je pense que même si je le pouvais, je ne le ferais pas car j’ai le sentiment que c'est nocif pour moi. Je me rappelle quand j’étais petit, je pleurais souvent car je t'ai vu jeter un sac en plastique dans la nature. Un jour ce sac en a atterrit dans la mer. J’ai pensé aux 500 générations qui ne verraient même pas la biodégradation de ton sac, tellement elle serait lente. Ensuite, j’ai pensé à tous ceux, qui comme toi, jetaient leurs déchets en plastique dans la nature car ils s’en fichaient complètement de mon peuple et j’ai pleuré encore plus. Huit millions de tonnes, voilà combien de déchets en plastique par année vous offrez à Mère Océan. Un cadeau empoisonné.

Jour deux : Mon chez-moi, c’est une île colossale dans l’océan pacifique et j’en suis fier, je suis un véritable patriote, au détriment de mes chers parents. Depuis toujours j’étais un enfant de la mer, et mes ancêtres ont toujours vécu dans cet endroit. Oui, dans cet endroit. Sauf que cet endroit était différent. On me dit souvent que c’était mieux avant, qu’on pouvait nager librement dans cet océan qui jadis était pur sans croiser toutes ces crasses qui aujourd’hui nous polluent la vue. Mais bon, il faut vivre avec son temps. Mon grand-père me parlait souvent des écosystèmes mourants quand j’étais petit et je l’écoutais avec très grande attention, bien que cela me fendait le cœur un peu plus à chaque fois. À la fin de ses discours j’éclatais en sanglots, même s'il se répétait à chaque fois. Malgré toutes ces tristes réalités, j’ai toujours eu une vie paisible et heureuse. Et je trouve même que mon espèce et moi, nous devrions nous estimer heureux au lieu de nous plaindre car au moins, on a une île à nous qui s’agrandit de plus en plus avec le temps et ça, sans colonisation, moi je trouve cela formidable.

Jour trois : Cette nuit j’ai très mal dormi. J’ai eu l’impression d’être sur le point de mourir étouffé. Tout de même, j’ai fait un rêve ; j’ai rêvé d’une énorme montagne. Plus je m’approchais de cette montagne plus elle avait l’air délicieuse. Ce n’était pas le Mont Everest ni le Kilimandjaro, non. C’était une gigantesque montagne de thons. La nage vers le festin de roi qui m’était offert me fatiguait considérablement, j’avais l’impression que la mer aspirait toutes mes forces, mais je continuais en pensant au délice qui m’attendait tout près, j’imaginais le poisson fondre dans ma bouche et cela me faisait déjà saliver. Lorsque j’y arrivai après cette lutte à travers d’innombrables souffrances, je me dis que mes efforts seraient enfin récompensés. Je mordis dans cette montagne qui m’avait tellement donné envie et je tombai des nues. L’intérieur du poisson en dessous de ses belles écailles n’était rien d’autre que du plastique.

Jour quatre : Je suis heureux. Le ciel est bleu. Les bateaux passent. Ils sont grands et beaux. J’aimerais tellement être sur un bateau. On dit que les humains y vont pour se reposer au bord d’une piscine. Mais pourquoi ? Ils ont tout l’océan, n’est-ce pas assez ? Ils pourraient visiter mon île dans l'océan Pacifique ! Même si elle est composée exclusivement de plastique...

Jour cinq : Mon peuple est en péril, nous avions besoin de votre aide, vous n’avez rien fait. Maintenant il est déjà trop tard. Personne ne nous a aidé, nous sommes condamnés. Je voudrais crier à l’aide mais je ne peux pas car je ne suis qu’un misérable phoque et je suis en train de m’étouffer avec cette chose qui vit dans ma gorge depuis des jours. Je crois bien que cette chose c’est le sac en plastique que tu as jeté, tu t’en souviens ? Bien sûr que non ! Un million et demi d’animaux meurent par an à cause de ces substances toxiques qui font pourtant partie de ton quotidien. Un jour tu seras un phoque. Pense à moi, pense à toi. Pense à nous. Sauve-nous s’il te plaît. Agis. Tout de suite.

 




Envoyé: 11:19 Sun, 15 March 2020 par: Cano Pauline