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Hippert Lee

Une nuit d'encre

Devant mes pieds se trouve un grand vide. Un pas de plus et je tombe vers ma mort certaine. J’inspire, comme si c’était la dernière fois que l’air passe par mes narines. Mes poumons se gonflent, une brise fraîche me caresse le visage et me donne la chair de poule. 

J’ai vécu toute une vie, pour arriver à ce moment-ci. À cet endroit-ci. Sur cet écueil au milieu de nulle part, au cul du monde. J’expire, mon souffle se mélange aux courants des vents et mon regard monte vers le ciel obscur. Cette nuit-là, ni la lune, ni les étoiles n’éclaircissent le ciel. Je suis seul, dans cette nuit d’encre. Il n’y a que moi, cette obscurité infinie et les vagues qui chantent une balade en se cassant contre les falaises. 

C’est une de ces soirées où tout est noir. Je ne parle pas d’une nuit foncée, qui ne permet qu’aux contours d’être visibles. Non je parle d’une nuit obscure et sombre. La présence de l’obscurité remplace la lumière. Un noir opaque m’entoure. Elle dégage une présence pesante et m’empêche de voir ma propre main devant moi. 

Seule l’odeur salée de la mer fait comprendre qu’il y a un monde autour de moi. Je me sens comme si l’obscurité était entrain de m’écraser, je ne peux m’empêcher, de garder le regard dans le vide. Oui, tout est si vide, tout est privé de luminosité. 

Je le ressens, dans mes yeux, dans mes veines, dans ma tête. Le vide m’envahit, il me prend dans ses bras. Il me remplit, et laisse en arrière une carapace sans âme, sans réflexion. Me voilà, une pierre froide sur la falaise. Il reste un grand rien.

Il y a des histoires sans fin.

Voici une histoire sans début.

Je sors une Marlboro de mon paquet, je la place sur mes lèvres, et je prends un briquet rouge de la poche de mon jean noir. Une petite flamme s’allume et ramène un peu de lumière dans cette nuit. J’allume la cigarette avant que les ténèbres dévorent le peu de lumière que la flamme a émise. 

Je suis exactement arrivé où je voulais. Pourquoi alors je me sens aussi perdu ? J’ai retrouvé la paix, que je cherchais tout au long de ma vie. Je ne sais plus comment continuer. Je pense à ma vie. Surtout à ce que j’ai accompli. En tant que comptable, j’ai aidé les riches à garder quelques euros de plus. 

Je me rappelle de mes années à l’école, quand chacun m’aimait. Je me dis que j’ai eu une belle vie. J’ai rencontré de merveilleuses femmes, qui m’ont ouvert leurs jambes, mais qui ont toujours gardé leur cœur à l’abri. Parfait pour moi, car je ne voulais jamais m’installer. 

J’ai eu des bons amis, que la faucheuse a déjà emportés. Qui étaient là quand j’ai perdu, qui m’ont soutenu. Qui sont absents à l’appel maintenant que je suis au sommet. Personne pour célébrer. 

J’ai eu des réponses à la plupart de mes questions. J’ai vu des pays, des paysages, des visages, des sages et des lâches. Bref, ce fût une course, la vie a défilé et filé, pas d’arrivée…

Hélas, la cigarette se consume, j’inspire une dernière fois, puis je lui donne une pichenette et elle s’envole en arc. On voit une petite braise rouge s’éloigner vers la mer, une étincelle qui ne prendra pas feu. J’expire. 

Le vent s’est calmé et un grand nuage gris apparaît devant moi. Je ne crois pas mes yeux. Du gris ! Je n’aurais pas pensé apercevoir une couleur ce soir. Le gris défie le noir et le nuage reste. Il s’est installé devant moi et ne semble plus partir. Ce nuage de fumée d’un coup paraît tellement vivant. J’hallucine, je n’en crois pas mes yeux.

Cette fumée, elle semble prendre forme et d’un coup un fantôme se trouve devant moi. Une silhouette d’un humain, sans visage, en fumée grise. Même s’il n’a pas d’yeux, il me regarde droit dans les miens. Un sourire se forme, comme s’il allait me buter d’un moment à l’autre. 

J’essaie de faire un pas en arrière, je trébuche et j’atterris sur mes fesses. La créature me fixe, sans faire un mouvement. La fumée circule comme un courant, sans dissiper la formation de l’être exposé devant moi.

« Mais je deviens fou !!! »  Je m’exclame, comme si je venais de voir un mort.

« Vraiment ? » me répond la fumée.

Incroyable. Un bonhomme en fumée qui me parle !? Un frisson passe tout le long de mon corps. Dire que j’ai la chair de poule serait un mensonge. Je me transforme carrément en poule, je n’arrive qu’à exprimer des bruits.

«  heu – neh- poq – heu »

J’essaie de me remettre sur pieds et de me casser d’ici aussi vite que possible. Malheureusement dès le moment où je suis debout, cette créature disparaît et réapparaît derrière moi et continue de parler comme si ne rien n’était.

« Je suis une construction divine. Mise en place par le tout, on se réfère à moi comme Nephesh »

Là c’est parti en couilles, je tombe à nouveau. Cette fois-ci dans la direction opposée. Ma tête se trouve au-dessus du grand vide. Un mètre de plus et c’est la chute mortelle. Mon cœur bat la chamade, mais la présence de ce « Nephesh » semble avoir un effet calmant sur moi.

« Dis-moi, homme, humain. Tu vois quoi ? » demande Nephesh

Je ne sais pas quel est son problème, il vient de naître de la fumée de ma cigarette et n’a rien d’autre en tête que de me demander ce que je vois ? En plus n’est-il pas évident que je vois la fin?

Je vois des difficultés insurmontables. Je ne vois pas de futur. Tout est si pesant, qu’est-ce qu’il veut que je voie ? Je vois mon corps sans âme nager dans l’obscurité de la mer. C’est pourquoi je suis venu ici. Je m’en fiche si c’est un fantôme, une hallucination ou bien une divinité.

« Rien » je lui réponds.

Il me lance un regard comme s’il avait entendu ce que je viens de penser. 

Puis il dit "s’il n’y a rien, il y a tout pour le créer comme tu le désires. À ton image, à ta vision. S’il n’y a vraiment rien, qu’est-ce que tu pourrais désirer de plus ?

Je pense qu’il s’est fixé comme but de me scier les côtes.

« Non, il n’y a rien pour moi. Tout est si joyeux et rempli. Même quand il n’y a rien, il y a de l’air. Le monde est achevé, ainsi je n’ai plus rien à faire. » Là je sens, c’est mon cœur qui parle.

« S’il est achevé, tu as une plénitude de choses à découvrir et à comprendre. Tu es libre de faire ce que tu veux. Tout est plein, tout est rempli, tu te sers comme tu le veux et tu découvres toutes les couleurs. »

Là c’est clair, Nephesh doit être un esprit de contradiction. Je lui dis « oui », il répond par « non ». J’insiste sur non et il pense que « oui ».

J’exclame « Il n’y a que le vide ! ». 

Nephesh m’observe sans rien dire. Je me convaincs que c’est une hallucination. Mes pupilles s’agrandissent en observent le ciel d’encre, et puis, je ressens un calme absolu dans ma tête et je me dis qu’il n’y a qu’un chose logique à faire. Je fais un premier pas. Puis un deuxième. Le troisième ne suit pas, parce que je me trouve sous l’emprise de la gravité. Comme une pierre qui tombe de la falaise.

 

 Il y a des histoires sans début.

En voici une sans fin.

 

Devant mes pieds se trouve un grand vide. Un pas de plus et je tombe vers ma mort certaine. J’inspire, comme si c’était la dernière fois que l’air passe par mes narines. Mes poumons se gonflent, une brise fraîche me caresse le visage et me donne la chair de poule. J’ai vécu toute une vie pour en arriver ici. À cet endroit-ci. Sur cet écueil au milieu de nulle part, au cul du monde.

Je l’ai déjà vu devant mes yeux. Ce moment-ci. Que j’ai tellement attendu. Bref je m’allume une Marlboro. La flamme du briquet me ramène une petite lueur dans cet endroit vaste. Mais elle aussi disparaît et me laisse au froid. Le froid ne me fait plus rien, avec la vie je suis devenu glacial. J’ai appris, le monde est noir et blanc. J’exhale la dernière tafe de ma cigarette et j’observe un nuage.

 

Cette fumée, elle semble prendre forme, et tout d’un coup un fantôme se trouve devant moi. Une silhouette humaine, grise comme la fumée. Elle me regarde droit dans les yeux, son visage consiste d’un nez et d’un affreux sourire.

Je m’effraie et je glisse. Cette fois, la chute est venue vers moi. Quelle fin. Je m’écrase sur l’eau glaciale.

Puis…

 

Certaines histoires commencent au réveil.

 

J’ouvre mes yeux.

Devant mes pieds se trouve un grand vide. Un pas de plus et je tombe vers ma mort certaine.

Je me dis pour un moment comment c’est de tomber de la falaise. Personnellement, moi, je préfère les surmonter. Je ne sais pas, j’ai une sacrée impression de déjà-vu. Comme si j’avais vécu ce moment-ci au moins 25 fois. Bref, un noir d’encre, une vue d’aveugle. 

J’ouvre mon paquet de Marlboro et il ne me reste qu’une cigarette. Je décide de la mettre de côté. Je préfère ne pas déranger l’obscurité. Il faut dire que j’ai vécu toute une vie et j’ai beaucoup appris sur ce monde. Je peux conclure que je le déteste autant que je l’aime. Peut-être que je l’aime quand même un peu plus. 

Bref, ici le silence règne. Seule la mer qui chante une fanfare en défiant la colline. J’inspire, j’expire. Il fait sombre autour de moi. D’un coup, une créature apparaît. Un bonhomme gris. Il me rappelle moi-même. Il a ma taille, la coiffure semblable à la mienne. Aussi, on partage le même sourire. La différence entre nous deux c’est que lui, il est en noir et blanc. Comme s’il était sorti d’un Manga ou d’un film de Charlie Chaplin. 

Il vient vers moi. Je devrais me sentir anxieux, mais cet esprit évoque quelque chose de familier, de connu. Je suis calme, on se fixe dans les yeux.

Il se présente comme Nephesh. Puis il me pose une question.

« Qu’est-ce que tu vois »

Il est comme moi, mais sans couleur. Comme s’il avait perdu tous ses pigments. Comme s’il était froid. Je me vois en lui, mais on n’est pas pareil. S’il fait noir autour de moi, c’est parce que moi je suis la lanterne. J’essaie de lui rappeler que les couleurs qu’on porte sont essentielles et chères. Le beau se cache parfois dans les endroits les plus inattendus.

Après longue réflexion je lui réponds « du noir au gris, il y tout un cercle chromatique »

Il me regarde en souriant. « Un monde à connaitre, un monde à colorer et un monde à créer » me chuchote une voix. 

Devant moi un nuage de fumée grise se dissout et mon regard tombe droit vers un crépuscule du matin, qui enflamme le ciel avec un rouge passionné suivi d’un orange que seul le soleil peut créer en évoquant de la chaleur seul par l’intensité de la couleur et un rose si clair et pur, qu’il rappelle l’amour. 

Je m'étonne qu'il ne me reste qu'une cigarette, après tout j'ai acheté le paquet hier. Je prends de l'herbe et je la mélange avec le tabac de ma dernière cigarette. J'assemble le tout dans un feuillet et je roule un joint. Pendant que je marche le long de la plage, le sable me caresse les pieds, l’odeur salée devient repoussé par le parfum du vert.

La mer aussi bleue qu’une céanothe et elle reflète la lumière du soleil. Je voyage, la destination importe peu, car je suis arrivé chez moi. J’affiche un grand sourire. La vie reste reste une oeuvre inachevée et on peut colorer l’histoire comme on l’aime…




Envoyé: 19:37 Sun, 12 December 2021 par: Hippert Lee