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MAURO LUCILLE

In Extremis

In Extremis

 

De Lucille Mauro

 

Ecole Internationale de Mondorf-les-Bains

(née le 18/12/2005)

 

 

 

HORTENSIA

 

     Fleur ne se rend pas compte de ce qu’elle est en train de me faire et de ce que ça représente pour moi ! Je suis en train de perdre toute dignité ! Plus ma mère s’approche, plus j’ai peur. Elle m’agrippe par le bras et la musique de la fête s’arrête. Alors, elle me traine à travers tous ces gens qui me fixent avec pitié, parfois avec moquerie. Je ne dis rien et j’encaisse ; de toute façon, ça ne sert à rien de protester. Arrivée aux pieds de l’appartement parisien de Lyne, elle ne me lâche toujours pas le bras.

     La camionnette blanche est garée en face de la résidence. Plus on s’en éloigne à pied, plus le bruit de cette musique assourdissante, qui avait redémarré entre temps, s’estompe. Fleur, ouvre violemment la porte de celle-ci et me flanque dedans. À peine ai-je eu le temps de rentrer mes jambes que Fleur claque la portière et vient s’asseoir à sa place, la voiture démarre si vite que je m’enfonce dans le siège. En me retournant, j’aperçois Orion, assis avec sa peluche à l’arrière de la voiture. À côté de lui, Antoine est assis aussi. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe. Un grand silence règne dans la voiture. Je ne pose pas de questions ; je connais ma mère : inutile de lui demander, elle ne répond que quand elle en a envie et à ce moment-là, je sais très bien qu’il ne faut pas insister. Orion, lui aussi se tait. Je me retourne et vois que même Antoine, lui non plus, a l’air de ne rien comprendre à la situation. Je me rends soudain compte qu’il y a, à mes pieds et à ceux de Antoine et Orion, des sacs et des valises pleines à craquer. Il y en a beaucoup. J’aperçois la mienne, une valise grise argentée et très grande que j’avais emportée pour le voyage scolaire, en quatrième.

     Un très mauvais souvenir : en une semaine, Marc m’a quittée et je me suis cassé la jambe. Marc s’est remis, dans la même semaine, avec Sarah, une débile qui ne pense qu’à elle.

     Je repense alors à la fête de Lyne et doucement, je sens la colère monter ; une rage contre ma mère de m’avoir foutu la honte devant tout le monde, et en particulier devant Raphaël. Je lui en veux. Cette fête, c’était la fête du collège à ne pas rater !

     Il est tard le soir. La voiture arrive sur une départementale, il fait déjà nuit depuis un bon moment maintenant et la voiture ne s’est toujours pas arrêtée depuis que j’y suis entrée, un peu violemment. J’ai bien compris que, dans cette voiture, personne ne sait où l’on va, sauf évidemment Fleur qui ne nous explique de toute façon jamais rien.

    

      Je me réveille d’un seul coup, assez brutalement. Un cauchemar. Nous roulons dans une petite rue étroite. Je regarde autour sans me rendre compte tout de suite où je suis. Fleur est toujours aussi concentrée sur la route. Dans le rétroviseur, je vois Orion qui roupille. Antoine me fait un léger sourire. Je le lui rends.

     Je l’aime bien Antoine, c’est un peu comme un père pour moi. Il nous fait découvrir plein de choses, à mon frère Orion, et à moi. J’espère que lui, ma mère va le garder longtemps. Avec Antoine, on peut parler et il nous écoute, à l’inverse de notre mère. On a appris à se connaître en très peu de temps. Il aime aussi beaucoup Orion. C’est lui qui l’a aidé à s’intégrer dans la vie de tous les jours et à devenir de plus en plus autonome étant donné son handicap. Orion est aveugle de naissance. Il lui est très reconnaissant. Antoine est quelqu’un d’ouvert d’esprit, d’intelligent, drôle, gentil et juste. Fleur a vraiment trouvé l’homme parfait, en tout cas, quelqu’un qui la supporte et la comprend… ce qui est rare.

 

     Je me demande tout de même où Fleur nous emmène cette fois-ci. D’ailleurs, c’est la première fois que je vois autant de valises, et que je sens autant de tension, lors d’un voyage à l’improviste. Il n’y en a jamais autant d’habitude. Il y a à peine la place pour nous. Ça n’a pas l’air de déranger Orion qui dort toujours à poings fermés. Fleur a toujours le regard fixé sur la route. Je jette un coup d’œil à Antoine. Il somnole à moitié. J’allume mon portable : 2h36 du matin. Plus le temps avance, plus la voiture roule, plus je me pose des questions sur ce départ précipité.

 

 

     La voiture se met à freiner. Ça y est : on est arrêté c’est le petit matin. Orion dort encore.

  • Enfin arrivés ! annonce Fleur sans le moindre sourire.

     Je regarde Antoine avec angoisse. Où sommes-nous ? Fleur sort de la voiture sans un mot, claque la portière. C’est une sale manie chez elle de ne prévenir personne. Elle fait sa vie sans vraiment se soucier des autres. Je chuchote pour ne pas réveiller mon frère :

  • Elle t’a dit quelque chose ?
  • Rien du tout. Elle m’a réveillée vers 21h30, je venais de m’endormir. Puis elle a secoué Orion. Elle ne disait rien mais me faisait signe qu’il fallait que je me taise. Elle ne nous a rien expliqué.
  • Tu as vu la taille des valises ?

     On observe la fine silhouette de Fleur, appuyée sur un rocher, une clope à la main. Après un moment d’hésitation, je sors dehors, suivie d’Antoine.

  • On a droit à une explication ? dis-je à ma mère.

     Pas de réponse. Ça ne m’étonne pas vraiment. Je jette alors un coup d’œil aux alentours. Il y a un léger vent frais et à côté de la voiture, se trouve la route. Quelques voitures y passent de temps en temps. Je marche tranquillement dans la forêt. De grands arbres. Il n’y a vraiment rien par ici. Je retourne à la voiture et je vois, au loin, Antoine et Fleur qui discutent.

     J’ai soudain un mauvais pressentiment. Antoine a sûrement raison : on ne restera pas ici que quelques jours. Je vais alors voir Orion pour me rassurer, il a un don pour calmer les gens. C’est un enfant très apaisant. Je m’assieds à la place d’Antoine, à côté de mon frère. Je le regarde et il ne bouge pas.

  • Où sommes-nous ? chuchote-t-il.

     Je suis surprise du fait qu’il soit réveillé et je lui réponds sur le même ton de voix.

  • Je ne sais pas vraiment, nous sommes dans une forêt. Il fait frais et il est 6h45. Maman ne nous a rien dit.
  • Hortensia ?
  • Oui ?
  • Je ne te sens pas rassurée. Tout va bien ?

     Il m’impressionne à ressentir autant les émotions des gens. Orion est déjà très mature pour son jeune âge.

  • Non Orion, j’ai peur, car à tes pieds et dans le coffre, il y a beaucoup plus de valises que d’habitude. Ça m’inquiète. Antoine pense que l’on va rester ici un certain temps.

     Il ne dit rien, laisse le moment en suspens.

  • Amène-moi dehors, je veux entendre les oiseaux.

     Je sors, lui ouvre la portière. Nous marchons quelques mètres.

  • Merci Hortensia.
  • De rien.

     J’observe Orion. Il prend de grandes respirations, sent l’odeur de la forêt. Il profite.

 

 

  • Hortensia, Orion, rentrez dans la voiture !

     Orion est heureux d’entendre la voix de sa mère, un sourire se dégage de son visage. Nous rentrons dans la camionnette, j’attache Orion. Antoine s’assoit sur le siège passager. Fleur claque la portière, comme toujours. On démarre. Le chemin n’est pas droit, nous roulons sur les pierres et les racines, plus ou moins grosses. Le véhicule s’enfonce dans la forêt. La départementale est dans notre dos maintenant et devient quasiment invisible.

     Au bout d’un certain temps, je vois apparaître au loin des sommets de montagnes. La voiture freine légèrement et même Fleur profite du beau paysage.

  • Tensia, qu’est-ce qu’il se passe ? me murmure Orion.

     Je mets un certain temps avant de décrocher de cette magnifique scène.

  • On vient de sortir de la forêt. Il y a des montagnes magnifiques.

    La voiture avance encore.

  • Je vois maintenant une vallée et un lac.
  • C’est le lac d’Oo mon chéri, dit Fleur d’une voix douce
  • Nous sommes dans la périphérie de Toulouse alors, dis-je, fière de moi.

     On l’avait appris en géographie. Lyne et moi, on avait fait un exposé très complet il y a deux ans et on avait passé l’après-midi sur le projet. Je connais la région sur le bout des doigts.

  • Exactement, mon trésor, dit ma mère, le regard toujours fixé sur les montagnes et le magnifique reflet du soleil dans le lac.
  • Arrête de m’appeler comme ça ! J’ai quinze ans, ça va maintenant !

Je remarque un sourire sur le visage d’Antoine, de Fleur et d’Orion. Ça me met encore plus en colère, mais je ne dis rien de plus.

Après un long moment d’admiration, ma mère déclare :

  • Bienvenue à Toulouse, les enfants !

 

*

 

     Je viens de me rendre compte que l’on va vivre ici et que c’est décidé. J’en veux beaucoup à Fleur de ne pas m’en avoir parlé avant ! Je n’ai dit au revoir à personne, ni à Lyne ni à Raphaël. Pourquoi devait-elle nous faire habiter dans un trou si paumé ? Antoine se retourne avec un sourire un peu désolé. Ça se voit qu’il était au courant. Il ne m’a rien dit. Fleur a dû lui en parler dans la forêt, auparavant.

     Je me retourne alors, j’observe le visage d’Orion. Il n’a pas l’air très en colère, mais plutôt content. Ça me rend dingue. 

 

ORION

 

Maman demande à Hortensia et Antoine de l’aider à sortir les valises du coffre. Entre temps, j’attends assis par terre.  

     Cette nouvelle m’avait rendu heureux. Je pense qu’il faut apprendre à aimer autre chose dans la vie.

      Ici, ça sent bon, l’air est pur, il y a un lac. Je me sens bien dans les endroits de ce genre. Pouvoir m’allonger dans l’herbe et prendre de grandes inspirations. À Paris, j’avais des soi-disant copains qui se moquaient de moi dès qu’ils le pouvaient. Alors maman m’a mis dans une école à domicile. J’ai appris à la maison, dans notre petit appartement du 9e arrondissement.

     Le bruit des voitures me dérangeait, sans compter l’odeur.

     Il y en a un qui m’a aidé à supporter tout ça, c’est Antoine.

     Quand maman l’a rencontré, je l’ai tout de suite adoré. Il est un peu comme un père.

     Mon papa ? Je ne le connais pas et maman ne nous en parle jamais ni à Hortensia ni à moi. Personne ne sait pourquoi.

     Moi en tout cas, je suis sûr que c’est Zinédine Zidane. Maman tout le monde me dit qu’elle est trop belle, elle aurait très bien pu le rencontrer. En plus, elle regarde tout le temps le foot à la télé. En plus, quand on lui demande quel est son joueur préféré, elle répond toujours « c’est évidemment l’éternel Zinédine Zidane ! Quelle

question ! » sur le ton de la rigolade. Elle regarde d’anciens matchs sur internet quand elle n’a rien d’autre à faire.

     Maman ne nous parle jamais non plus de ses parents, elle dit qu’ils sont morts quelques mois après sa naissance. Elle dit que c’est l’oncle Valentin qui l’a élevée, mais qui est lui aussi mort dans un accident de voiture il y a 20 ans. Elle nous raconte qu’elle a vécu en colocation quelques années avec sa sœur, Luna.

     Luna, c’est la seule personne de notre famille qui nous reste. Elle n’a pas d’enfants. Elle nous gardait assez souvent avant que Tensia commence à me garder. Depuis Luna vient régulièrement à la maison pour dîner avec nous, le soir.

     J’espère que, même si on habite à Toulouse, on la reverra souvent.

 

HORTENSIA

 

     Fleur pointe du doigt un chalet.

  • Montez toutes ces valises là-bas, nous oblige-t-elle. C’est déjà ouvert. Je vais voir ton frère.

     Je me tourne vers Antoine.

  • Ok… C’est parti ?
  • C’est parti ! acquiesce-t-il.

 

ANTOINE

 

     On vient à peine de monter toute la colline, avec chacun une valise à la main. Nous sommes à l’entrée du chalet. Les clefs sont sur la porte. Je la pousse et nous découvrons un grand chalet, assez poussiéreux et rempli de très vieux meubles. Je ne distingue aucun sourire sur le visage d’Hortensia. On se regarde, je ne dis rien et elle non plus.

     Elle entre et dépose sa valise puis, elle fait un tour dans la maison pour voir un peu les lieux. Je fais de même.

     Hortensia est déjà en train de descendre la côte. Je viens à peine de sortir du chalet et suis ébloui par ce paysage que je pourrais regarder sans jamais m’en lasser. En baissant les yeux, je reprends pied et me rends compte qu’il y a encore 12 valises et sacs à monter.

  • Ça va ? me jette Hortensia en m’observant d’en bas.

 

FLEUR

 

     Ils auront des questions à me poser. Que vais-je pouvoir leur répondre ?

Mais je ne suis tout de même pas mécontente de mon choix.

     Au moins, j’en ai satisfait un, c’est Orion. Il a l’air si heureux ici. Je le regarde et je le sens libéré de la ville. Il m’impressionne ! C’est lui qui devrait le plus se plaindre et pourtant, depuis tout petit, il se contente de peu, il s’adapte et grandit. Il n’a pourtant que neuf ans.

     J’ai tout de même un peu plus de mal à entretenir ma relation avec Hortensia. Pour ça, j’admire et j’envie Antoine qui sait comment s’y prendre avec elle. Ils sont si complices tous les deux ! Elle est si sauvage, énergique, jeune et belle.

     Quant à moi, j’ai vraiment du mal avec les relations. Depuis toujours !

Je ne sais pas leur expliquer la raison de notre départ si précipité ni quand ni comment leur dire. Je ne compte pas révéler la vérité tout de suite, garder un peu plus longtemps le secret.

 

*

 

Salut Lyne !

Tu dois trouver ça ringard que je t’envoie une lettre, mais, ici, il n’y a pas de réseau ! 

Tu dois te demander pourquoi je ne suis pas venue à l’école ces deux derniers jours : je suis à Toulouse ! Étrange, non ? Moi non plus je ne sais pas vraiment pourquoi, mais on ne va pas se voir pensant un bon bout de temps, en tout cas, c’est ce que Antoine dit. Et puis tu connais Fleur ! Toujours si secrète, mystérieuse…

Je vais demander à Antoine si on peut retourner à Paris pour un week-end, pour te voir.

 

À bientôt (j’espère)

Hortensia

 

 

*

 

ORION

 

     Maman a dit qu’on était inscrit dans une nouvelle école et que dans deux jours, on y ira pour commencer notre année. Même si on commence en milieu d’année. Tensia m’a dit que l’école s’appelle école Sainte-Thérèse. C’est à Luchon, près de chez nous.

    

     Maman m’a promis qu’on irait se baigner dans le lac cette après-midi après avoir fait un tour du village. « Une vue d’ensemble » comme elle dit.

 

HORTENSIA

 

     Paris me manque.

 

     Fleur dit que je vais m’habituer, que ce n’est pas si mal, qu’il y a plein de choses à découvrir et que je vais rapidement me faire des amis au lycée.

 

     Ça m’énerve de ne pas savoir pourquoi nous sommes là. J’ai harcelé Fleur de questions, mais pas de réponses... Ça m’exaspère ! J’ai envie de rentrer chez moi.

 

     J’ai déjà ma chambre. Une vieille chambre que je partage avec Orion. Je déballe les valises, la mienne et celle de mon frère. Il y a  à disposition une grande armoire en bois.

     Cette après-midi, je sors dans le village avec Antoine, Fleur et Orion.

 

*

 

ANTOINE

 

     Orion me tient la main, je lui décris tout ce que je vois. Les maisons, les montagnes, la boulangerie, le supermarché, la pharmacie et la petite brasserie.

     Je suis content pour lui, il a l’air heureux. En revanche, Hortensia est très en colère contre sa mère. C’est normal : à Paris, elle avait tous ses amis, ses habitudes… c’était toute sa vie. Et Fleur ne lui demande même pas son avis. Il doit bien y avoir une raison importante à ce déménagement. Fleur ne sait pas comment s’y prendre avec sa fille. Ni avec personne d’ailleurs.

     Pourtant, c’est une femme débordante d’imagination. Quand elle écrit des livres, des romans policiers, elle est absorbée par ça. Elle écrit des histoires incroyables, qui ont du sens, qui font ressentir des émotions très prenantes. Mais elle ne sait pas les exprimer dans sa vie personnelle.

Heureusement que mon travail me permet de la suivre, il me suffit de mon ordinateur et d’une connexion et « I’m back in Business ! » comme disent les anglais !

 

HORTENSIA

 

     Après la promenade dans le village que j’ai trouvée si ennuyeuse, j’ai eu un sentiment de déception. À Luchon il n’y a pas grand-chose : un café plutôt minable, un bar un peu plus grand, mais pas de salles de concert, de métro, de Tour Eiffel, bon, ça évidemment je m’y attendais. La chose la plus intéressante de la journée reste l’aire de jeux sur laquelle j’ai poussé Orion sur la balançoire. Je suis contente pour lui : il s’adapte.

     En rentrant au chalet, il m’a demandé d’écrire une lettre de sa part à Luna. Ça se voit qu’elle lui manque déjà.

 

 

Bonjour tati Luna !

J’espère que tu vas bien. Chez nous c’est trop chouette ! Je peux respirer et profiter des odeurs du printemps. J’ai hâte d’entrer à l’école, mais j’ai un peu peur.

Tu me manques très fort tati.

Un bisou de ma part et celle d’Hortensia.

Je t’aime,

Ton petit Orion.

 

     J’ai pris un vieux vélo que l’on avait trouvé dans la cave et je suis allée à la poste. Auparavant, je n’avais jamais rien posté. Je ne savais même pas que les boites aux lettres de La Poste étaient jaunes.

      J’y ai alors glissé ma lettre adressée à Lyne et celle de mon petit frère. Puis j’ai fait demi-tour et je suis rentrée.

     Je ne fais que très rarement du vélo et j’aime ça. Mais ici, les montées sont rudes ! Surtout la dernière, celle qui arrive directement au chalet.

     En poussant la porte, j’ai vu Fleur qui enfilait un maillot de bain à Orion.

  • Tensia ? C’est toi ?
  • Oui
  • Tu viens te baigner ? me propose-t-il. Maman vient aussi.

     Je déteste me baigner autre part que dans une piscine chlorée. Je déteste la nature, les microbes, les algues, la boue et les petits cailloux au fond qui démontent les orteils.

  • Un autre jour, ai-je répondu.

     J’ai ensuite filé dans ma chambre et j’ai sorti mon livre. Je me suis allongée et j’ai entamé ma collection préférée : Harry Potter.

 

FLEUR

 

     Ma fille a toujours détesté l’eau, autre que celle de la piscine.

     Quand elle a filé dans sa chambre, Orion était déçu qu’elle ne vienne pas.

  • C’est dommage, déclare-t-il.

     Je ne sais jamais vraiment quoi répondre à ce genre de réflexion. Alors je me tais et fais mine de continuer ce que je suis en train de faire.

     Orion adore l’eau, il a appris à nager assez jeune, mais il a toujours besoin d’être aidé. Il me dit que dans l’eau, il se sent léger et libre. C’est Marc qui lui a appris. C’était un nageur de haut niveau, mais je l’ai quitté il y a deux ans, il ne parlait que de lui, de ses courses et de son entraîneur. Au bout d’un certain temps, Hortensia le supportait aussi de moins en moins. Orion, lui, était vraiment triste de cette rupture. Mais je pense qu’il est plus heureux depuis que j’ai rencontré Antoine.

     Ah ! Antoine… Il est tellement compréhensif, calme et tendre. Il ne m’a jamais fait de remarque, de réflexion et pourtant, il en aurait tellement souvent l’occasion. Il aurait trop de choses à me reprocher. Mais moi, j’ai tant de points sur lesquels je devrais le remercier.

 

Salut sœurette !

Tu sais très bien pourquoi je suis partie, en tous cas, je suis sûre que tu t’en doutes. Ici, il fait beau et je pense que Luchon est une bonne cachette. En tous cas, je ne m’y ferai pas remarquer. Il ne viendra pas ici. J’ai surtout peur pour les gosses.

Il a été libéré ! J’ai très peur de son retour.

Si des gens viennent te poser des questions à propos de notre départ, dis-leur que ma marraine est décédée en Espagne d’une maladie comme un cancer. Et que l’on risque de s’y installer. Des soucis d’argent…

Je m’excuse encore de ne pas t’avoir prévenue avant.

Ne dis pas aux enfants que je t’ai envoyé cette lettre.

Tu leur manques beaucoup !

Ta petite sœur chérie

Fleur

 

*

 

HORTENSIA

 

     J’ai passé la première nuit dans cette baraque et je dois l’avouer, on y dort super bien. J’ai passé une excellente nuit. Je descends alors dans une pièce que Fleur appelle « salon ». Pour moi, ça a plutôt l’air d’un vieux fumoir en bois. Je vois alors toute ma famille, assise à la table en train de prendre le petit déjeuner. Je m’assieds avec eux.

  • Bien dormi mon trésor ? me dit ma mère.
  • Euh, oui… ai-je été obligée d’avouer.
  • Tant mieux ! Ça fait du bien l’air de la montagne n’est-ce pas ? annonce-t-elle en me regardant en particulier.

      Je la regarde d’un air de lui dire « t’es sérieuse ? ». Je réponds d’un simple :

  • Mmh…

     Puis un grand silence.

Je laisse passer le temps, observe par la fenêtre un grand soleil et un magnifique paysage. Je me dis pour me réconforter que, peut-être que le village est nul et que les gens sont chelous, mais en tout cas, c’est beau.

     Je repense à Paris. Ma ville me manque tout de même. Le bahut. Les potes. Ça va maintenant faire un jour que nous sommes ici et la capitale me manque déjà.

     Après-demain, Orion et moi commencerons l’école. J’ai le trac. De la haine aussi, contre Fleur. Je vais devoir me reconstruire, me faire une nouvelle vie. Tandis qu’Orion n’aura que besoin de se construire et de s’intégrer. Avant à Paris, il n’avait rien : pas d’école, ni d’activités ni de passion, ni rêve. Je sens que ça va être plus simple pour lui que pour moi.

 

*

 

HORTENSIA

 

     C’est le grand jour, la rentrée.

Les nouveaux visages, nouvelles salles de cours, nouveau bâtiment, une autre ambiance, de nouvelles habitudes et règles à respecter.

     Fleur me dépose devant le lycée et me dit d’aller voir l’accueil, ils m’indiqueront ma salle et ma classe. Ce matin, j’ai une tête de déterrée. Puis la voiture démarre, ma mère accompagne Orion. Tandis que je regarde les bonnes et mauvaises têtes Je me fais une idée de l’école. Beaucoup de regards sont rivés sur moi. J’entends des chuchotements, des ricanements…

     Alors, je prends mon sac, je pousse la porte et me dirige vers l’accueil comme me l’a suggéré ma mère. J’attends mon tour.

  • Quel est le problème ? me demande la dame de la CPE d’une voix rauque.
  • Je suis Hortensia Joly. Nouvelle.

     Elle décroche deux secondes le regard de son ordinateur et me jette un coup d’œil à travers ses lunettes carrées et sérieuses.

  • La nouvelle ! Ton professeur principal est Monsieur Clément, prof d’histoire. Tu as cours avec lui dans un quart d’heure dans la salle B2, tu dois monter les escaliers là-bas. Elle les pointe du doigt. C’est tout de suite à droite. Tu es dans la classe de la seconde D. Bon courage.
  • Bonne journée.

     Alors, je fais ce qu’elle m’a dit. Arrivée devant ma salle, le professeur est déjà là, mais aucun élève. Je prends la décision d’entrer. Je lui adresse la parole :

  • Bonjour monsieur.

     Il lève la tête. Je remarque qu’il a quasiment les mêmes lunettes que la dame à l’accueil.

  • Qu’y a-t-il ?

     J’hésite un instant.

  • Je suis Hortensia Joly, nouvelle dans votre classe et on m’a dit que vous étiez mon professeur principal.

     Il me fait alors un grand sourire.

  • Oui, je me présente, Camille Clément. Prof d’histoire géo. Bienvenue parmi nous.

     Je suis surprise de sa gentillesse. C’est un homme très aimable. Il est d’ailleurs le premier que j’ai croisé ici.

  •  
  • Le cours va bientôt commencer. Tu peux déjà t’asseoir.

     Je choisis une table au fond de la classe, à une seule place de préférence. M.Clement engage la conversation :

  • Pourquoi es-tu venue dans ce lycée ? me demande-t-il en corrigeant ses copies. Sa question me gêne un peu.
  • À vrai dire, je ne sais pas. J’ai déménagé ici il y a deux jours sans aucune raison.

     Il me regarde d’un air ahuri.

  • Et tu habitais où avant ton déménagement ?
  • À Paris.
  • Une petite trotte tout de même !

     Je souris. La sonnerie me fait sursauter. Les élèves entrent, s’assoient et me regardent en glissant des messes basses. Une fille s’assoit à la table juste derrière moi. Le professeur fait taire la classe. Il me présente et nous commençons enfin le cours.

  • Psst !

     Je me retourne.

  • Hortensia, c’est ça ? Je m’appelle Diane.
  • Oui, c’est ça ! Enchantée.
  • À la pause, je te ferai faire un tour du lycée.
  • C’est très gentil.

     Diane a l’air d’une fille sympa. Elle m’a fait faire le tour de l’école et m’a aussi présenté ses deux meilleurs amis : Caroline et Thomas. Je me dis au final que ce lycée, si loin de Paris n’est pas si mal. On m’a posé beaucoup de questions auxquelles j’ai eu beaucoup de mal à répondre, comme : Qui est mon père? Pourquoi je suis arrivée à Luchon ? C’était comment Paris? Ça ne te manque pas trop là-bas? À la fin de la journée, Fleur est venue me chercher. Puis nous sommes rentrées au chalet. Entre temps, je lui ai parlé de Diane, Caroline, Thomas et M. Clément.

 

ORION

 

     J’ai le trac. J’espère que ça ne va pas se passer comme dans mon ancienne école. L’un de mes pires souvenirs.

     Maman gare la voiture et nous entrons, main dans la main dans ce bâtiment si banal, me dit ma mère.

  • Ici, nous sommes dans la cour de récréation, plutôt mignonne dois-je dire. Au milieu, il y a une balançoire et un petit toboggan. Il y a à travers les fenêtres qui donnent sur la cour, des élèves comme toi, de ton âge à peu près. Mais nous sommes seuls dans la cour.

     J’essaye de visualiser un peu l’endroit.

  • Et maintenant ? On va où ?
  • Là, mon chéri, on va à l’accueil, c’est là que le directeur m’a donné rendez-vous.

 

     Maman m’assoit sur une chaise. J’entends à travers les portes, des élèves qui chahutent. L’un d’entre eux vient de faire tomber sa trousse. Les affaires font du bruit.

  • Orion ? Le directeur est là.

     Je me lève. Je le sens déstabilisé. Ça me fait rire intérieurement. Pour l’aider, je tends la main et je le sens qu’il me la sert à son tour.

  • Bonjour Orion. Je suis M. Hiebel. Je suis sûr que tu vas te faire rapidement des amis parmi nous.

     Je ne dis rien, mais acquiesce d’un signe de tête et d’un sourire forcé. Je pense que ça se voit. Mais je ne sais pas pourquoi, il ne m’inspire pas confiance. Il semble être surpris par mon silence. Je le devine à son ton de voix.

  • Euh, je vais t’accompagner, ta maman et toi à ta classe. Ta maîtresse s’appelle Mme Mésière.

     Puis je sens que ma mère me prend par la main et j’entends une porte s’ouvrir. Le brouhaha envahit mes oreilles à tel point que j’en ai mal à la tête. Puis, la voix d’une femme fait taire tous les enfants. J’entends les chaises qui grincent au sol. Je juge qu’ils sont tous debout, devant leurs chaises comme signe de politesse, envers le directeur sûrement. M. Hiebel prend alors la parole :

  • Boujour à tous. Je vous présente votre nouveau camarade. Il s’appelle Orion.

     Je sens que tous les regards sont figés sur moi. Je suis un peu gêné. Puis soudain un vacarme de chuchotements s’empare de la pièce. Je ne m’y attendais pas.

  • Bonjour Orion. Bienvenue à toi dans ma classe, me dit Mme Mésière. Viens t’asseoir. Il y a une table de libre devant.

     Cette femme a une voix très douce, agréable et plaisante. Je souris alors.

  •  

     Alors je marche, accompagné par ma mère, jusqu’à la chaise qui m’est attribuée. Je m’assieds. Maman sort ma trousse, un bruit si particulier me rappelant des années épouvantables, des vieux souvenirs qui sont très loin maintenant.

     Cette odeur de crayon de couleur, d’encre et de papier m’envahit les narines.

  • À ce soir, mon chéri, je t’aime et passe une bonne journée.

     J’ai senti que ma mère s’était baissée pour me chuchoter ces quelques mots à l’oreille. Je lui murmure au revoir. Je distingue le grincement la porte qui se ferme parmi un bourdonnement de chuchotements. Mais je reste neutre, j’ai l’habitude des commentaires, des critiques des gens sur mon handicap. Ils ne sont tout simplement pas habitués aux personnes comme moi. C’est normal, je ne peux pas leur en vouloir. Ma nouvelle institutrice vient vers moi et me tends une tablette. Elle m’explique alors que ca facilitera mon apprentissage. Ensuite, la maîtresse fait taire la classe. Puis elle continue son cours de maths.

    

     La sonnerie retentit. Les chaises grincent de nouveau contre le sol. J’entends le « zip » des fermetures éclair qui se ferment. Je sens une main qui se pose sur mon épaule. Une voix de garçon.

  • Salut Orion ! Je m’appelle Eliott. Tu vas bien ?

     Je suis un peu surpris que quelqu’un me parle.

  • Oui je vais bien merci. Tu es assis où dans la classe ?
  • La table à côté de toi.

     Des pas s’approchent de nous.

  • Alors Orion, je reconnais la douce voix de Mme Mésière. Comment ça se fait que tu aies changé d’école ?

     Je réponds avec un moment d’hésitation.

  • Je ne sais pas. Ma sœur non plus. Avant on vivait à Paris, mais je préfère ici. Là-bas, j’étais dans une école à domicile.
  • Ah oui, je vois. Ici, tu vas facilement te faire des amis. Eliott, tu te charges de lui faire découvrir les environs ?
  • Oui Madame. À demain !
  • À demain les enfants !

     Il me prend le bras. Il a l’air d’être tellement à l’aise et chez lui dans cet établissent. Même pas dix minutes, qu’on se connaît, il m’impressionne déjà.

 

  • Tu l’aimes bien la maîtresse ?
  • Je l’adore ! Je la connais depuis longtemps, ça fait deux ans que je l’ai et j’ai redoublé exprès pour repasser une année avec elle.

     Pourtant, Eliott n’a pas l’air d’un cancre.

  • Quelle est cette odeur ?
  • On s’approche de la cantine. Comment tu sais ? Je ne sens rien, moi.
  • Maman me dit que je développe des capacités que les voyants n’ont pas. Mais en échange, je ne vois rien.

     On marche toujours vers la cantine, Eliott me présente des gens, les dames de cantines, on parle, on apprend à se connaître. Il est maintenant 15h. Maman ne devrait pas tarder. Je distingue parmi le bruit des autres voitures la sienne. Eliott m’indique la portière et on se salue.

  • C’est un ami ? Me demande-t-elle dès mon entrée dans la camionnette.
  • Oui, c’est Eliott. Il est sympa, et il m’a fait faire tout le tour de l’école.

     Maman sourit d’un air satisfait. Puis je m’attache et on rentre à la maison.

  • Hortensia est encore à l’école. J’irai la chercher quand elle aura fini. Entre temps, Antoine sera à la maison.

 

FLEUR

 

     Je suis tellement soulagée ! Orion s’est fait des amis qu’il apprécie. J’ai tellement stressé quelques heures auparavant.

     Quant à moi, j’ai commencé ma première journée de travail aujourd’hui. Par chance, j’ai trouvé un nouvel éditeur. J’ai un début d’histoire, mais je n’en suis pas si convaincue.

     J’ai aussi aidé Antoine à envoyer son CV. Il écrit des articles pour le journal de la région. Ça lui plaît beaucoup de découvrir pleins de petites histoires, plus ou moins connues et de les publier. Je pense que l’on aura des réponses très prochainement. Il a un bon style d’écriture qui fait facilement craquer des patrons de presse.

     Quand je suis allée chercher Hortensia au lycée, elle m’a parlé d’une certaine Diane et de quelques autres amis. Elle n’avait pas l’air mécontente de sa journée. Un exploit…

 

HORTENSIA

 

     Ça fait maintenant deux semaines que nous sommes ici sans savoir pourquoi.

     N’empêche, je trouve ce petit village assez sympa finalement. Diane m’a trainée dans tous les petits bars, les endroits cachés, et m’a raconté tous les petits secrets qu’il ne fallait surtout pas révéler, mais que, dans le fond, tout le monde connaît.

 

     Mais ce soir à table, il s’est passé quelque chose d’étrange : on regardait, comme tous les soirs les informations. Chez moi, il y a souvent des débats politiques entre Fleur et Antoine. Les rares fois où je comprends quelque chose à tout ce charabia, j’aime bien y participer pour pimenter un petit peu les soirées.                                                            Ce soir, Antoine a allumé la télévision après les titres. Nous nous sommes souhaités bon appétit et une conversation commence alors à se former à propos de la politique de notre chef d’État. Je vois un léger sourire sur le visage d’Orion. Je souris à mon tour, comprenant qu’il rigolait plus la tension montait. On reste silencieux. C’est la que le « moment étrange » est arrivé : la présentatrice du journal annonce qu’un criminel s’était évadé de prison il y a deux semaines et que l’on n’a pas retrouvé de traces. C’est drôle : d’habitude je suis calée à propos de l’actualité, mais je n’en avais jamais entendu parler. Un fameux « Pietro Daniele ».

  • Il fait partie de la mafia italienne ? ai-je demandé.

     Fleur a l’air gênée tout à coup. Sans raison.

  • Euh peut-être, m’a-t-elle répondu très sèchement comme si elle voulait passer à un autre sujet de discussion.

     Je la regarde, étonnée. J’observe qu’Antoine aussi. Je l’interroge du regard et il me répond en haussant les épaules discrètement, qu’il n’en a aucune idée.

  • C’est assez dangereux un tueur en liberté, non ? demande Orion.
  • Assez oui, répond Antoine gentiment.

     Je le vois qu’il tourne la tête vers Fleur pour voir sa réaction. Je ne m’attendais tout de même pas qu’elle soit si brutale : elle s’est levée, toute la table a tremblé et s’est dirigée dans sa chambre à grands pas.

  • Qu’est-ce qu’elle a ? demande Orion.

     Je regarde Antoine.

  • Tu sais toi ?

(Ce n’est pas aux informations, c’est un documentaire)

  • Pourquoi a-t-elle réagi comme ça ? Non, je n’en sais absolument rien… elle m’inquiète de plus en plus, me répondit-il.

     Personne n’avait compris la situation et surtout personne n’est allé voir Fleur pour avoir une explication.

 

     Les jours qui suivirent, j’ai pris le temps pour réfléchir. Entre temps, ma mère ne nous a pas reparlé de sa réaction, ni s’est excusée de son comportement.

     Ma réflexion fut que, Pietro Daniele s’est évadé il y a maintenant trois semaines et ça fait trois semaines que nous avons quitté Paris. C’est quasiment impossible que ce soit lié, mais j’ai tout de même l’impression que ça a un rapport. Cette histoire me travaille encore et encore. Mais nous n’en avons pas reparlé avec Antoine. J’en ai, en revanche, reparlé avec Orion et lui ai expliqué que Pietro s’est évadé le jour même de notre déménagement. Il n’a pas répondu. Mais j’ai compris qu’il réfléchissait. Je l’ai laissé dans ses pensées et suis retournée dans ma chambre.

     Les jours s’écoulent.

 

     Un soir, comme tous les soirs, une semaine après l’évènement, aux informations ils ont parlé de nouveau de Pietro Daniele. La journaliste a expliqué que l’on a trouvé une trace qui prouve que cet homme a réussi à retourner en Italie, mais personne ne sait où exactement. Il est en revanche certain qu’il reviendra en France s’il n’a pas encore été retrouvé et arrêté.

     Je jette un coup d’œil à ma mère qui, ça se sent, essaye de se calmer. Mais pourquoi se fâche-t-elle dès qu’on parle de lui ? Je remarque que, cette fois-ci, tout le monde se tait, personne n’ose parler et des regards s’échangent. Un malaise se forme. Un silence aussi lourd qu’une montagne et qui m’a paru interminable jusqu’au moment où le sujet change et reparle de politique à tort et à travers.         

 

*

 

     Diane m’impressionne, elle est belle, intelligente, gentille et très sociable. Je suis vraiment contente de l’avoir.

 

ORION

 

     Moi, cette histoire me tracasse. Hortensia et moi avons fait une liste de toutes les informations qu’on a trouvées sur Pietro Daniele :

  • Un mafieux italien
  • S’est évadé de prison il y a 3 semaines
  • Grand
  • Brun
  • Fort
  • Un mafieux important
  • Un des plus dangereux

     Je ne pense qu’à lui en ce moment. J’ai déjà essayé de demander à maman pourquoi elle a réagi de cette manière, mais sans réponses. Alors avec ma sœur, on a feuilleté tous les journaux, magazines et lu tous les articles pour avoir plus d’informations personnelles à propos de Pietro.

 

 

*

 

 

HORTENSIA

 

     Cinq mois se sont écoulés.

     Dans deux jours, ce sont les grandes vacances. J’ai passé une année de dingue ! Cette école est vraiment super ! Mais une petite pause me fera du bien… Diane va me manquer, mais on s’est promis qu’on se verrait le plus souvent possible. Je profite tout de même de ces deux derniers jours.

     Avec Orion, on n’a pas arrêté de faire nos recherches sur Pietro pour autant. Nous n’avons pas avancé sur le sujet.

     Mais aujourd’hui, en mettant mes écouteurs pour écouter la radio à vélo, j’ai presque failli tomber en entendant son nom : « Pietro Daniele » ! Il a été retrouvé. Il est maintenant en cellule en Corse et a avoué qu’il avait pour intention d’aller dans le sud de la France, mais n’a pas révélé la ville en particulier. Je ne savais pas vraiment quoi en penser, il n’a rien à voir dans ma vie, à part ma mère qui fait une crise à chaque fois qu’on en parle. J’hésite à en parler à Orion car cette histoire nous obsède sans raison.

     Alors, je remonte sur mon vélo et pédale jusqu’à chez moi. En montant la dernière côte, j’aperçois Fleur, assise sur un rocher, face au lac. Un visage irritable. Son ordinateur est posé au sol, fermé. Je sais très bien que ses jours-là, il ne faut pas lui adresser la parole. Soudain, l’idée qu’elle ait l’information à propos de Pietro me traverse l’esprit, ce qui expliquerait son humeur. Toutes les questions que je me suis posées remontent à la surface.

     Quand Antoine revient avec Orion de l’école, je fais comme si de rien n’était. Ils remarquent évidemment l’état de Fleur.

  • Elle était déjà assise là quand je suis allé chercher ton frère, me dit Antoine qui est resté à la maison toute la journée.
  • Qu’est-ce qu’il y a ? demande Orion que l’on a failli oublier.

     Alors, je lui explique la situation

 

FLEUR

 

     Salut sœurette !

Comment tu vas ? Je suppose que tu es au courant : on l’a retrouvé et enfermé… il a avoué qu’il se dirigeait vers le sud de la France. Le danger se rapproche.

J’ai peur pour les enfants… j’ai entendu parler italien dans le village récemment. On va partir, loin. Très loin. C’est décidé. Nous avons réussi à nous cacher pendant trois ans et demi, mais nous avons été repérés.

Je ne sais pas vraiment comment l’annoncer aux enfants. Je ne sais pas comment je vais faire avec Antoine. Toutes ces questions ! Je galère pas mal en ce moment dans ma tête, mais ils ne s’en doutent pas, en tout cas, je pense.

Tu me manques tellement… je suis désolée pour ce que je te fais subir.

Je t’aime.

Ta petite sœur Fleur.

 

HORTENSIA

 

     Nous sommes en 2002 et aujourd’hui, je fête mes dix-huit ans ! Diane m’emmène faire la fête ce soir, j’ai trop hâte. Je n’ai toujours pas changé de lycée. Orion s’est trouvé une place dans le sien. Lui aussi va mieux. Nous avons complètement oublié Paris et cela me plait ! D’ailleurs, j’ai arrêté mes recherches sur Pietro Daniele et nous n’en avons jamais ré entendu parler.

     Ces deux dernières années, je me suis rendu compte de pas mal de choses. J’essaye d’être le plus écologique possible, je participe à des manifestations, j’organise des réunions pour en parler au lycée et sensibiliser les autres et leur faire prendre conscience de l’état de notre planète.

     C’est donc pour ça que je n’ai pas arrêté le vélo et ça me plait toujours autant ! J’en fais deux heures par jour. Je prends soin de mon corps, de ma santé et ça me passionne. Je pense que je commence à trouver ma voie. Je compte travailler dans l’écologie plus tard.

     Quant à Orion, il a maintenant douze ans et s’est mis au violon, depuis six mois. Il est vraiment doué. Son ami Eliott a sauté une classe par ce qu’il avait un excellent niveau et ne voulait pas le montrer. Mais ils se voient encore beaucoup et il aide encore mon petit frère. En arrivant ici, il y a trois ans, je n’aurais jamais pensé qu’Orion s’intégrerait aussi bien dans la société !  Ici, c’est vraiment super pour tout le monde.

     Antoine s’est bien sûr trouvé un travail qui lui plait bien. Son patron est rapidement devenu son meilleur ami. Il a un don pour se mettre les gens dans la poche.

 

     Mais ce soir, je ne veux pas y penser. C’est ma soirée et c’est tout !

 

ANTOINE

 

     Les enfants grandissent tellement vite ! Hortensia va bientôt passer son bac et étudier pour avoir son code, et peut-être le permis. Tant qu’à Orion, il révise pour son brevet. J’ai convaincu Fleur de l’inscrire à un cours de violon. Il s’y donne à fond !

     Je repense de temps en temps à Paris et quelques souvenirs remontent à la surface. Des mauvais souvenirs, à vrai dire. Par apport à Paris, ici est un endroit de rêve.

 

HORTENSIA

 

     En découvrant le cadeau que Antoine et ma mère m’ont fait, j’étais tellement heureuse ! Je ne m’attendais jamais à recevoir une telle surprise de leur part. Un vélo ! Un Grande 9 en titane. Je réfléchis déjà au record que je vais pouvoir battre grâce à cette merveille.

     Orion aussi m’a fait un cadeau : un morceau de violon sur la musique de joyeux anniversaire. C’était très mignon de sa part.

     Ensuite, Diane est venue me chercher chez moi, mais Fleur nous a répété des milliards de fois les règles de sécurité dans une boite de nuit. Après un bon lavage de cerveau, elle nous a enfin laissé partir d’un œil méfiant.

                                                                                          

 

     La musique était forte et j’étais pas mal alcoolisée, mais je m’en fichais ! Un mec trainait autour de moi depuis un bon moment et je crois que j’ai un peu flashé sur lui… je ne me rappelle plus de tout, à part son visage, un jeune homme, grand et fin. Mais je n’ai aucune idée de son prénom, ni de rien d’autre d’ailleurs.

     En me réveillant ce matin, très tard je pense, je ne suis pas chez moi. Une douleur très forte me prend soudain la tête. Je m’étire, ouvre doucement les yeux, me retourne et sursaute : je vois que je n’ai pas dormi seule, mais avec un jeune homme. Le stress me prend à la gorge. Il a l’air de dormir. J’ai toujours aussi mal à la tête. Puis je cherche mon téléphone. Je ne le trouve pas. En raison de mon agitation, il se réveille avec autant de mal que moi et aussi surpris que moi en me voyant.

  • Me dit-il doucement et avec une voix cassée.
  •  
  • Euh, Marie ? C’est ça ?
  • Ah non, moi c’est Hortensia. Et toi par contre j’en sais vraiment rien, sans le vexer.

     Un sourire sur ses lèvres le rend très charmant malgré sa tête fatiguée et à peine réveillée.

  • Moi c’est Julien.
  • D’accord.

     Un malaise prend alors une place dans ce silence. Alors je question me vient en tête, mais il me sort les mots de la bouche.

  • Il s’est passé quelque chose ?
  • Aucune idée. Pas un souvenir.
  • Tu as quel âge ? Tu es majeure ?
  • J’ai dix-huit ans depuis hier. Et toi ?

     Je sens un soulagement en lui.

  • J’ai dix-neuf ans.

    Le silence envahit alors de nouveau la chambre.

  • Bon bah, il faut que j’y aille.

     Il acquiesce d’un signe de tête d’un air de dire « désolé ». Derrière le lit, je vois ma veste étalée sur le sol.

  • Je te raccompagne ?
  • Je veux bien.

     J’enfile une chaussure sans trouver la deuxième, mais en levant la tête, je la vois au-dessus de l’étagère. Julien tend le bras pour l’attraper. Il a l’air sympa et a une silhouette de rêve.

     Puis il me guide jusqu’à la porte d’entrée.

  • À bientôt j’espère. M’a-t-il dit en m’ouvrant la porte.
  • J’espère aussi. Au revoir.

     Arrivée en bas de son immeuble, je cherche mon chemin avant de me rendre compte que je suis dans ma rue et que deux maisons plus loin, c’est la mienne. C’est dingue le hasard !

 

 

 

ORION

 

     Hortensia est rentrée vers midi et a prétexté qu’elle a dormi chez Diane, mais j’ai très bien senti dans sa voix qu’elle mentait.

  • Je retourne me coucher. À tout à l’heure.

     Ma sœur a roupillé toute la journée et s’est relevée seulement pour le dîner. Même mon violon ne l’a pas réveillée.

 

« LUI »

 

Putain de flics !

 

HORTENSIA

 

     Ça y est, c’est les vacances ! Diane monte sur le porte-bagages de mon vélo. Je pédale.

  • Tu pars en vacances ? lui ai-je demandé.
  • En Grèce un mois. Et toi ?

     Je suis un peu déçue. Je ne vais pas la voir pendant un mois entier.

  • Non, moi je reste ici. Fleur ne nous emmène que de temps en temps en week-end à l’improviste dans des endroits que personne ne connaît. Je sais pas pourquoi elle aimerait ce genre de vacances.
  • Tu n’es jamais partie une semaine entière ?!
  •  

     Sa réflexion m’a un peu blessée. Puis je me rappelle de mon seul voyage scolaire mais je ne lui dis pas, je n’ai pas envie d’en parler.

     Je ne m’arrête pas de pédaler. Je réfléchis à ce que j’ai à faire à la maison. Rien.

     Enfin, on arrive devant la maison de Diane. Elle descend et me dis au revoir.

  • À dans un mois ! Bonnes vacances ! me dit-elle en se dirigeant vers la porte de sa chez elle.

     Puis je rentre chez moi. Il n’y a personne. Alors je me mets rapidement en tenue de sport et remonte sur mon vélo. Je ferme la porte du chalet à clef et commence à pédaler. Je vais en forêt. Je pédale, pédale, pédale. Je me change les idées. Je sors enfin de mes révisions du bac, interminables. L’année prochaine, je fais une pause. Je compte faire après une année de droit dans une université à Rennes.

     Soudain, je suis expulsée de ma selle. Une branche a surgi d‘un coup sans que je m’en rende compte. Je me retrouve au sol. J’ai très mal à la cheville. Super pour un premier jour de vacances ! La roue avant de mon vélo s’est détachée et je l’aperçois quelques mètres plus loin sur un chemin forestier. J’ai du mal à me relever et à bouger ma cheville. Je ne remonterai pas sur mon vélo tout de suite en tout cas.

 

FLEUR

 

     Je suis à l’hôpital. Les garçons ne devraient pas tarder à arriver. Ces vraiment pas de bol ! Le docteur arrive enfin dans la salle d’attente. Il rapporte des nouvelles.

  • Mme Joly ? Demande-t-il.

     Je me lève assez brutalement.

  • Oui c’est moi. Des nouvelles ? Comment va-t-elle ?
  • Elle s’est cassé la jambe et a le bras légèrement foulé.
  • Je peux aller la voir ?
  • Oui bien sûr ! Elle est en mauvaise état physiquement mais elle va très bien dans sa tête. Heureusement qu’elle avait son casque.

     Il me montre le chemin et je presse le pas. Je pousse la porte de la chambre et je vois ma fille allongée. Elle a l’air fatiguée.

  • Bonjour mon trésor. Comment tu te sens ?
  • Plutôt bien. Mais j’en ai pour trois mois avec ma jambe.
  • Ça sera plus rapide pour son bras. Juste deux ou trois semaines.

     Je sursaute. Je ne savais pas que le docteur m’avait suivie.

  • Tu es droitière ? Demande-t-il à Hortensia.
  • Pas de chance que je sois tombée sur ce bras là.

     Je m’adresse au docteur.

  • Elle devra rester combien de temps à l’hôpital ?
  • Oh ! Elle peut partir maintenant si elle se sent d’attaque. Comment tu te sens ?
  • Plutôt bien. Tu es venue en voiture, maman ?
  • Tu veux partir ?
  • Avec plaisir !

     Le docteur et moi l’aidons à se relever. Je lui tends ses béquilles. On se dirige vers la sortie accompagnées par le médecin.

  • À bientôt ! Enfin, n’espérons pas…
  • C’est ça. Au revoir et merci encore.

     Sur le parking, ma fille et moi voyons une voiture se garer. La portière s’ouvre et Antoine sort. Il ouvre ensuite la porte à Orion qui sort à son tour. Je leur fais un grand signe de la main. Alors, Antoine nous aperçoit. Il prend Orion par la main et s’approche de nous.

  • Comment tu vas ? demande Orion à sa sœur d’un air inquiet.
  • Plutôt bien mais je me sens fatiguée.

 

HORTENSIA

 

     Deux semaines maintenant que je me repose. Mon bras va de mieux en mieux mais j’ai toujours mes béquilles et ça ne guérit quasiment pas. À vrai dire, ça m’inquiète un peu : le médecin a dit que au bout de deux semaines ça irait déjà un peu mieux mais je n’ai vu aucunes différences. Ça doit sûrement mettre un peu plus de temps que prévu mais ca devrait aller, je pense.

     Ce soir, Orion passe un examen au concervatoire. Il va jouer « l’été », des Quatre Saisons de Vivaldi. Je l’entends qui s’entraîne dans sa chambre. Ce gamin m’a fait aimer la musique classique et depuis, j’en écoute volontiers. Je monte les escaliers avec soin pour éviter de tomber une seconde fois, et surtout pas dans mon état. Je me suis entrainé à monter les escaliers seule avec les béquilles et je suis assez fière de moi, je m’en sors plutôt bien.

     J’arrive enfin devant la chambre de mon frère. Je toque. La mélodie de violon s’arrête brutalement.

  • Je peux entrer ? Lui ai-je demandé d’une voix douce.
  •  

     Il a reconnu ma voix. Je pousse la porte et je le vois debout dans sa chambre.

  • J’ai la partition dans mon sac sur mon lit. Est-ce que tu peux me dire si c’est bien cette note ?

     J’avais oublié, Orion doit apprendre ses partitions par cœur. Il ne peut évidemment pas les lire. Il n’a pas accepté de les prendre en braille.

  • J’arrive.

     Je m’assois sur son lit et ouvre son sac. Je sors la feuille de papier et lui indique la bonne note. Il joue si aisément. Il a l’air emporté par la mélodie.

  • T’as le trac ? Ai-je demandé quand il s’est assis à côté de moi sur son lit.

     Il pose son violon sur ses genoux et soupire.

  • Oui, a-t-il avoué en chuchotant. Ça va faire deux jours que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Enfin, pas l’œil évidemment. C’est pas ce que je voulais dire.

     Je vois un léger sourire se former sur ses lèvres. C’est réciproque.

 

     Quelqu’un toque à la porte d’entrée. Je descends les escaliers et j’ouvre. J’entends mon frère crier : « Ça doit être le facteur ! Luna a répondu ! ». C’est bien le facteur.

  • Julien ?

     Il a l’air tout aussi étonné que moi.

  • Euh, salut. À vrai dire, je pensais ne jamais te revoir.
  • Moi non plus.

     Le malaise s’installe. Il croise mon regard et rompt le silence.

  • Sinon, comment tu vas ?
  • Bien et toi ?
  • Bien merci.

     Julien décoche le premier sourire et reprend :

  • Tiens, j’ai une lettre et un colis pour toi.

     Il me la tend. Une lettre de Luna ! Je me retourne et crie dans la maison :

  • Orion ! C’est tante Luna ! Elle nous a écrit.

     Je vois Orion descendre les escaliers. Il vient jusqu’à moi.

  • Bonjour monsieur.

     Ça fait sourire Julien :

  •  

     Orion salue Julien et remonte dans sa chambre, la lettre en main.

  • C’est ton petit frère, je pense ?
  • C’est Orion.
  • Il est mignon.
  • Merci, je souris. Et du coup tu es aussi facteur ?
  • Oui, comme job de vacances. Il jette un coup d’œil à son écran. Oh mince ! Je suis à la bourre, faut que j’y aille. Désolé, à bientôt.
  • Salut !

    

     Je referme la porte. J’ai été heureuse de le revoir et en même temps, mal à l’aise. Je me demande d’ailleurs pourquoi je suis contente, je le connais à peine.

 

     Puis Orion me demande de lui lire la lettre que Luna nous a écrite. Il me la tend et je l’ouvre délicatement. Puis je sors le morceau de papier et commence à lire à haute voix :

 

     Coucou sœurette !

 

  • Ah ! Visiblement cette lettre ne nous est pas adressée.

     Alors je remets la lettre dans son enveloppe mais Orion me l’interdit.

  • Non, je veux savoir ce qu’elle écrit à maman !
  • Mais ça se fait pas, c’est pas nos affaires.
  • Peut-être mais de toute façon, maman nous dira ce qu’elle nous a écrit alors autant le lire maintenant. Et puis elles n’ont rien à cacher à priori.

     Alors je réfléchis un moment. Orion m’a convaincue et au fond de moi, j’ai aussi envie de lire cette lettre. Alors je la sors de l’enveloppe et reprends ma lecture :

 

Je viens chercher les enfants dans une semaine. Après, tu nous rejoins « tu sais où » et on va jusque « là bas ». Quand on est arrivés, il faut apporter toutes les affaires aux avions, tu vois ce que je veux dire, et on reste, enfin nous deux peut-être pas. On ne peut pas leur expliquer tout de suite. J’ai tout calculé : 73 heures. On se voit bientôt alors.

 

Au revoir.  

 

ORION

 

  • C’est quoi tout ca ?! On part ? Ai-je demandé, paniqué.
  • Je n’en sais rien. Elles communiquent en messages codés mais elles ont l’impression de très bien savoir de quoi tante Luna et Maman parlent entre elles.

 

     Elle non plus n’a pas l’air de comprendre et semble un peu perdue dans tout ce charabia. Puis, ma sœur interrompt ce silence de réflexion :

  • Pas un mot. Pas un mot à Maman. Elle ne doit pas savoir qu’on a lu cette lettre. On n’aurait jamais dû la lire d’ailleurs.

     Je ne comprends pas pourquoi elle réagit comme ça.

  • Mais si ! Au contraire, il faut lui demander tout ce que cela veut dire. Qu’est-ce qu’elle peut pas encore nous expliquer ? Et puis ça signifie quoi les « là bas » ou les « tu vois ce que je veux dire » et les…
  • Pas un mot ! C’est clair ?

    À contre cœur, je me tais et lui promets que je ne dirai rien à Maman. Puis je retourne dans ma chambre et j’attrape mon violon. J’y joue sans arrêt jusqu’à épuisement.

 

HORTENSIA

 

     Je m’allonge sur mon lit et fixe le plafond. Je repense à cette lettre qui n’aurait jamais dû tomber entre nos mains ou alors pas maintenant.

     Je croyais que les petits secrets de ma mère étaient finis, qu’elle avait enfin arrêté de nous cacher un tas de petites choses mais je me trompais !

 

     Le soir, quand Fleur est rentrée, mon frère et moi étions tous les deux troublés.

  • Bah, qu’est ce que vous avez les enfants ? A-t-elle demandé sans comprendre la situation.

     Orion n’a rien répondu, alors j’ai pris la parole :

  • Rien de spécial. Un peu fatigués, c’est tout.

     Mais elle a senti que je mentais.

 

FLEUR

 

     Ils me cachent quelque chose. Ma fille ne sait pas mentir. Ça se voit. Elle a l’air mal à l’aise.

  • Ah, au fait, le facteur est passé déposer un colis et une lettre.

     Elle me tend la lettre. Je l’attrape.

  • Elle t’est destinée. C’est de la part de Luna.
  •  

     Je vois Orion qui nous écoute d’un air attentif. Puis Hortensia se penche à mon oreille et chuchote ces quelques mots :

  • Les colis, c’est l’archet que tu as commandé à Orion pour son anniversaire ?

     Elle a deviné. Et j’aquiesce d’un signe de tête, suivi d’un sourire.

  • Je monte dans ma chambre. J’ai un peu d’inspiration pour écrire. D’ailleurs, vous allez bientôt pouvoir lire mon prochain, si ça vous dit.

     Orion ne dit rien. Il n’est jamais si silencieux, d’habitude. Son attitude m’inquiète.

  • Ça va mon chat ? Tu n’as pas l’air en forme ce soir.
  • Si, si ça va. Je suis un peu patraque c’est tout.

 

HORTENSIA

 

     Maman pose ses affaires dans l’entrée et monte deux à deux les marches de notre escalier en bois qui, à chaque pas, craque.

     Beaucoup de choses se mélangent dans ma tête mais plus particulièrement cette fameuse lettre et cette rencontre avec Julien. Je ne sais pas si on part pour de bon ou juste pour quelques jours. Je ne sais pas où on va. Je ne sais pas non plus si je vais revoir Julien. Je pense qu’il faut que j’aille me reposer.

 

     Je n’ai pas bien dormi cette nuit. Je repense à tout ce qui s’est passé la veille. J’allume l’écran de mon téléphone pour voir l’heure : 6h59.

     Je descends et j’allume la radio en buvant un café.

 

Bon réveil à tous, il est 7h. Côté météo, il va faire beau toute la journée avec des températures plutôt froides dans la matinée mais un réchauffement est à prévoir à partir de midi. Nous dépasserons les 20 degrés.

Et maintenant, les informations de la veille : Pietro Daniele a été libéré. Le mafieux italien sous les verrous depuis 15 ans a été libéré ce matin en Corse. Il reste évidemment sous surveillance.

 

     J’ouvre grand les yeux et crache la gorgée de café. J’écoute alors le plus attentivement possible la suite.

 

Il a promis, au moment de sa libération de ne plus jamais avoir de liens avec la mafia et qu’il avait pour seul but de retrouver sa famille : sa femme et sa fille. Il a avoué qu’elles lui manquaient beaucoup et que…

 

     Fleur vient de débrancher la radio.

  • Pourquoi tu as fait ça ?

     Elle marqua une pause avant de répondre.

  • J’avais envie de déguster un bon café avec ma fille, sans ce bruit qui casse les oreilles !
  • Peut-être, mais ça m’intéresse.
  • Laisse tomber, je ne rallumerai pas, m’a-t-elle dit sèchement.

     Alors je prends mon courage à deux mains.

  • Qu’est ce qu’il a ? Tu le connais le prisonnier libéré ce matin ? À chaque fois qu’on en parle, tu te fâches ou tu t’en vas, et cette fois-ci, tu débranches la radio ! Explique-toi !

     Elle semble embêtée.

  • Mais non, ça n’a rien à voir.
  • Alors qu’est-ce que c’est cette attitude ?

     Elle n’a pas répondu. Ça me fout encore plus en rogne.

  • Tu veux encore du café ? M’a-t-elle demandé.
  • Je crois que je suis assez énervée pour aujourd’hui. J’ai eu ma dose de caféine !

     Sur ces mots, je me lève, attrape mes béquilles et monte prendre ma douche pour me changer les idées et surtout me calmer.

 

     Orion avait besoin de sortir un peu, de prendre l’air. Moi aussi. Je lui enfile son manteau, m‘empare du mien. Maman est partie chez son éditeur. Antoine descend brusquement les escaliers. Il a beaucoup de dossiers, de feuilles et de documents sous le bras. Ses lacets ne sont pas faits et sa chemise est toute froissée. Il nous voit et nous crie :

  • J‘ai un scoop ! Faut que j‘y aille, je pars au journal. À toute les gosses !

     Il prend une veste au hasard et sort en courant. Orion et moi n‘avions pas eu le temps de dire un mot que la porte avait déjà claqué.

  • Ça avait l‘air d‘être drôlement important comme nouvelle, a doucement dit Orion.

     Je réponds d‘un « Mmh » pour acquiescer.

    

     On sort enfin de la forêt. On a fait le plein d’air frais, même si ça n’a pas été la promenade la plus pratique. Les petits rochers gênaient mes béquilles et je devais veiller sur Orion. Arrivés en haut de la colline, nous nous sommes assis sur un tronc d’arbre. Nous y sommes restés une bonne demi-heure. Puis nous avons tout redescendu, s’aidant mutuellement.

     Mon téléphone vibre.

  • C’est un message de maman. Elle nous demande d’aller chercher du pain. On a qu’à s’arrêter à la boulangerie qui fait le coin. Tu vois de laquelle je parle ?
  • Tu as de l’argent ?
  • J’ai dix euros.

     Je mets ma main dans la poche de ma veste pour vérifier si ce que je dis est juste. Je sens le billet au bout des doigts.

 

     La porte automatique s’ouvre, j’attrape la main de Orion et le tire à l’intérieur. Je salue la boulangère, une amie de Fleur.

  • Bonjour Madame Charmant !
  • Bonjour Hortensia ! Salut Orion. Vous allez bien ? Tu as des béquilles, comment ça se fait ?
  • Une mauvaise chute à vélo.
  • Alors les enfants, qu’est ce que je vous sers ?
  • Une baguette s’il vous plaît ! A annoncé Orion d’une voie déterminée, ce qui a fait rire Madame Charmant.
  • Tiens ma belle, ca fait 1euro et 10 centimes, m’a-t-elle dit en me tendant le pain.
  • Voilà pour vous, lui dis-je en attendant la monnaie. À bientôt merci !
  • Au revoir ! Lui a crié Orion pour la faire rire.
  • À bientôt les enfants !

     La porte automatique s’ouvre à nouveau.

  • On rentre à pied ?
  •  

     Dans cette rue, les vitrines sont belles. J’ai voulu m’arrêter à la boutique de chaussures où travaille Diane. C’est dommage qu’elle soit partie en vacances.

  • On va chez Diane ? C’est mon cadeau pour ton anniversaire. Ça te va ?
  • Bonne idée !

     Je pousse la porte du magasin. Je cherche plusieurs paires de baskets qui pourraient plairent à mon petit frère. Je ne trouve pas la bonne pointure. Une voix dans mon dos.

  • Je peux vous aider ?

     Je reste concentrée sur mes chaussures mais je lui réponds tout de même.

  • Oui s’il vous plaît. Je cherche cette paire de chaussures en 37s’il vous plaît.

     Je me retourne pour la tendre au vendeur.

  • Julien ?
  • Hortensia !

     Il se penche pour me faire la bise. Je suis surprise.

  • Mais tu travailles à La Poste ET ici ?
  • Non, pas tout à fait. Je sais que ce n’est pas très légale mais je remplace au black ma sœur, Diane, qui est partie en vacances.
  • Diane ?
  • Tu la connais ?
  • C’est ma meilleure amie, quelle coïncidence !

     Du coup je panique en réalisant que j’ai peut-être couché avec le frère de ma meilleure amie. Je vois dans son regard qu’il pense la même chose…mai dans l’autre sens.

     Le silence s’installe. Il regarde la paire de chaussures qu’il a a dans la main et se rappelle soudain pourquoi il est là.

  • Bon, je vais voir s’il en reste en stock. Pointure 37 c’est ça ?

     Je hoche timidement la tête et je retourne avec mon frère, un peu déçue. 

  • Tu étais où ?
  • Bah, je suis allée chercher des chaussures mais il n’y avait pas ta taille. Du coup un vendeur est allé voir en stock si il en reste. Il ne devrait plus tarder maintenant.
  • Elles sont comment les baskets ?
  • Noires avec des rayures blanches sur les côtés. Les semelles aussi sont blanches.

     Il sourit.

  • Voilà. Vous avez de la chance, c’était la dernière en 37.

     Sa voix me fait chaud au cœur.

  • Le facteur ?
  • Tu te rappelles de moi ?
  • Bah oui. C’est facile avec toi. Ta voix est très cassée comme celle de ma sœur mais elle est assez aigüe pour un homme. Tu dois avoir environ le même âge qu’elle.

      Il a l’air d’avoir sous estimé mon frère.

  • Wouah ! Tu as raison sur tout.

     J’échange un regard avec Julien.

 

JULIEN

 

     Elle a des yeux magnifiques. Je pourrais la regarder toute la journée sans jamais me lasser. Ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti quelque chose pour quelqu’un. Puis je me rappelle la présence de son petit frère.

  • Bon alors, on l’essaye cette paire ?

 

     Ils passent à la caisse, me remercient et me disent au revoir. Je reste planté là, comme un idiot en les regardant s’en aller. Un client me tapote l’épaule.

  • Qu’est ce que vous attendez ? Allez-y, rattrapez-la !

     Je réalise la bêtise que je suis en train de commettre. Comme un con, je la regardais s’en aller. Je prends mon courage à deux mains et courre vers la sortie, sors dans la rue. Avec soulangement, j’aperçois Hortensia et son petit frère, main dans la main. Je la rattrape, lui pose la main sur l’épaule. Ell e se retourne.

  • Écoute, faut qu’on se donne les moyens d’être fixés. Faut qu’on se revoie.

 

HORTENSIA

 

     Je ne pensais pas qu’il nous aurait suivis mais je suis tellement contente. Je lui adresse un grand sourire qui a l’air un peu idiot mais que je n’arrive pas à chasser de mes lèvres.

  • Vendredi ? 20h30 chez Piccolo ? Ça te va ?
  •  

     J’ai répondu sans même réfléchir. Je ne sais d’ailleurs même pas si je suis libre ce jour là. Mais je m’en fous ! Peu importe ce qu’il peut y avoir de prevu, j’annulerai.

  • Faut que j’y retourne. À vendredi.

     Il est reparti comme il est arrivé : en courant à grands pas.

  • À vendredi, ai-je chuchoté sans bouger, en le fixant, le regardant s’éloigner.

     Orion me sort de mes pensées :

  • No comment, a-t-il dit en rigolant.
  • Non, je te le conseille fortement.

     On reprend notre marche. Je jette un coup d’œil à mon téléphone.

  • Sérieux ?! On est mercredi ? Je n’ai que deux jours pour me préparer !

     Je viens de me rendre compte que j’ai réfléchi à voix haute. Mon frère prend une voix de fille et commence à ce moquer de moi :

  • C’est pas possible ?! Mais quelle tenue je vais bien pouvoir mettre ? Et comment je vais arranger mes cheveux ? Et puis je ne sais même pas quelle couleur de rouge à lèvre je vais bien pouvoir mettre. En plus ma super copine Diane n’est même pas là pour m’aider ! Comment je vais sortir de ce cauchemar ! Et puis…
  • Eh ! Stop, arrête ! C’est pas drôle. Tu sais pas de quoi tu parles.

     Il continue à se moquer.

 

« LUI »

 

  • Merde ! Le sac est plus dans le coffre ! C’est toi qui l’as pris ?
  • J’y ai pas touché, chef. Je suis sûr que c’est cette conne.
  • Mais non ! Elle a trop peur de moi pour l’avoir fait. Mais aide-moi à chercher au lieu de rester planté là !

 

ORION

 

  • Si j’ai bien compris, Luna vient nous chercher dans trois jours, c’est ça ? ai-je demandé à ma sœur sur le chemin du retour.

     Elle ne me répond pas. Elle n’a pas l’air d’être avec moi. Je la rappelle.

  • Hortensia ?

     J’ai l’impression de l’avoir sortie de ses pensées. Elle sursaute.

  • Quoi ?
  • Tu pensais à quoi ?
  • À rien, laisse tomber.
  • Tu pensais à Julien.
  • Arrête avec ça ! Ce ne sont pas tes affaires !
  • Mmh, ai-je répondu en rigolant discrètement, ce qui a le don de l’énerver.
  • Alors ? Qu’est-ce qu’il y a ?

     J’en avais presque oublié le sujet de la discussion.

  • Luna viendra nous chercher dans trois jours ?
  • C’est ce que j’ai compris, mais peut-être que ça veut dire autre chose.

     J’ai soudain moins envie de rire. Elle reprend.

  • Imagine qu’on force quelqu’un à vivre autre part sans lui demander son avis. Moi, j’appelle ça un kidnapping, eux, un déménagement.

 

     On vient d’arriver aux pieds de notre chalet.

  • La voiture d’Antoine est là, me prévient Hortensia.
  • Qu’est-ce qu’il fait là à cette heure-ci ?
  • J’en sais rien.

     Ma sœur pousse la porte d’entrée. Je l’entends grincer.

  • Bah, qu’est ce qu’il y a ? Demande ma sœur d’une voie très étonnée.

     J’en déduis alors qu’elle parlait à Antoine et qu’il est dans le salon. Il ne doit pas être très joyeux.

- Mon article a été refusé. Mon patron a dit que c’était une horreur.

     Je comprends alors qu'il parle du scoop de ce matin. Hortensia me lâche la main. J'entends la chaise qui grince sur le sol, sûr laquelle vient de s'asseoir ma soeur.

- Ca va aller. C'était quoi ton scoop ?

     Il soupire.

- J'ai découvert que le mafieux Pietro Daniele, a avoué qu'il cherche sa fille et sa femme.

- Pietro Daniele ? Ai-je chuchoté, bouche-bée.

     Hortensia semble aussi surprise que moi. Sa voix tremble.

- Tu as d'autres informations ?

- Non. Dommage.

     Je me tais. Je ne veux pas que Antoine nous pose des questions et découvre nos petites recherches.

 

FLEUR

 

     J’ai les yeux explosés derrière mon ordinateur portable. J’ai mal aux genoux à force d’être en tailleur mais je n’arrive plus à m’arrêter d’écrire. Mes doigts tapent tout seul sur les touches. Je n’ai plus qu’une semaine pour finir. J’ai d’ailleurs qu’une seule semaine pour écrire car je n’ai que commencé il y a deux heures. Je vois, en bas à gauche de mon écran, écrit en petit qu’il est maintenant 4h00 du matin. Mes yeux se ferment tout seul mais mon corps me dit de rester éveillée, j’ai l’impression que je pourrais écrire tout en dormant. Un geste automatique.

     Le matelas à côté de moi bouge mais je ne m’en rends même pas compte tout de suite.

 

ANTOINE

 

     Une lumière bleue et un bruit de clavier me réveillent. Je me retourne.

  • Tu dors pas ?

     Fleur sursaute. Elle ferme violemment son ordinateur. J’ai l’impression de l’avoir prise en flagrant délit, mais je n’ai aucune idée de pourquoi elle a réagi comme ça.

  • Non, je ne dors pas. Je… je regardais juste l’heure.
  • Tu es sûre que tout va bien ?
  • Oui, j’en suis sûre.

     Un blanc s’installe. Puis la fatigue me retombe instantanément dessus. Je reprends alors doucement la parole.

  • On va dormir maintenant, tu es d’accord ?

     Après un petit moment d’hésitation, elle hoche la tête.

     Je tire doucement la couverture. Fleur s’allonge sur le même rythme. 

  • Bonne nuit, dors bien ma belle.
  • Bonne nuit. Je t’aime.

     Mes paupières se sont à peine refermées que je dormais déjà.

 

HORTENSIA

 

     Je n’arrive pas à dormir. Je fixe le plafond. Je cherche un moyen de m’endormir mais j’ai déjà compté jusqu’à 13 543, et je commence à désespèrer un peu.

     Je n’arrive pas à me sortir de la tête que je vais revoir Julien.

     Je débranche mon portable. Finalement, en réalisant que c’était un geste machinal, je l’éteins. Je repense à la lettre de Luna. Plein de questions se bousculent dans ma tête : où nous kidnappe-t-elle encore ? Pourquoi part-on ? Sommes-nous en danger ? Qui pourrait nous vouloir du mal ?

     Sur ces pensés, mes paupières se ferment et je m’endors.

 

 

ORION

 

     Je descends dans le salon pour prendre mon petit-déjeuner. Je reconnais la toux d’Antoine. Je m’assois à ma place.

  • Salut mon grand, qu’est-ce que je te sers ?

     J’entends ma sœur qui descends les escaliers, elle range, semble être en retard.

  • Je veux bien de la confiture.

     Antoine dévisse le couvercle. Il me demande :

  • Est-ce que tu sais ce qu’a Hortensia ? Ça va faire bientôt une heure qu’elle court partout en regardant sa montre. Elle s’est faite toute belle mais elle ne m’a même pas encore remarqué depuis que je suis descendu.
  • Elle a un rendez-vous.
  • Vraiment ? Avec qui ? Tu en sais plus ?
  • Avec Julien.

      Il laisse un silence qui sous-entend qu’il veut que je lui en dévoile bien plus.

  • Alors, Julien c’est le grand frère de Diane. Hortensia n’a pas voulu me dire comment ils se sont rencontrés. Ils se sont revus ici, au chalet. Il bossait comme job d’été en tant que facteur. Enfin je crois, c’est ce je j’ai entendu du haut des escaliers.

 

     Le bruit que Hortensia faisait m’a coupé dans ma discussion. J’ai repris en haussant la voix d’un ton.

  • La seconde fois, c’était au magasin de chaussures.

     J’entends son pas dans les escaliers, elle monte à l’étage. La bouche pleine, Antoine me dit :

  • En tout cas, cha a l’air de l’obchéder chette hichtoire !

     Je croque une bouchée dans ma tartine de pain.

  • Cha, tu peux le dire !

 

FLEUR

 

     Ça sonne. Je décroche, j’attends et j’entends la voix de ma grande sœur à l’autre bout du fil.

  • Fleur ? C’est bien toi ?
  • Oui c’est moi. Comment tu vas ?
  • Je suis fatiguée. Je prépare tout ! Les enfants sont au courant ?
  • Non, pas encore. Je ne sais…
  • Pas encore ?! Mais ils sont grands, ta fille a 18ans et le gamin en a 14.
  • Je ne sais pas par où commencer ! J’ai peur de leur réaction.
  • Ne t’inquiète pas, ils vont sûrement mettre un certain temps à nous pardonner mais ils comprendront. Et pour Antoine ?

     Je ne réponds pas, je n’ai pas envie de lui expliquer. Heureusement pour moi, elle comprend :

  • D’accord.
  • Voilà.

     Le silence nous interrompt quelques secondes.

  • Je suis désolée, je te laisse, je dois encore signer les papiers, j’ai trouvé de nouveaux acheteurs. Donc on fait comme on a dit ?
  •  
  • D’accord, salut ma belle !
  •  

 

HORTENSIA

 

 

     Mes béquilles me gênent. Je dois tout préparer et c’est au moment où le seul garçon que me propose un rendez-vous, j’ai la jambe cassée, mais heureusement pour moi, mon bras va beaucoup mieux.

     Je me pose enfin ! M’allongeant sur mon matelas, j’allume mon portable, compose le numéro et appelle Diane. Ça sonne dans le vide. J’attends. Soudain, sa voix au bout du fil. Un soulagement m’envahit. Je n’avais qu’une envie, lui raconter ma rencontre avec Julien, le rendez-vous de ce soir et les deux autres rencontres, au chalet et au magasin. Puis il me revient à l’esprit que Diane est la petite sœur de Julien. Je ne vois donc pas pourquoi je l’ai appelée si je ne peux pas tout lui raconter. Je pense que si c’est du sérieux entre nous, c’est encore trop tôt pour qu’elle le sache.

  • Allô ?
  • Coucou !

     Elle reconnaît ma voix.

  • Salut Hortensia, tu vas bien ?
  • Ça va ! Je sens que je n’ai pas l’air très convaincante mais je reprends Et toi ? Tes vacances, raconte-moi !

     Elle marque une pause. Puis elle me raconte chaque jour en détails, je ne l’écoute plus qu’à moitié. Je repense à son frère. Je me fais des films dans ma tête. Des questions auxquelles j’essaie de répondre : comment ça va se passer ? J’espère qu’il sera comme il est, lui. Quel scénario ? Va-t-il me surprendre ?...

  • Hortensia ? Tu m’écoutes ?

     Diane me sort de mes pensées. Je me sens obligée de lui mentir.

  • Oui, bien sûr ! Ça a l’air super !
  • De se faire piquer par une méduse ? Tu trouves ?

     Je rame et plus je rame, je m’enfonce. On se dit au revoir, elle raccroche. Je repose mon portable sur les draps, sur lesquels je suis allongée. Le stress m’emporte. Je regarde une dernière fois l’heure, il est 10h16. Puis, comme pour se protéger, mon corps s’endort.

 

     Je me réveille en sursaut quand Antoine me secoue légèrement l’épaule.

  • Oh la, calme-toi, il me laisse reprendre conscience, ça va ?

     Je regarde autour de moi. Il reprend.

  • Je t’ai réveillée car j’ai entendu que tu avais un rendez-vous.
  • Qui te l’a dit ?
  • Peu importe. Le problème, c’est qu’il est 18h30.

    

Je fais rapidement le calcul et réalise que je dois y être dans 2h !

 

  • Tu pourras m’accompagner ? Ai-je demandé à Antoine en lui montrant mes béquilles.

     Il ricane, gentiment. Il dit oui de la tête, je le remercie d’un sourire.

 

     Enfin prête ! J’ai mis mon pantalon noir et mon chemisier blanc avec des reflets bleus et argentés.

     J’ai le trac. En jetant un coup d’œil par la fenêtre, je distingue parmi les arbres la camionnette blanche de Maman. Antoine l’a garée tout en haut de la montée. Il pense à tout !

     Je sors dans le jardin avec mes béquilles, puis, arrivée à la voiture, Antoine m’ouvre la portière. Il la claque ensuite derrière moi.

    

     Après quelques minutes de trajet, il m’adresse la parole :

  • Alors ? Je t’amène où ?
  • Chez Piccolo.
  • Wow ! C’est chic pour un premier rendez-vous.
  • C’est bon…

     Il continue à se moquer de moi. Mais ce n’est pas la première chose que me préoccupe en ce moment. Je n’arrive pas à réaliser que je vais revoir Julien mais que cette fois, c’est prévu.

     Puis une question me passe par la tête :

  • C’était comment ton premier rendez-vous à toi ?

     Il rigole. Il est la personne parfaite pour détendre l’atmosphère.

  • C’était tellement gênant. Totalement raté !

     Je retire tout de suite ce que je viens de dire. Du coup, ça m’inquiète encore plus.

  • J’avais, comme toi, 19 ans. J’avais invité une fille très belle et je pense qu’elle m’avait dit oui car je lui faisais de la peine. Elle doit sûrement le regretter, d’ailleurs ! Je lui avais donné rendez-vous dans un parc d’attraction.

     Un sourire me vient aux lèvres. Les yeux rivés sur la route, il reprend.

  • Mais tu me connais, je ne tiens pas du tout les sensations fortes. J’ai dégueulé pendant 2 heures. Puis, on s’est acheté une glace qui a fondu dans la seconde. Elle m’a pris pour un porc car j’avais plein de glace sur tout le visage, qui a fini par couler sur mon t-shirt. Elle a séché et tout a collé. Elle m’a dit au revoir et on ne s’est jamais revu, je ne lui en veux pas.
  • C’est rassurant !
  • Mais ne t’inquiète pas, je suis sûr que pour toi, tout va bien se passer. Ah tiens, on est arrivé !

     Il se gare. Antoine fait des créneaux catastrophiques ! Il éteint le moteur et vient m’ouvrir la portière. Il m’aide à me lever. On s’assoit à la tablée qui est réservée.

  • Tout va bien ?
  • Ça va, ça va…

     La porte du restaurant s’ouvre. C’est lui ! Mon cœur bat la chamade. J’ai très chaud d’un coup. Il me voit, me fait signe.

  • Il est pas mal… me chuchote Antoine sur le ton de la rigolade.

     Il se prend un coup de coude dans la côte.  

  • Aouch !

     Julien s’approche. Il s’assoit. Antoine se présente puis s’en va. Je le remercie.

     Tout le repas, nos regards se sont croisés. Il m’a avoué qu’il était aussi nerveux que moi et que ça fait trois jours qu’il ne peut plus dormir. Il me fait rire, sourire. On apprend à se connaître mais pas une fois, nous n’avons abordé le sujet de Diane.

 

FLEUR

 

     C’est le grand jour. Il est 23h02. Luna devrait arriver dans 1h. Les bagages des gosses sont prêts. J’attrape le livre imprimé et mon ordinateur que je fourre dans mon sac. J’ai décidé de ne prendre aucun meuble. Orion dort déjà. Je vais devoir le réveiller.

     J’entends les clefs de la porte d’entrée tourner dans la serrure. Ça doit être Antoine. Où était-t-il ? Je descends les escaliers. En le voyant, je me dis que ce seront les derniers instants avec lui. Mais je garde mon sérieux et fais comme si de rien n’était.

  • Tu étais où ?

     Il me lance un regard halluciné.

  • Bah je suis allé déposer Hortensia chez Piccolo.
  • Comment ça ?! Elle n’est pas au lit en train de dormir ?

     Il marque une petite pause.

  • Elle ne t’en a pas parlé ?
  • Non ! Je réfléchis. Je vais la chercher.
  • Ne fais pas ça !
  • Elle est encore au restaurant avec ses copines, ça va !
  • Figure-toi que non, cette fois-ci c’est bien plus sérieux. Elle est à son premier rendez-vous. Tu ne vas pas le lui gâcher !

     Je me rends compte de la gravité de ce que je vais faire mais j’en suis obligée. Je m’en veux.

     J’enfile un manteau, j’attrape mon sac au passage. J’y fourre mes clés de bagnole et mon portefeuille. Je sors sans regarder Antoine. Il a garé la camionnette en haut de la montée. Je monte dedans.

   

HORTENSIA

 

     C’est le plus beau moment de ma vie.

 

FLEUR

 

     Il ne me reste plus qu’une heure pour que tout soit prêt.

 

HORTENSIA

 

     La porte du restaurant s’ouvre. Je n’y prête pas plus d’attention mais je reste scotchée quand je vois ma mère avec son regard fâché. Elle va me tuer. Elle me cherche. Ça va barder. Je sais très bien que je ne l’avais pas prévenue de ce rendez-vous, je ne lui ai jamais non plus parlé de Julien.

  • Ça va ? me demande Julien. Tu es devenue toute pâle d’un coup.
  • Ça ne pourrait pas aller moins bien !

     Elle m’a vue ! Qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle marche très rapidement.  Un serveur l’arrête.

  • Madame, vous ne pouvez pas entrer comme ça.
  • J’en ai rien à foutre ! Je viens chercher ma fille ! a-t-elle crié dans tout le restaurant. Tout le monde s’est retourné vers elle.

     Julien se retourne vers moi en rigolant.

  • C’est qui cette folle ?
  • Cette folle, comme tu dis, c’est la mère de la jeune fille en face de toi qui devrait être à la maison et qui a comploté dans le dos de sa maman avec son beau-père ! lui a-t-elle crié dessus.

     Il vient de se rendre compte de la grosse boulette qu’il vient de dire. Je vois en lui qu’il m’adresse un regard d’excuse.

     Elle m’agrippe la main, qu’elle m’écrase de plus en plus dans la sienne. Je serre les dents. J’attrape mes béquilles mais elle presse le pas. Heureusement que je me suis entraînée à marcher avec les deux béquilles dans une main. Elle me tire dans tout le restaurant. Juste avant qu’elle ouvre la porte, j’arrive à jeter un dernier coup d’œil à la salle hallucinée. Un grand silence. Je vois Julien triste. Ça me brise le cœur. La porte se claque derrière moi.

     Dehors, il fait frais. Je vois la camionnette garée avec très peu de soin. Elle me balance dedans. Elle s’assoit sans même que j’aie le temps de la voir arriver de son côté. Je n’en reviens pas ! Après ma tristesse, toute ma colère sort d’un coup :

  • Pourquoi t’as fait ça ?!

     Elle ne me répond pas, comme la plupart du temps. Elle roule si vite que l’on est presque déjà arrivées. Elle s’arrête violemment, regarde l’heure sur son portable et redémarre à toute berzinge ! Arrivées en haut, elle prend autant de soin pour se garer que devant la pizzeria. Fleur descend, claque sa portière et entre dans le chalet. Elle laisse derrière elle la porte d’entrée ouverte. Je sors à mon tour. Il fait déjà noir depuis un bon bout de temps et je prends soins de ne pas tomber avec mes béquilles.

     Je n’ai qu’une seule envie : pleurer les larmes que je retiens depuis que je suis entrée dans la camionnette.

 

FLEUR

 

     Je trébuche dans les escaliers. Espérons que je n’ai pas réveillé Antoine ! J’arrive doucement dans la chambre de mon fils. Je chuchote.

  • Débout, habille-toi bien chaud.
  • Pourquoi ?
  • Fais ce que je te dis.

     En sortant de la chambre d’Orion, j’entends Antoine ronfler. Je suis soulagée de ne pas l’avoir réveillé.

     Je jette un coup d’œil à l’horloge du salon : il ne me reste plus qu’un quart d’heure avant que Luna arrive. Je jette les valises devant la porte d’entrée. Je fais un dernier tour de la maison. Plus que cinq minutes ! Je croise ma fille dans le couloir, elle me lance un regard interrogatif et en même temps plein de colère. Je n’ai pas le temps de lui répondre mais lui ordonne :

  • Habille-toi chaud !

     Orion sort de sa chambre prête. Les roues de la voiture de Luna freinent sur les graviers. Elle claque la portière et entre par la porte d’entrée qui n’était pas fermée. Je finis de fermer la valise d’Orion avant de courir, descendre les escaliers et me jeter dans les bras de ma sœur.

  • Luna ! ai-je chuchoté.
  • Fleur ! a-t-elle dit sur un ton de soulagement.

     Je la serre si fort que je ne suis même pas sur qu’elle respire encore. Puis, je la lâche et elle aussi. Elle regarde autour d’elle.

  • Il est charmant ce petit châlet. Elle passe son doigt sur la petite commode dans l’entrée. En me le montrant, elle ajoute avce un avec grand sourire : mais je t’ai connue moins maniaque.
  • Rassure-toi ! Antoine a fait la poussière il y a deux jours !

     Elle sourit encore. De toute façon, elle sourit tout le temps.

  • Bon ! Où sont les enfants ? J’ai tellement hâte de les revoir !

     Soudain, Hortensia apparaît en haut des escaliers. Elle fait très attention avec ses béquilles.

 

HORTENSIA

 

Je n’en crois pas mes yeux ! Je m’arrête en plein milieu de l’escalier. C’est bien Luna que je vois en bas, debout près de ma mère.

  • Luna !

     Elle me fait un grand sourire qui me remplit de joie. Je suis rends son énorme sourire en lui montrant toutes mes dents.

  • T’as besoin d’aide ?
  • Oh, je peux le faire toute seule.

     Je continue à descendre soigneusement les marches, une à une. Je trébuche mais me reprends.

     Arrivée en bas, elle me serre dans ses bras.

  • Qu’est-ce que tu fais là ?

     Elle semble d’un coup mal à l’aise et esquive ma question :

  • Tu as changé !
  • Évidemment, ça va faire trois ans que l’on ne s’est pas vues. Mais pourquoi tu es là ?

     Orion descend à son tour les escaliers.

  • Mais qui je vois là !
  • Luna ? C’est toi ?
  • Oui, tu as grandi !
  • Luna !! A-t-il crié en se jetant dans ses bras.

     Ma mère les interrompt.

  • Chuuut !

     Je lui lance un regard noir ; elle nous oblige à tout arrêter pour faire quelque chose, on ne se sait même pas quoi, et elle nous demande en plus de nous taire alors que Luna est là ! On ne sait d’ailleurs même pas pourquoi.

  • Pourquoi tu es là ? A-t-il demandé d’un ton si innocent.

     Elle ne répond pas. Alors ma mère prend la parole.

  • On t’expliquera plus tard. Va dans la voiture mon chéri.

     Elle me fait un signe disant que je devais le suivre. Je l’aurais de toute façon fait de moi-même.

     Dehors, seul le petit lampion qu’Antoine a installé à l’extérieur nous éclaire. Les valises sont devant la porte du chalet. Sur le chemin de graviers est garée la voiture de notre tante. Trois de ses portières sont ouvertes. Ça, c’est Luna tout craché !

     J’aide Orion à montrer à l’arrière et m’installe à côté de lui. Luna et Fleur sortent de la maison. Ma mère a une feuille de papier à la main qu’elle glisse dans la boite aux lettres. Dans l’autre main, elle a un livre sans couverture, un livre tout blanc.

     Elle pose son sac à dos aux pieds du siège passager avant de s’assoir. Elle ferme la portière en même temps que Luna ferme la sienne. La voiture démarre. Fleur semble nostalgique. Elle jette un dernier coup d’œil à la maison jusqu’à ce qu’on ne puisse plus la voir.

 

ORION

 

  • Mais on va où comme ça ?

     Je n’ai pas de réponse en retour. En revanche, j’ai encore des centaines de questions qui me trottent en tête.

  • Pourquoi tatie Luna est là ? Et aussi, pourquoi on part si tard et sans être prévenus ?

     Luna me répond :

  • Arrête de poser des questions, mon chéri.
  • Mais c’est normal qu’il en pose, non ? s’est énervée Hortensia.
  • Et puis, arrête de m’appeler « mon chéri ».
  • D’accord, d’accord…

 

 

HORTENIA

 

     Il est maintenant 1h21 du matin et la voiture freine. Ça me réveille. Une goutte d’eau tombe sur ma main et je me rend compte qu’elle provient de ma joue. Des larmes coulent. Je sais pourquoi : j’ai rêvé de Julien. J’ouvre les yeux. A côté de moi, Orion dort. En face, Luna n’est pas là. Puis je vois qu’elle met de l’essence. Je ne suis même pas sûre que ce soit elle car il fait nuit noire et visiblement, les lampadaires ont décidé de se reposer cette nuit-là. Sur le siège passager, il n’y a personne. Maman doit sûrement être avec Luna. Je referme les yeux.

  

     La lumière du jour me réveille. La voiture roule très vite. Je sais donc que c’est Luna qui conduit. Elle me voit dans le rétroviseur :

  • Et ben ! T’as l’air d’avoir bien dormi, dit-elle avec un sourire que j’adore mais que cette fois-ci, j’ai du mal à apprécier.

     Je regarde a côté de moi. Tatie dit a haute voix ce que je pensais :

  • Le p’tit dort encore, dit-elle avec la même expression.

     Normalement j’ai une belle complicité avec elle mais là, elle m’agace. Je ne lui réponds pas non plus. Puis, mon regard se pose sur le siège passager. Il est vide. Maman n’est pas là.

  • Elle est où ? Di-je sèchement.

     J’ai posé ma question trop fort car Orion se réveille. Il se frotte les yeux et s’étire doucement.

     Luna ignore ma question :

  • Ca va mon chou ? Bien dormi ?
  • Arrête aussi de m’appeler « mon chou », dit-il avoir une voix encore endormie.

     Puis, il se rassoit normalement.

  • Tensia ? C’est maman qui n’est pas là ? Demande-il très calmement.
  • Non, elle n’est pas à sa place. Mais Luna ne répond pas aux questions depuis le début du voyage, ai-je dis assez fort pour être sûre que ma tante entende.

     Luna jette un coup d’œil dans le rétroviseur, elle a compris que j’attendais une réponse et que Orion aussi.

  • Bon, votre mère est à Bruxelles.
  • Qu’est-ce qu’elle fout là-bas ?!
  • Elle est allée faire éditer son bouquin.

     Orion prend la parole :

  • Pourquoi on l’attend pas ?

 

LUNA

 

     Ça n’est pas à moi de tout leur expliquer. Je réfléchis à ma réponse mais c’est compliqué :

  • Et bien… elle n’a pas voulu.

     Hortensia réplique tout de suite. Elle est en pétard 

  • Mais ça n’a aucun sens !
  • Dis-nous la vérité, dit Orion avec un air triste dans la voix.

        Il est 5h28. J’attrape mon portable et vérifie si Fleur ne m’a pas écrit. Non. Pas de nouvelles.

 

ORION

 

     Soudain, je pense à Antoine. Où est-il ? Est-ce qu’il sait quelque chose ? Est-ce qu’on le reverra un jour ?

 

 

HORTENSIA

 

     Ça fait maintenant 16h que l’on roule, sans maman.

 

     Il est tard et fait déjà nuit. Je sors de mes pensées et observe le sombre paysage qui défile. Nous arrivons sur une route très large. Soudain Luna tourne à gauche. Nous sommes maintenant sur une petite rue en pente où je peux distinguer de grandes maisons qui l’entourent.

Elle se gare sur le trottoir.

- « Restez ici » dit-elle en se tordant le dos pour se retourner

Luna tire le frein à main, pousse la portière et ouvre un grand portail qui, je crois, est blanc.

- « Où sommes-nous ? » chuchota la petite voix d’Orion

- « Là, la voiture est garée dans une petite rue avec plein de belles maisons mais je ne vois pas très bien, il fait nuit. Et là, c’est… » Orion me coupe la parole : « On est à la mer ? » Sa question me surprend : « Je n’en sais rien, je ne pense pas ». « Tu ne sens pas l’odeur ? Et le bruit ? Ou encore ce courant d’air qui entre par la portière ? »

Je suis toujours impressionnée par mon petit frère. Et ça, depuis qu’il est tout petit. Il ne voit rien même pas s’il fait sombre ou ensoleillé, mais il a développé des sens inimaginables.

- « Non, je ne sens rien » dis-je étant fière de lui.

 

Luna revient et s’assoit en passant rapidement ses jambes sous le volant et claque la portière. Le démarrage du moteur réveille le calme qui régnait dans la rue.

Elle entre dans le jardin et gare la voiture. On ne voit alors plus rien mais en posant les pieds au sol, j’ai la sensation de l’herbe humide qui glisse sous mes baskets. Je fais le tour de la voiture pour attraper la main d’Orion et j’allume la lumière de mon portable pour y voir plus clair.

Luna m’indique le chemin et m’ouvre une porte qui grince.

 

ORION

 

Le bruit des vagues m’empêche de me concentrer sur tout le reste : la main de ma sœur qu’il faut suivre, là où je pose mes pieds et encore moins des nouvelles odeurs de la maison ; celles de la mer, du sable et des rochers est trop forte.

Je n’arrive pas à croire que l’on est à la mer.

Je trouve cet endroit incroyable et si différent chaque jour.

J’y suis déjà allé une fois, c’était l’idée d’Antoine, une merveilleuse idée. Il nous avait emmener dans le sud, du côté de Fréjus. L’eau était si agréable mais je me rappelle que le sable me brûlait les pieds. J’ai aussi le mauvais souvenir de ma sœur qui s’était fait piquer par une méduse. En y réfléchissant bien, ces vacances étaient vraiment ratées mais un seul moment avait fait de ces vacances un séjour si merveilleux : un soir après le repas, Antoine avait proposé une balade « les pieds dans la flotte » comme il dit. Maman et Hortensia n’avaient pas voulu venir mais j’ai accepté pour ne pas lui faire de peine. Je n’en n’avais pas follement envie car, avant, j’imaginais la plage comme un endroit plein à craquer de touristes, de bruits, de la musique et des ballons perdus (je ne sais pour quelles raisons) qu’Antoine aimait renvoyer aux enfants.

Mais ce soir-là, c’était différent. La mer était si calme et la plage était déserte, rien qu’Antoine et moi.

- « Attention, ça va être froid » me prévenait-il quand l’écume allait me caresser les orteils.

Le vent était léger, il faisait frais. On a marché si longtemps en longeant cette plage sans un mot. Juste profiter du moment. Puis, on s’est assis sur un rocher, face au vent qui devenait de plus en plus fort. Le bruit des vagues s’intensifiait. Le sentiment que j’éprouvais à ce moment était un calme puissant, savoir qu’une si grande étendue d’eau était là, en face de moi, et que tout le monde trouvait ça normal. Je ne comprenais pas pourquoi d’ailleurs car les vagues qui se cassaient si brutalement faisaient tellement de bruit et le vent dans mes oreilles résonnait si fort. Malgré ça, j‘étais paisible.

 

Le souvenir de cette soirée Antoine s’effaça brutalement lorsque on m’allongea sur un lit très peu confortable.

- « Dors bien ptit mioche » je pouvais être sûr que c’était ma sœur qui me parlait.

Elle était en train de partir quand je réussis à dire : « Ouvre la fenêtre »

« Mais non, reste au chaud pour cette nuit, ça caille dehors ». Elle ne m’avait pas compris ; j’ai besoin de sentir la mer : « Ouvre la fenêtre ». « Rhôôôô, c’est idiot, tu vas tomber malade ». Mais je la connais bien, elle va le faire. J’entends se pas se diriger vers la fenêtre et l’ouvrir. « Merci » « Bonne nuit, dors maintenant »

Je ne sais pas comment j’aurais pu dormir la fenêtre fermée.

 

LUNA

 

Et merde ! Dans quoi je me suis encore embarquée ? N’empêche, ça me fait du bien de retrouver cette si belle maison. En plus d’être une cachette idéale, cet endroit est splendide et on y découvre toujours de nouveaux paysages à explorer.

Hortensia interrompt le fil de mes pensées en entrant à son tour dans la cuisine. Elle me voit là, un verre de vin à la main et complètement claquée, j’ai d’ailleurs un peu honte de ma tête.

« Je vois que tu connais l’endroit » dit-elle en voyant mon verre.

Elle s’approche du placard ouvert qui contient les verres, et comme si elle était chez elle depuis toujours, elle s’en sert un à son tour : « Où est-ce que vous nous avez emmenés encore ? ». J’étais sur le point de lui parler du bouquin un peu mais elle me coupa : « Non, ne me dis rien, je ne suis pas d’attaque ce soir, on en discutera demain matin ». Elle croisa alors mon regard fatigué, but son verre d’une traite et me sortit un « bonne nuit » sec.

 

HORTENSIA

 

Il faisait vraiment beaucoup plus froid qu’à Toulouse. Je savais qu’on était en Bretagne car j’avais hier soir allumé Google Maps. J’en ai donc profité pour jeter un coup d’œil aux alentours : je sais que l’on se situe près d’une plage appelée La Fourberie. Orion avait raison. J’ai vu qu’il y a près de là un terrain de foot et une pizzeria qui fait étrangement aussi des paellas à emporter.

C’est maintenant le matin, je regarde l’heure, 11h32 ! Oups ! Je n’avais pas mis de réveil, pensant que j’allais me réveiller plus tôt. Heureusement, il y a Luna qui peut s’occuper d’Orion en cas de problème. Je descends les escaliers qui craquent sous chacun de mes pas.

En arrivant dans le salon vide, une feuille blanche posée sur la table attire mon attention.  Je l’attrape et la lis : « Bonjour Hortensia, je suis partie et ne suis pas joignable. J’ai laissé mon portable ici. Je serai de retour dans 2 jours. J’ai sorti ton vélo, je l’ai mis contre le portail. Bisous à toi et à ton frère. »

Ça, c’est bien les plans de maman et de sa sœur ! Toujours aussi bordéliques et foireux ! Je dois donc garder mon frère que je dois d’abord retrouver sur le champ, dans un endroit que je ne connais pas. La première chose à faire : chercher le ptiot

- « Oriooooonoooonnnnn !! »

Evidemment, aucune réponse, je panique un peu mais je garde mon sang froid, où peut-il bien être ?

Pour m’aider à réfléchir, je bois un reste de café que Luna a laissé mais qui a refroidi entre temps. Après l’avoir l’avalé, je grimace. Une idée me traverse soudain. Mais oui, bien sûr, il est à la plage ! Je pouvais maintenant marcher sans béquilles avec mon plâtre sans compter que sur le sable, ce n’est pas ce qu’il y a de plus pratique. Je les ai donc laissées à la maison et suis sortie en pyjama. Je savais donc un peu m’orienter car je m’étais informée sur l’endroit avant de dormir. J’ai pu remarquer que la plage était à moins de 200 mètres de la maison et qu’il y avait même un petit chemin qui démarrait au fond du jardin, pas très loin de là où on avait garé la voiture la veille, qui n’est d’ailleurs plus là ce matin.

Je m’enfonce dans le petit chemin broussailleux et chaotique en direction de la plage. Je me demande comment Orion a-t-il pu emprunter ce chemin sans tomber ni se blesser. D’ailleurs, je ne sais même pas s’il est passé par là. Le chemin chaotique commençait enfin à se dégager, je peux maintenant voir le ciel et même plus loin mais je n’aperçois mon petit frère nulle part. Je commence alors à paniquer de plus en plus…et s’il lui était arrivé quelque chose de grave ?

Sous mes pieds, la terre est maintenant devenue sable mais je ne suis pas encore arrivée à la plage. Je vois qu’il faut encore descendre des escaliers en pierre très dangereux car sans rambarde.

Mes pieds s’enfoncent enfin dans le sable. Je regarde aux alentours. La plage est déserte, juste un très grand rocher gris. Un petit point rouge posé dessus attire mon regard. Je m’approche et distingue avec de plus en plus de détails l’anorak de mon frère. Je souffle. Avant de lui adresser la parole, je l’observe un instant et essaie de comprendre son irrésistible attirance pour la mer.

Il est donc là, face au vent frais de la fin de l’été. Ça me fait sourire de voir à l’expression de son visage qu’il est heureux.

J’arrive tant bien que mal à escalader ce rocher. Je pose ma main sur son épaule, il sursaute.

- « C’est moi, relax. »

Il soupire de soulagement

- « Comment tu m’as retrouvé ? »

- « Tu as laissé la porte ouverte, t’es pas discret », dis-je en me moquant de lui

Ça ne le fait pas rire, je pense qu’il aurait aimé rester seul.

- « Luna aussi me cherche ? »

Cette question me met mal à l’aise ; je ne sais pas quelle va être sa réaction quand il saura que sa tante nous a encore plantés là, sans aucune explication.

- « En fait, … je prends soin de trouver les mots justes…elle a laissé un mot sur la table disant qu’elle s’en va 2 jours et on doit rester ici. »

Je serre les dents en espérant qu’il ne se mette pas en colère. Mais à ma grande surprise, il ne dit rien, comme s’il s’y attendait. Je n’entends de sa bouche qu’un simple soupir.

 

ORION

 

On est rentrés à la maison par le même chemin que j’ai emprunté en arrivant. C’était dur de marcher sur un sol pareil mais je m’en sortais sans trop de complications.

En cette fin d’après-midi, Hortensia et moi sommes allés faire des courses car Luna, qui ne pense jamais à rien, nous a laissés là sans rien à manger. Merci Luna !

On a trouvé une petite superette où on a acheté des pizzas surgelées. J’avais découvert ce matin en cherchant à tâtons la porte d’entrée, qu’il y avait un four dans le salon. J’ai trouvé ça vraiment bizarre mais je me suis rendu compte, toujours en cherchant la porte d’entrée puis l’accès à la plage, que cette maison est vraiment mal foutue : au rez-de-chaussée, il y avait dans la cuisine une échelle fixée au mur qui ne menait nulle part ; la seule façon d’accéder à la chambre de Luna était de passer par la cuisine. Dans sa chambre, il y avait une petite véranda qui ouvrait sur une petite terrasse au sol entièrement carrelé et glissant. De là, on ne peut aller nulle part.

Depuis du salon, il y a un escalier qui mène au premier étage. Arrivé en haut, pour accéder à ma chambre, il faut passer par celle de ma sœur puis par la salle de bain. A partir de là, un petit couloir démarre et la première porte à droite, c’est ma chambre à coucher. Si on tourne à gauche, il y a une petite chambre qui résonne et qui sent la poussière, elle me semblait complètement vide. Enfin, tout au bout du couloir, se trouve je suppose un grenier que je n’ai pas du tout exploré.

 

HORTENSIA

 

Nous sommes retournés tous les deux sur la plage ce soir-là. J’avais envie de voir le coucher de soleil et mon frère voulait s’allonger sur le sable chauffé par le soleil de la journée.

Maintenant, il fait nuit et j’attends Orion. Je me suis assise sur le même rocher que ce matin et Orion a voulu mettre les pieds dans la flotte comme disait toujours Antoine. Pendant qu’il essayait de s’habituer à la température gelée de l’eau bretonne, je me pose une nouvelle fois plein de questions. Je sais que nous sommes partis pour un certain temps.

Julien, Diane et Antoine me manquent énormément. Je me sens coupable de les avoir plantés là sans aucune explication, même pas un coup de fil. Après tout, on m’a forcée une nouvelle fois à m’en aller de chez moi sans se soucier de mon avis. Je ne peux même plus décider où je veux aller.

 

ORION

Ça fait maintenant 2 jours que nous sommes tous les deux, ma sœur et moi, dans cette grande maison inconnue.

 

Quand nous sommes revenus de la plage, Hortensia a vu la voiture de Luna dans le jardin.

- « Tatie est là »

Je ne répondis rien, je ne savais tout simplement pas quoi dire. J’étais content qu’elle soit à nouveau là même si j’étais fâché contre elle. Alors, une question me traversa l’esprit : « Maman est là ? ». Hortensia répondu : « je n’en sais rien »

 

HORTENSIA

 

La porte était ouverte et nous sommes y sommes entrés. Maman était là, assise sur le canapé avec une tasse de thé à la main. Quand elle nous a vu, mon frère et moi, main dans la main, elle a posé sa tasse de thé pour venir nous saluer.

Mon frère n’avait pas l’air plus heureux que moi de la voir. Mais c’est lui qui posa la première question :

  • T’étais où ?
  • Je vais tout vous expliquer mais on va manger un morceau avant. C’est une longue histoire…

Je ne disais rien mais j’étais en colère. Orion, lui aussi, restait silencieux mais il me serra la main, d’un air de dire « cette fois-ci, c’est la bonne ! Que cette fois-ci, elle nous dira tout, toute l’histoire, tous les petits secrets. » Alors, ma mère nous adressa un regard et un petit sourire.

 

Ce soir là, autour d’un maigre repas composé d’un morceau de pain, d’un reste de pizza, le silence fut roi.

 

ORION

 

Personne n’osait parler.

Les fenêtres étaient ouvertes en grand et on sentait l’odeur de l’iode, le vent frais du soir et on entendait le bruit des vagues qui se cassaient.

Il n’y avait pas grand-chose à manger mais de toute façon, je n’avais pas faim : j’étais trop impatient d’avoir de vraies réponses aux questions que je me posais depuis trop longtemps.

La voix de maman me sortit de mes pensées.

  • Plus faim ?

Je n’avais pas encore répondu que j’entendis le bruit des assiettes s’entrechoquent en s’empilant. Puis, je réfléchis en entendant le bruit que faisait l’écume.

  • Je fais du thé ? Je pense qu’on en aura besoin.

 

FLEUR

 

Je fis signe à ma fille de venir s’assoir sur le siège, près de la vieille cheminée bretonne. J’avais deposé quatre tasses de thé et des carrés de sucre sur la table basse, au milieu de tous ces canapés. J’avais aussi pensé à mettre un plaid, de peur d’avoir froid et car je savais que la nuit serait longue.

Alors, Hortensia qui pris la main de son frère, vint s’assoir là, tous les deux.

  • Tu avais oublié le bouquin, dis Luna en sortant de la cuisine en jogging et en pull. Et les petites cuillères.

Elle s’assit là, posa les couverts et me tendit le tas de feuilles.

Ça me faisait tout drôle de l’avoir là, dans les mains ; ma vie résumée en un bouquin. Je tendis mon ouvrage à ma fille qui a hésité, avant de l’attraper.

  • C’est quoi ? demanda Orion.

Hortensia me jeta un regard à la fois méfiant et interrogatif et prit la peine de répondre à son frère :

  • Un bouquin.

Elle marqua une pause. « Qu’est- ce que tu veux que j’en fasse ? ».

Je réfléchis quelques instants, je regardais Luna qui m’encouragea d’un signe de tête. Je pus lire sur ses lèvres « vas-y ! ».

  • Ce qui serait bien, c’est que tu le lises.

Hortensia ne répondit pas.

  • Je veux que tu le lises à haute voix pour toi et ton frère. Je veux que vous compreniez que…
  • Ce livre résume ta vie, c’est bien ça ? dit Orion qui avait déjà tout compris.

 

HORTENSIA

 

J’avale une grande gorgée de thé brûlant.

Le livre posé sur la table était plutôt fin, par apport aux trois autres que sa mère avait pu rédiger. Je sentais tout de même qu’il allait nous en dévoiler beaucoup.

Luna ne disait absolument rien, elle laissait la discussion se dérouler. Sous son plaid gris, elle semblait paisible. Ces derniers jours, j’avais vraiment eu du mal à la reconnaître.

  • Bon, tu t’y mets ? Sinon on y sera encore jusqu’à demain matin !

Mais elle ne savait pas encore qu’elle aurait raison : la nuit va être longue !

Donc sans perdre de temps, je commence à lire la première page du volume.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Décembre 1968

 

 

     Comme chaque soir un flot d’ouvriers quittait l’usine passant les grilles grandes ouvertes dans cette nuit hivernale dans cette banlieue de Moscou. Vladimir un ouvrier sans problème et sans histoire, était pressé de rentrer comme tous ses collègues, pressé de revoir sa femme et sa fille Luna. Il enfourcha son vélo s’assurant que la dynamo était bien allumée. Il conduisait avec précaution sur le sol verglacé de ce début décembre. Les pavés au sol remuèrent le vélo tandis que les affiches de l’astronaute Gagarine défilaient, accrochées sur les murs de banlieue.

     Les freins du vélo grincèrent quand Vladimir s’approcha de sa maison. En poussant la porte d’entrée, il vit Katerina en pleurs assise sur une chaise en bois qui grinçait à chaque larme versée. Vladimir la questionna, un peu paniqué « Katerina, que t’arrive-t-il ? »

     La femme sursauta et apercevant son beau-frère qui refermait la porte d’entrée derrière lui.

  • C’est Boris… ils sont venus le chercher ce midi au café, réussissait-elle à dire en sanglotant.

     Vladimir s’énerva. « Quel idiot ! Combien de fois lui ai-je dit de rester loin de ces cercles politiques. Ce n’est pas une bande de gosses dont le plus âgé doit avoir 25 ans qui va retourner la situation d’un pays gouverné par des vieillards. Lénine, Staline, Joukov et Beria, tous des criminels, oui, mais ils avaient passé la cinquantaine. Et maintenant, regarde ce qui se passe : ils ne vont plus prendre que des centenaires au Politburo. Ce n’est qu’en Occident qu’on peut croire que la jeunesse peut-être le futur d’un pays... et regarde ce qui s’y passe, regarde toutes ces révoltes. »

Katerina rétorqua :

     « Tu es injuste. Tu sais bien que ton frère est un idéaliste. Il croit en ses idées lui. Tu ferais bien d’en prendre de la graine au lieu de t’aplatir toujours devant tes chefs de service.»

     Vladimir répliqua directement. « Tu crois que je n’en pense pas moins ? Tu crois que je suis d’accord avec cette bande d’idiots qui nous gouvernent et qui nous dirigent ? Mais moi au moins, je suis prudent. Je ne mets pas en danger ma famille. »

     « Ils ont dit qu’ils vont l’envoyer dans un Goulag. Je ne le reverrai plus jamais. Ils ne me rendront même pas le cadavre de mon mari. » disait Katerina en sanglots.

 

     Vladimir se mit à réfléchir à ce qu’il venait de dire. « Excuse-moi Katerina. Je ne pensais pas ce que j’ai dit. En réalité, j’ai toujours admiré Boris et sa soif de liberté. Nous n’allons pas baisser les bras. Nous n’allons pas t’abandonner. Nous allons tout faire pour le soutenir même de l’extérieur. Et d’ailleurs, à partir de ce soir, tu resteras avec nous, même après la naissance du bébé. » Natalia, la femme de Vladimir passa son bras autour de l’épaule de son amie. La femme en larmes lui répondit :

     « Tu sais bien que cela ne sera jamais possible.»

Natalia essayait de la rassurer : « Si Katerina ! vous restez avec nous toutes les deux, toi et le bébé, tant que Boris ne sera pas rentré. Et tu connais le proverbe russe : quand il y en a pour un, il y en a pour deux et quand il y en a pour deux, il y en a pour cinq... »

 

 

 

 

22 h 08 :

 

  • Chapitre 2… je continue ?
  • Non, arrête-toi là, je vais aux toilettes, me dit Orion.

     Fleur, assise sur le canapé en face du mien me fit un sourire avant de se resservir une tasse de café.

  • Qui en veut ?

     Elle n’attendit pas de réponse et nous en versa, à moi et Luna. Orion vint se rassoir à côté de moi et je repris ma lecture.

 

 

Noël 1968

 

 

 

 

 

     Le 23 décembre, l’enfant est né avec un mois d’avance. C’était une fille. Mais Natalia n’a pas survécu à la naissance de sa fille Flora. Le médecin a dit que le corps de la jeune femme était devenu trop faible.

     Malgré son mois d’avance, l’enfant allait bien.

 

     Pendant 10 ans, Flora et Luna grandirent ensemble.      Les deux enfants furent éduquées dans une école du centre de Moscou. Katerina et Vladimir prirent la décision d’héberger une autre famille en détresse. Alexei était le fils unique du couple. Il avait le même âge que Luna et 2 ans de plus que Flora. Les trois enfants devinrent très proches. Ils s’amusaient à courir dans les rues et jouaient au football. Alexeï, qui se prenait pour Lev Yachine, était un excellent goal.

 

 

 

Mai 1974

 

 

 

 

     Une après-midi, quand les trois enfants rentraient de l’école, une mauvaise nouvelle les attendait.

Katerina les attendait dans le salon :

  • Tout va bien maman ? demanda Luna.

   Elle ne reçut aucune réponse. Mais sa mère finit par s’adresser à Alexeï, elle prit son air de mère :

  • Alexeï, tu dois partir. Tes parents viennent te chercher dans 20 minutes.
  • Quoi ?! Et je m’en vais où ?
  • Très loin…
  • Où ?

     Les deux cousines écoutaient attentivement, l’air dévasté.

  • Je ne sais pas… ils ne veulent laisser aucune trace de leur départ.

     Elle serra dans ses bras le jeune enfant auquel elle s’était attachée pendant toutes ces années. Katerina lui glissa doucement à l’oreille : « Va préparer tes bagages. Tes parents arriveront bientôt… »

 

 

      Une demi-heure plus tard, les trois jeunes se dirent adieu, les larmes aux yeux. Puis ce fut au tour des adultes.

     Tout le monde le savait : ils ne se reverraient plus jamais. Alexeï s’en allait en marchant, sans se retourner, tandis que Vladimir, Katerina et les deux jeunes filles retournèrent dans leur maison, qui leur parut si vide pendant des semaines entières.

 

     Entre temps, Vladimir ne reçut aucune nouvelle de sont frère, même s’il s’en doutait… la prison où il avait été déporté était en réalité un Goulag. Si Boris était encore vivant, il était entièrement coupé du monde depuis maintenant six ans.

 

 

 

22 h 27 :

 

HORTENSIA

 

     Luna se resservit du thé qui fut mélangé avec un fond de café. Elle avait sur le visage un air de déjà vu, comme si elle connaissait l’histoire par cœur, sur le bout des doigts. Mais elle s’efforçait quand même d’écouter ma lecture.

     Fleur demanda après quelques secondes de silence :

  • T’es à quelle page ?

     Je vérifie.

  •  
  • Déjà ?

     Je lui fais un signe de tête affirmatif.

  • Continue à lire.

 

 

 

 

1978

 

 

     Un soir, quand Vladimir rentra du travail, sa petite fille âgée maintenant de 10 ans l’attendait impatiemment dans la petite maison, étonnamment plus vide que d’habitude depuis le départ d’Alexeï et ses parents. Comme il le savait, personne n’avait eu de nouvelles des anciens colocataires.

     Quand Flora vit la porte bouger, la petite fille se précipita pour serrer son père dans ses bras.

     Vladimir fut surpris : « Bah alors, qu’est-ce qui se passe ici ? ». La petite fille qui pendait à son cou lui chuchota à l’oreille : « Je croyais que tu savais… ». Quand Vladimir sentit une goutte d’eau couler dans son dos, il se rendit compte que sa fille pleurait. En la reposant au sol pour en savoir un peu plus sur le problème, elle fondit en larmes.

 

 

23 h 02 :

 

HORTENSIA :

 

  • Bah, ne t’arrête pas ! Pourquoi elle pleure ? demanda Orion assez sèchement. « Continue, continue. »
  • Attends, laisse-moi respirer, dis-je en riant.

     Alors, je pris une grande respiration et recommençai à lire :

 

 

Vladimir vit sa fille sortir un morceau de papier de sa poche qu’elle déplia pour la tendre à son père. L’écriture de Katerina apparut sous les yeux de son beau-frère :

 

Boris est rentré, nous partons et ne nous cherchez pas. On vous aime très fort.

 

 

 

 

 

1983

 

Flora a quinze ans.

Elle a enfin eu l’accord de son père pour sortir avec ses amies à Moscou, pour son anniversaire. Lors de cette fête, la jeune fille fait la rencontre de Pietro, un jeune homme beau et séduisant avec un charmant accent italien. Il lui dit qu’il est en Russie pour ses études.

Depuis cette soirée, les deux jeunes gens se rencontrent régulièrement et tombent follement amoureux l’un de l’autre. Flora prend son courage à deux mains et présente son amoureux à son père, qui l’accepte avec méfiance, mais au fil du temps, Vladimir voyant sa fille très heureuse, les deux hommes se font confiance et deviennent plus proches.

 

Pendant ce temps, Vladimir et Flora sont toujours sans nouvelles de Boris et de sa famille. Ils les soupçonnent de s’être réfugiés en France, se rappelant la carte postale que Katerina avait reçue de Paris il y a des années et qu’elle gardait précieusement. 

 

 

 

 

 

1984
 

À l’âge de seize ans, Flora tombe enceinte et neuf mois plus tard, met au monde une jolie petite fille que le jeune couple prénomme Hortensia.

 

 

 

 

 

 

23 h 37 :

 

HORTENSIA

 

     En lisant cette dernière phrase, je m’arrête en comprenant qu’il s’agit de moi. Je souris et sens une larme couler le long de ma joue. En relevant ma tête, je vois ma mère qui séchait les siennes. Nos regards se fixent, je lui adresse un sourire attendri avant de me replonger dans ma lecture :

 

 

 

 

 

1984 fin d’année

 

La surveillance policière devient des plus pressantes autour de Vladimir : on le soupçonne de savoir où son frère se cache et on le menace de prison s’il ne dénonce pas son frère. Pietro, sans que la famille le sache, n’utilise ses études que comme couverture ; il fait partie de la mafia Italo-Russe, mais ne peut intervenir politiquement pour Vladimir. Mais il sent tout de même un danger potentiel pour Flora et le bébé.

Pietro se sent donc obligé de faire ses confidences à Vladimir et à Flora. Il n’hésite pas non plus à exprimer ses peurs liées aux menaces que reçoit régulièrement son beau-père. D’un commun accord, ils décident de faire passer Flora et l’enfant en Italie. 

 

 

 

 

 

 

 

23 h 58 :

 

FLEUR

 

  • En Italie ??
  • Orion, tais-toi ! ordonna Luna qui n’avait pas parlé depuis un bon bout de temps. Et toi, continue à lire !
  • Pourquoi c’est moi qui dois lire aussi ? dit Hortensia en râlant, comme souvent.
  • Bon, tu lis et tu ne discutes plus !
  • Ça va, ça va… donc :

 

 

 

 

1985

 

Vladimir, qui portait pour la dernière fois sa petite-fille dans ses bras, accompagnait sa fille en pleine nuit. Les yeux bleus du bébé fixaient le jeune grand-père. Arrivés au bout de cette rue si calme de Moscou, Flora reconnut la Lada grise de Pietro. De son côté, Pietro qui les attendait aussi, sortit de la voiture et adressa un léger sourire à Flora et son père, essayant de les rassurer, même si lui-même ne l’était pas tellement. Pietro délesta Flora de son sac, plein à craquer de couches, de biberons et de vêtements minuscules. Vladimir serra fort dans ses bras sa jeune fille qui portait l’enfant. Ils se firent leurs adieux. Flora monta à l’avant de la Lada grise. Les jeunes gens roulèrent lentement, brisés à l’idée de devoir se séparer. Au loin le soleil commençait à se lever lorsqu’ils arrivèrent à la gare, discrètement. Un petit homme à la longue barbe les attendait à l’arrière de la gare. Pietro et le bonhomme se serrèrent la main avant d’emmener la jeune fille qui portait le bébé contre elle, près de l’avant-dernier wagon d’un train tout rouillé. Il ouvrit un container pour que la jeune fille et l’enfant s’y installent. En comprenant que le jeune couple allait être obligé de se quitter tout de suite, ils se prirent dans les bras, ce moment dura si longtemps. « Bien installées ? » dit l’homme à la grande barbe avant de refermer le container sans même attendre de réponse.

Les larmes de la jeune mère coulèrent tout le long du trajet et entre temps, sa petite fille trouva le sommeil contre sa poitrine.

Lors d’un virage, le container dans le quel elle se trouvait se fendit légèrement. Le bruit violent réveilla le bébé qui se mit à pleurer. La fissure faisait apparaître un rayon de lumière du jour. Tout le reste du voyage, elle essayait de voir où elles se trouvaient. À un certain moment, elle reconnut la voie de terre que Pietro lui avait décrite.

Elle se fit réveiller par le même l’homme à la grande barbe qui lui secouait l’épaule : « Debout là-dedans ! » dit-il en chuchotant. Flora se souvint alors que Pietro lui avait dit qu’elle arriverait à Batumi, près de la mer noire. Elle sortit du container en essayant de se dégourdir, il fut compliqué de tenir sur ses jambes. Le bonhomme était en train de sortir d’autres gens des containers. Elle les compta : aucun homme, trois femmes, dont deux qui semblaient plus âgées que la troisième. Il y avait aussi quatre enfants, dont deux bébés. Les trois femmes furent toutes étonnées d’en voir d’autres. Des visages fatigués et aussi tristes que celui de Flora. L’homme barbu demanda au petit groupe de rester discret. Il rassembla le petit groupe qui fut obligé d’attendre près des rails, derrière un mur en briques qui ne teindrait plus très longtemps. Les quatre femmes eurent le temps pour apprendre à se connaître. Maria, la plus âgée qui avait 42 ans et deux garçons de six et onze ans étaient dans ce train depuis plus longtemps. Avant ça, elle avait voyagé à pied et dormait à la rue. Elle a dû fuir par manque d’argent. Maria n’arrivait même plus à nourrir ses enfants.

Laura avait trente ans et un bébé qu’elle avait eu assez tard. Elle aussi était à la rue, mais avait dû fuir, car son mari la battait. Elle a fui pour protéger son bébé avant tout.

La dernière portait le nom de la mère de Flora qu’elle n’avait jamais connue, Natalia. Elle aussi avait un bébé, une fille. Ses parents étaient opposants politiques, mais ils avaient beaucoup de problèmes et étaient recherchés activement par la police. Ils ont été attrapés et envoyés au Goulag. Il ne restait plus aucune famille à Natalia et le père de son enfant l’avait abandonnée quand il avait appris qu’elle était enceinte. Elle avait 19 ans et avait trouvé un moyen de fuir le pays.

L’homme à la grosse barbe est revenu avec dans une main de fausses cartes d’identité et un nom italien. Dans l’autre, une grosse somme de billets d’argent. Il distribua les papiers. Flora n’était plus Flora, mais Valentina et elle n’avait plus seize ans, mais vingt-deux. De même pour Hortensia, elle se fit appeler Edma. Il ne nous expliqua rien de ce qui allait se passer, mais nous emmena près d’une plage. Il sépara le groupe en deux. Flora remarqua qu’il essayait que les deux groupes soient équilibrés. Il fit embarquer le premier groupe dans la petite barque qui les attendait. Pendant ce temps, Flora et son groupe attendaient se le rivage. La barque était déjà loin quand un énorme bruit surgit à l’arrière. Puis un coup de feu, deux. Puis un crit ; celui de Maria. Flora fut prise de panique, elle vit la jeune enfant de onze ans au sol, la veste qu’elle portait était tachée de son sang, mais l’enfant de bougeait plus. Sa mère l’appelait en répétant son prénom en boucle, à genoux en train de la serrer dans ses bras. L’homme barbu était bien trop loin pour avoir le temps d’aller chercher le groupe resté sur la rive. Mais il hurla « Les Loups Gris ! Sauvez-vous ! », mais il fut touché à la tête par une balle. Les coups de feu et les cris se firent entendre de plus belle, mais Flora restait focalisée sur le petit corps de la jeune enfant abattue sous ses yeux. Hortensia était serrée contre sa poitrine et pleurait si fort. Elle ne voyait plus ses amies qui avaient fui et une main lui agrippa soudain le cou, Flora faillit lâcher sa fille. Une remorque pleine de marchandises volées était attachée à une vielle Mercedes. Un homme masqué ouvrit le coffre. Celui qui la tenait lui hurla : « Monte ! Plus vite ! » Flora obéit tout de suite, elle monta dans le petit coffre en cachant au maximum son bébé. Un homme fit claquer le coffre sur les cheveux de Flora. La mère et son enfant voyagèrent pendant neuf heures sans s’arrêter. Elle eut le temps de différencier la voix de cinq hommes. 

 

 

 

 

 

 

00 : 12 :

 

LUNA

 

  • Mais, je n’ai pas bien compris… ils se sont fait attaquer par des loups ? demanda Orion naïvement.

Je répondis à sa question :

  • Mais non, les Loups Gris sont…

     J’essaie de trouver des mots plus simples pour qu’Orion comprenne.

  • C’était une organisation mafieuse indépendante. Il voulait tout révolutionner. Ça a terrorisé toute la Turquie pendant des années !

     Je me dis que finalement mon explication restait compliquée.

  • Un de leur militant a carrément tiré sur un pape en 1979, dit Hortensia.
  • Comment sais-tu ça ? dis-je tout étonnée.
  • C’est écrit…

1985 suite :

 

Pendant tout le voyage, l’enfant ne pleura que très peu. De temps en temps, la vielle Mercedes s’arrêtait et un des cinq hommes ouvrait le coffre. En général il en profitait pour offrir quelques biscuits à la jeune fille. Flora, qui ne comprenait pas un mot depuis le début, essayait de paraître gentille pour éviter les problèmes. Au bout de deux nuits passées dans ce coffre, elle fut réveillée brutalement par un homme qu’elle n’avait jamais vu. Il était plutôt grand et avait un regard perçant. Il agrippa Flora par le bras et la força à sortir de la vielle voiture. L’enfant, pris de panique, se mit à pleurer de plus en plus fort. La jeune mère se débattit pour pouvoir tenir son bébé correctement et pour calmer l’enfant. L’homme lui ordonnait des choses qu’elle ne comprenait pas, il parlait de plus en plus fort et l’enfant se mit alors à hurler, ce qui mit celui-ci en colère. Flora vit alors un des cinq hommes qui l’avaient amené jusqu’ici. Le grand homme qui la tenait maintenant par l’épaule donnait une multitude de billets. Flora n’avait jamais vu une telle somme d’un seul coup. Quand les cinq hommes repartirent avec la Mercedes, Flora comprit alors qu’elle venait d’être vendue à cet homme brutal qui, sa main accrochée à son épaule, ne la lâchait pas. Les trois êtres restèrent là, debout, les chaussures qu’ils se remplissaient petit à petit d’un magnifique sable noir. Il attendait visiblement quelqu’un ou quelque chose et regardait sa montre toutes les dix secondes. Pour faire passer le temps, Flora regardait le paysage ; sans le savoir, la jeune fille et le bébé virent la Grèce et même la mer pour la première fois de leur vie. Cet air marin et matinal semblait avoir calmé Hortensia qui prenait de grandes inspirations de ce nouvel air. En jetant un coup d’œil à la montre de cet homme, Flora vit qu’il était six heures du matin. L’homme se mit soudainement à marcher d’un pas déterminé en emportant avec lui le bras de Flora. Elle l’accompagnait sans se plaindre et sans un mot. Ses pensées la traversèrent ; même si elle l’évitait depuis le début de ce voyage, elle repensa à Pietro et à son propre père. Les émotions vinrent se transformer en larmes qui coulèrent discrètement sur sa joue. Pour se réconforter, elle se dit que tout ce qu’elle faisait, tout ce voyage, c’était avant tout pour mettre son enfant en sécurité. Tirée par l’homme qui accélérait le pas, elle vit arriver au loin un camion qui souleva tout le sable de cette plage déserte à cette heure matinale. Il accéléra encore le pas quand un le chauffeur de camion descendit, fit signe au grand costaud qui le lui fit aussi. Puis, il marcha vers la remorque du camion, celle-ci était remplie de cuves de vin. Pendant que Flora et le bébé s’approchèrent, traînés par l’homme qui lui avait pris l’épaule, l’homme, dont elle n’avait toujours pas vu le visage, dévissa le couvercle de six des cuves. Flora était maintenant debout sur la remorque et enfin, le grand homme la lâcha. Les deux hommes se mirent à parler dans une autre langue encore, qu’elle ne comprenait toujours pas, une langue latine. Elle porta attention à ces cuves qui l’entouraient et remarqua que celle que l’homme qui portait la cagoule avait ouverte était vides, les autres semblaient remplies, mais elle n’en était pas certaine. Puis elle vit des gens marcher vers leur direction ; plus ils approchaient, plus Flora distinguait une femme qui semblait un peu plus âgée qu’elle, mais pas beaucoup, et qui, elle aussi était tenue à l’épaule par un homme cagoulé. Il salua les deux hommes appuyés contre le camion et avant de les rejoindre, il amena la femme sur la remorque. Elle adresse un petit sourire qu’elle eu du mal à dévoiler à Flora, il vit alors le bébé et elle s’approcha. La jeune femme mit sa petite main dans la sienne « petit ange… ». Flora, surprise, engagea la discussion en russe. Pavla provenait de Penza, une ville Russe. Ses parents décédés, elle et sa sœur avaient réussit à quitter Penza, mais lors d’un voyage en bateau, celui dans lequel Flora aurait dû embarquer. La sœur de Pavla eut alors un arrêt cardiaque à l’âge de vingt-quatre ans, son corps jeté par-dessus bord.

En parlant de son histoire, Pavla fondit en larmes. Hortensia se mit alors à pleurer elle aussi. Les trois hommes se retournèrent alors et hurlèrent alors sur les deux jeunes femmes de faire taire le bébé qui cria de plus belle, puis après les paroles douces de sa mère, se calma.

Pavla s’excusa en séchant ses larmes.

Une autre femme arriva au loin, de la même façon que Flora et Pavla. Puis petit à petit, de plus en plus de femmes marchèrent vers la remorque. Flora prit le temps de les compter, six en tout. Les hommes montèrent à leur tour sur la remorque et poussèrent de force les six femmes chacune dans une cuve. Enfermée avec son bébé dans le noir, elle reconnut l’odeur… mais pas moyen de s’en souvenir. Elle réfléchit… de la Rezina ! Bien sûr, Pietro en buvait parfois. Elle connaissait bien ce vin Grecque, qu’elle n’aimait pas d’ailleurs.

Elle était alors en Grèce.

 

 

Le voyage n’avait pas duré plus de deux heures, mais sembla tout de même interminable : entre le bébé qui pleurait et les bosses que subissait la remorque, les maux de dos se firent remarquer. L’odeur, elle aussi était de plus en plus insupportable ; autant pour Hortensia que pour sa jeune mère. Le soleil s’était maintenant complètement levé quand, finalement, le camion s’arrêta pour de bon. Flora entendit les portières claquer, des pas et les cuves qui se dévissaient, puis les soulagements des femmes qui mirent pied à terre. Flora fut la dernière. Enfin debout, elle s’étirait et respira enfin de l’air pur. Autour d’elle ne se trouvait pas grand-chose ; des tas de déchets en grande partie, mais un peu plus loin se trouvait un port. Le camion était garé à l’abri des regards. Des valises vides et de faux papiers étaient discrètement distribués par les Loups-Gris, qui n’étaient plus que trois ; les cinq autres ont sûrement dû descendre en chemin. Elle croisa le regard de Pavla et lui adressa un sourire, elle pouvait lire sur ses lèvres « ça va ? ».  

Flora ne savait toujours pas où elle se trouvait. A-t-elle changé de pays ? Pourquoi les Loups-Gris amènent-ils toutes ces femmes avec eux ? Sûrement pour les revendre. 

Après s’être déguisés en groupe en vacanciers, un des trois hommes prit Flora par le bras, mais bien plus délicatement cette fois-ci. Flora fut surprise, mais elle ne voulait surtout pas ni faire pleurer sa fille, ni faire de problèmes. Alors, elle se tut sans rouspéter ni se débattre.

Le groupe avança. Flora comprit alors que les trois hommes avaient pour plan de les faire embarquer sur un bateau et faire croire aux marins qu’ils revenaient de vacances. Pendant que le premier pendait au bras de Flora, les deux autres se firent passer pour des guides accompagnateurs.

 

Le groupe embarqua sur le Jeanneau Islander, un bateau pas très grand et blanc. Il n’y avait pas beaucoup de monde à part le petit groupe de femmes. Le peu de marins qui étaient là ne semblait pas se poser beaucoup de questions ; pour le moment, le plan fonctionnait.

Flora appréhendait ce voyage sur les mers ; elle n’avait jamais voyagé de la sorte auparavant, contrairement à Pavla qui elle, avait son frère dans la marine. Il était militaire, mais était mort assassiné, on ne sait toujours pas pourquoi. Pavla en pleurait quand elle en parlait.

Le bateau se détachait du bord du ponton. Alors, quand ils étaient assez loin, le marin qui dirigeait le Jeaunneau Islander fit démarrer le moteur. Pavla, qui pensait à voix haute, se demanda si le marin était complice aussi. Le bateau sortait du port et quand il était assez loin, il accéléra beaucoup. Flora poussa un cri. Le bébé se mit à pleurer tout de suite. Alors, pour le calmer et pour se détendre elle aussi, Flora lui donna le sein.

Le bateau tangua de plus en plus, pourtant la mer semblait assez calme c’était peut-être l’impression de Flora qui n’était jamais montée à bord. L’homme qui s’était accroché tout à l’heure à son bras vint vers elle. Il parlait fort, et en grecque sûrement. Il lui prit Hortensia des bras et la tendit à Pavla qui l’attrapa tout de suite. Flora se leva plus en colère que jamais, mais l’homme la poussa en arrière, elle tomba sur la banquette. Flora avait un sein nu, l’homme découvrit le second de son tissu. Il riait. Flora se débattait, mais rien à faire. Aucune autre femme ne réagit de peur de se faire agresser elles aussi. Flora gifla de toutes ses forces l’homme, le poussa en arrière et reprit Hortensia dans ses bras, elle se mit tout de suite à la bercer. Les trois hommes qui étaient restés près du marin riaient en se moquant de leur collègue, qui revenait vers eux, bredouille.

Flora n’était pas triste, mais en colère. Toutes les autres femmes la dévisageaient, mais n’osaient pas croiser son regard. La jeune femme prit le temps de se revêtir correctement avant de continuer à allaiter l’enfant qui lui tremblait.

 

Lors du voyage, une femme vomit par-dessus bord, quelques-unes s’étaient endormies, pendant que d’autres priaient discrètement ou discutaient sans se faire remarquer. Le temps était long en mer, mais Flora n’avait plus peur, elle commençait même à apprécier. Elle observait chaque geste du marin et essayait de comprendre à quoi servait chaque corde de couleur.

Flora respirait un air iodé qu’elle aimait bien. Parfois, elle prenait une grande respiration. Pavla lui parlait, mais elle n’écoutait pas toujours ; elle parlait beaucoup, mais ne semblait pas faire grand-chose dans sa vie. Elle avait plus l’air de s’ennuyer. Elle prenait ce voyage pour une aventure amusante contrairement à Flora qui aurait préféré voyager dans de bonnes conditions.

Bercées par le bruit du vent et le mouvement régulier du Jeanneau Islandes, Hortensia et Pavla s’endormirent plusieurs fois, mais jamais le bébé n’avait pleuré durant le voyage.

 

La nuit commença à pointer le bout de son nez, puis tomba. Le petit air chaud qui l’avait accompagnée jusqu’à maintenant se transforma en courant d’air frais. Flora couvrit son enfant d’une petite couverture qu’elle avait trouvée à bord. La nuit était maintenant complètement tombée et Flora n’avait aucune idée de l’heure qu’il était. Le bateau naviguait calmement, puis elle se rendit compte que le marin avait coupé le moteur. Le vieillard croquait dans un morceau de pain, tandis que les trois hommes se reposaient. Sur le bateau, aucune femme ne parlait, même Pavla qui était finalement une vraie pipelette. Mais elle donna un coup de coude à Flora en montrant avec son doigt l’horizon. Flora, qui était assise sur la banquette se leva pour observer le port duquel ils s’approchaient. Les lumières éclaircissaient un panneau à l’avant du port « BRINDISI ». Le bateau accosta et un des hommes descendit sur le quai pour amarrer. Les alentours s’emblaient animés, il y avait de la musique et des passants se promenaient dans les rues qui longeaient le port. À ce moment, la police se dirigea vers le Jeanneau Islandes et discuta en Italien avec le marin qui était maintenant sur le ponton. Il traduisait en Grec aux trois hommes, même s’ils semblaient comprendre quelques mots. La discussion devenait de plus en plus tendue et Flora comprenait quelques mots : « documenti d’identità », « diritti ». Elle en déduisit que cette police venait arraisonner ce bateau. Les trois hommes essayaient de retenir les policiers, mais deux d’entre eux voulaient monter sur le bateau de force. Les hommes courraient sur le bateau pour essayer de le faire redémarrer. Un vacarme se fit entendre. Flora sauta par-dessus le bateau, atterrit sur le ponton avec le bébé dans les bras puis courut aussi vite que possible vers la rue. Il était très tard et elle se mit à l’abri. Aucune autre femme ne l’avait suivie, même pas Pavla à qui elle n’avait pas eu le temps de dire au revoir.

Le cœur de la jeune mère battait la chamade. Elle tremblait, mais, souriant, se rendit compte qu’elle était libre. Mais le stress lui revint tout de suite au cerveau : où allait-elle dormir ?

Pour reprendre complètement ses esprits et pour calmer le bébé qui tremblait encore, elle marcha dans les rues les plus calmes et ne croisait personne. Elle ne voyait d’ailleurs presque pas où elle mettait les pieds. Parfois elle trébuchait de fatigue. Alors, elle s’assit au sol contre le mur d’un immeuble italien, elle allaita Hortensia juste avant de s’endormir.

 

Par chance Antonella, qui rentrait d’une réunion très importante et qui avait duré plus longtemps que prévu était une habitante de cet immeuble. C’était une femme avec un cœur immense et en voyant Flora assise au sol, en pleine nuit et juste en bas de son immeuble, elle ne put pas s’empêcher de la réveiller.

 

Quand une main lui secoua l’épaule, Flora se trouva en face d’une dame accroupie qui lui adressait un immense sourire. La première réaction de Flora était de voir comment allait son bébé. En lui découvrant son petit visage d’ange, Antonella, qui ne s’attendait pas du tout à voir un nourrisson dans ses bras, se mit à parler au bébé comme une vraie grand-mère. Elle aida ensuite à relever Flora et lui fit signe de la suivre. Elle monta des escaliers, puis arriva dans une cour dont elle ne voyait pas les balcons qui n’étaient pas éclairés. Antonella sortit un trousseau de clés énorme qui fit un vacarme ; elle faillit réveiller l’immeuble entier. Le sourire de la dame ne la quittait jamais. Elle parlait à Flora en italien, qui ne comprenait pas un mot et arrivait encore moins à se concentrer : elle mourrait de faim et le bébé aussi. Antonella lui tenait la porte du vieil ascenseur.

 

Entrée dans son appartement, Antonella se mit tout de suite à préparer un plat de pâtes à 3 heures du matin comme s’il était 19 heures, ce qui fit sourire Flora. La dame chantonnait et se retournait par moment pour voir si tout allait bien. Quelques minutes plus tard, un magnifique plat de pâtes arriva sous son nez. Antonella tendit les mains et Flora comprit qu’elle voulait prendre sa fille dans ses bras pour qu’elle puisse se régaler.

 

La jeune fille n’avait plus faim ! Mais la fatigue était revenue tout de suite. Antonella lui accommoda une chambre très confortable et Flora s’y endormit tout de suite. La dame organisa alors une sorte de landau pour Hortensia à qui elle prit le temps de chanter une petite berceuse avant d’aller dormir à son tour.

 

Le lendemain matin, Flora se réveilla sous un grand soleil qui traversait la vitre. Elle remarqua qu’Antonella s’était occupé de sa fille pour qu’elle fasse une nuit complète. Elle se leva puis se dirigea vers la cuisine ou elle vit Antonella assise avec sa fille sur ses genoux, un biscuit et un café l’attendaient. La bonne humeur de la dame la fit sourire : « Ciao ! Bene dormito ? ». Même si Flora ne comprennait pas un mot, elle aimait tellement cette femme ! Elle se sentait en sécurité et elle en avait besoin. Au petit déjeuner, elle essayait de poser des questions à Flora mais la communication était compliquée. L’Italien n’avait pas grand-chose à voir avec le Russe. Elle avait réussi à comprendre que Flora venait de Russie, elle semblait jeune et des gens l’ont kidnappée mais elle a réussi à s’enfuir et est arrivée ici cette nuit là.

 

Flora se nourrisssait et allaitait Hortensia, tandis qu’Antonella passait toutes ses journnées au travail et rentrait parfois très tard. Flora avait compris comment fonctionnait la cuisine et préparait des plats de pâtes plutôt réussis. Elle savait que Antonella avait un travail politique par apport à la Grèce et à Brindisi, là ou elle habite.  Elle était une femme forte et pleine d’ambitions mais joyeuse aussi. Le quatrième jour, Antonella rentra à l’appartement pour aller chercher Flora, qui ne comprenait pas pourquoi elle était là. Elle lui fit le signe pour aller manger mais autre part qu’ici, Flora en déduisit qu’elle allait au restaurant. Antonella pris Hortensia dans les bras et descendit avec l’ascenseur tandis que la jeune mère la suivait. En sortant de l’immeuble, un couple qui semblait avoir tout deux le même âge que Antonella, les attendait. Lui, lui dit un signe de la main et guise de salut, elle, tenait une poussette à la main et la tendit à Antonella qui y mit le bébé délicatement. Puis, ils partirent marcher jusqu’à arriver au centre ville de Brindisi, en face du port que Flora avait quitté en urgence la nuit de son arrivée. Le petit groupe s’installa en terrasse d’un restaurant pour y admirer la vue sur mer. Ils parlaient en Italien et Flora ne savait pas encore qu’elle lui avait réservé une surprise : la femme du couple parlait couramment Russe et était là pour traduire mais surtout pour passer un bon moment avec ses collègues de travail.

Lors de ce repas, Flora apprit que Antonella et le couple étaient consules de pays différents, la Grèce, l’Espagne et la Russie. Elle apprit aussi que Antonella avait 54 ans et qu’elle avait un mari, il s’appelle Albert et est journaliste français qui est en ce moment même chez sa sœur en France. Elle racontait aussi son voyage et la dame prit le temps de traduire en Italien pour son compagnon et pour Antonella.

 

Après cette longue histoire racontée par la jeune fille, les émotions de soulagement d’avoir trouvé un logement confortable était une sensation magique. Alors des larmes, de joie ou de tristesse coulèrent sur les joues de Flora. Elle avait un autre sentiment cette fois-ci : celui d’avoir abaandonné son père.

La dame traduit alors les paroles de Antonella : « c’est très courageux ! Antonella dit que tu es une fille formidable et te demande si tu as une destination particulière en tête ? ». Flora lui confia que son but était de partir en France pour avoir une chance de retrouver son oncle et sa petite famille.

 

Le verre en terasse se transforma rapidement en repas dans un restaurant italien. Flora n’avait aucune idée du plat à choisir et n’arrivait même pas à distinguer cet alphabet si différent du sien.

Elle reçut en rentrant à l’appartement sa première leçon d’italien. En seulement trois jours, elle savait se présenter et avait même réussit à oublier un peu son accent russe lorsqu’elle s’exerçait. Un matin, pendant que le bébé dormait enfin et que Flora prenait son petit déjeuner, Antonella dû lui annoncer qu’il était temps maintenant pour la jeune fille de rejoindre son oncle. Elle lui expliqua que son mari, qui était en voyage à Rome, avait une sœur qui habitait en France, dans le sud, en plein centre de Marseille. Elle lui communiqua son plan : l’idée serait qu’Antonella lui procure une carte d’identité italienne pour qu’elle puisse se rendre à Marseille et rencontrer sa belle-sœur bibliothécaire, Florence.

 

Deux jours plus tard, le projet se concrétise quand Antonella rentre du travail avec une carte d’identité dans les mains. « Je ne pensais jamais faire ça un jour ! » dit-elle en riant et en tendant la carte d’identité à Flora. La jeune fille ne souriait pas sur la photo, comme Antonella le lui avait dit. Flora trouvait ça dommage de ne pas être joyeuse sur une photo, on est tout de même plus joli ! En dessous, la nationalité russe de Flora était indiquée et juste en dessous, sa date de naissance : 1963. Flora fit rapidement le calcul… elle avait alors 21 ans, c’était âgé pour son physique. Elle le fit remarquer à Antonella par des signes, quand elle comprit, elle lui adressa un grand sourir il lui dit comprendre qu’elle était belle et ressemblait à une jeune femme maintenant, plus à une jeune fille. « D’ailleurs, quel âge as-tu ? ».

Aïe… la question piège à laquelle elle ne pouvait pas répondre, par peur. Alors, elle montra avec les doigts « 19 ». Ce qui voudrai dire qu’elle serait née en 1965. 

Antonella acquiesça puis se leva pour aller voir Hortensia qui avait arrêté de pleurer énormément depuis son confort trouvé à Brindisi. Hortensia avait maintenant sept mois et deux semaines, sa fille grandissait si vite…

 

Flora n’osait pas sortir seule, elle profitait de l’animation de la ville depuis le balcon du neuvième étage. Elle préférait être en sécurité et en profiter. Aussi, Flora et l’enfant prirent le temps de se reposer avant de reprendre le voyage.

 

Il était maintenant temps de partir pour de bon. Antonella acheta une petite valise à Flora et l’aida à faire ses bagages. Elle prit aussi la poussette avec elle, ce qui lui facilitait beaucoup la tâche, plutôt que de porter Hortensia dans ses bras. Elle a encore la sensation du poids qui se faisait de plus en plus lourd et des douleurs de dos qui arrivaient par la suite.

Flora mettait dans son petit sac à dos ses faux papiers et une enveloppe d’argent. La jeune fille adorait la robe beige que la dame lui avait offerte et la portait tout le temps.

 

Arrivées à la gare, les deux femmes et l’enfant cherchèrent ensemble le bon quai. La gare était plutôt grande et il y avait beaucoup de monde. Flora priait pour ne pas croiser les hommes cagoulés qui l’avaient kidnappée et amenée jusqu’ici.

Poussée une dernière fois par Antonella, Hortensia la regardait avec ses grands yeux qui lui dévoraient le visage. Antonella essayait tout de même de voir le bon côté de ce départ : Flora va retrouver sa cousine à qui elle tient énormément et Hortensia serait en sécurité pour toujours, là-bas. Flora, elle aussi, avait le cœur serré mais retenait ses larmes mais elle savait que Antonella allait lui manquer. Tout en marchant en silence, les deux femmes pensaient a la même chose sans le savoir.

Le train était déjà là. Flora se tourna alors vers sa sauveuse. « Grazie ! ».

  • Tu es magnifique !

En entendant ces mots, la jeune fille libéra, sans le vouloir, les larmes qu’elle avait accumulées. Antonella, la serra dans ses bras chaleureux.

Flora, chargée, monta dans le train. Elle voyait Antonella sur le quai qui lui adressait son formidable sourire.

C’était pour les deux femmes une séparation difficile : pendant le séjour de Flora, elles s’étaient beaucoup attachées l’une à l’autre. Pendant que l’histoire de Flora avait touchée Antonella, la jeune fille ne pouvait plus se passer de sa joie de vivre et à sa vision toujours positive des choses. En très peu de temps, elle est comme devenue une mère de confiance pour elle.

Le train s’arrêta plusieurs fois. Les gens montaient ou descendait, sinon restaient assis, dormaient, lisaient ou grignotaient un morceau, un biscuit. 

 

Sur ton billet de train, elle savait qu’elle allait arriver à Modane, la ville à la frontière. Un contrôleur arriva alors dans son Wagon et le stresse monta du côté de la jeune fille. En secret, elle priait pour qu’elle et sa fille ne soit pas arrêtées. Plus que deux personnes à contrôler avant elle. Personne dans le wagon n’avait eu de problemes de ticket, Flora essayait donc de se convaincre que tout allait bien se passer.

L’homme s’adressa maintenant à elle : « biglietto e documenti, per favore. ». Elle lui tendit alors son ticket d’embarquement et sa carte d’identité d’une main tremblante qu’elle essayait de canaliser. L’homme regarda alors Flora d’un regard méfiant et la jeune fille eu un reflex stupide… elle lui souria bêtement. L’homme fronça les sourcils et fit signe à un collègue dans un autre wagon qui arriva aussitôt. Il lui montra la carte d’identité en parlant tout bas. Flora ne les lâcha pas des yeux et sera Hortensia qui dormait, contre sa poitrine. L’autre homme regarda aussi le bébé puis échangea encore quelques mots avec son collègue avant de demander à Flora, très sèchement, de lui suivre et de prendre toutes ses affaires.

Flora eu très peur mais obéi.

La jeune fille était très encombrée mais les deux hommes ne se bougèrent pas le petit doigt pour l’aider. Elle était maintenant entourée des deux contrôleurs en train de marcher dans une gare qu’elle ne connaissait pas. Elle ne savait même pas ou elle se dirigeait. Le premier poussa la porte d’un bureau aux fenêtres floutées. Une femme, vêtue du même uniforme était assise. Le second la mis au courant du problème concernant Flora, duquel elle n’était même pas au courant. La jeune femme s’approcha alors d’elle et lui expliqua, en italien rapide, qu’elle allait procéder à une fouille, d’elle et de sa petite valise.

Sa veste était posée sur la table, avec toutes ses affaires. Un morceau de papier auquel personne ne prêta attention.

 

Ça faisait maintenant plus d’une demie-heure que la contrôleuse cherchait quelque chose… elle attrapa le papier au sol. Elle prit alors le téléphone fixe du bureau pour appeler le numéro de téléphone qui était inscrit à la main. 

Flora se demanda à qui pouvait bien appartenir ce numéro… sachant que cette veste, c’était Antonella qui lui avait offert. Mais oui, bien sur ! Antonella ! C’était la seule hypothèse qu’elle avait trouvée et elle espérait tant retrouver sa voix au bout du fil.

C’était elle ! Elle reconnu sa façon de parler à un simple « Pronto ? ». La contrôleuse lui expliqua brusquement le problème sans lui laisser placer un mot, ce qui énerva Flora. Hortensia se mit à pleurer, elle venait de se reveiller et avait faim. Elle pleura si fort que la jeune femme eu du mal à se faire comprendre au téléphone. Flora s’appuya alors sur la table de fouille sans demander la permission, pour donner le sein à sa fille. La contrôleuse lui lança un regard noir mais les pleurs se calmèrent et le coup de fil pu reprendre.

Flora essayait d’écouter la conversation et compris que Antonella était en colère. La contrôleuse s’était tu et, à son tour, n’arrivait plus à placer un mot. Flora riait intérieurement. La voix du téléphone changea, puis, à contre cœur, elle tendit le téléphone à la jeune mère qui l’attrapa, étonnée. Alors, elle sortit quelques mots qu’elle avait appris : « si, chi e ? ». À sa plus grande surprise, l’amie de Antonella, femme russe qui lui avait offert la poussette et traduit son histoire, lui répondit. Elle lui expliqua alors, avec son fort accent italien que Flora avait été prise pour une Roumaine bohémienne et que en plus de ça, elle avait kidnapper le bébé, qui n’était pas le sien. En plus, ils pensaient que ses papiers étaient faux. « Mais ne t’inquiète pas, Antonella s’est chargée de leur faire la morale ! ». La gentille dame lui demanda de ne pas se préoccuper et qu’elle allait passer la frontière Française sans problèmes. Florence devait l’attendre sur le quai. « Antonella te salue ».

 

Ça y est, elle était assise à sa place dans le train qui avait pris beaucoup de retard. À ce qu’il parait, les trains en France sont toujours en retard. D’ailleurs, cette fois-ci, l’un des deux contrôleurs avait porté la valise tandis que l’autre l’avait aidé à monter la poussette dans le train, comme pour s’excuser. Ça fit sourire Flora, elle s’en moquait puisque tout allait bien maintenant.

Dans le wagon, tous les regards étaient plaqués sur elle, des regards de reproches. Un homme sur le quai siffla et le train se remit en moteur. Le prochain arrêt, c’était Marseille !

 

Le train commençait maintenant à ralentir, les gens se levaient pour réunir leurs affaires, d’autres restaient assis, direction Montpellier.

Flora elle aussi se préparait pour sortir. Le morceau de papier sur lequel était inscrit le numéro d’Antonella était encore dans sa poche, et pendant le trajet, elle l’avait appris par cœur.

 

Ça y est, Flora est à Marseille sur le quai de la grande gare. Elle savait que Florence avait un bandeau bleu dans les cheveux et des cheveux noirs coupés au carré. Elle la cherchait du regard et une main se posa sur son épaule. « Flora ? ». La jeune fille se retourna et vit Florence, comme Antonella la lui avait décrite.

Elle l’amena chez elle et l’installa dans une chambre d’ami. Elle avait une belle maison très proche de la plage.

Même si Flora ne comprennait rien, elle aimait bien quand Florence lui parlait français. La dame était bouquiniste et avait, dans son salon, une multitude de bibliothèques toutes plaines à craquer de livres.

Florence n’était pas aussi chaleureuse que sa belle-sœur mais lui faisait découvrir la plage, le restaurant et les promenades. Elle apprit à Flora quelques mots en français et lui fit découvrir la vie à Marseille. Elle emmenait parfois la jeune fille dans sa bouquinerie et Flora adorait ca. C’est elle qui lui fit découvrir sa passion pour la littérature et pour la langue française.

Florence prit aussi le temps d’amener Hortensia chez le médecin car elle jugeait important, pour un bébé qu’il avait fait un voyage si dur. Flora aimait Marseille et s’attachait beaucoup à Florence.

 

Un jour, en fin de matinée, Florence lui proposa de rencontrer un ami à elle, Bertrand qui est aussi bouquiniste, et sa fille de 18 ans. Elle accepta avec joie.

Les deux jeunes femmes poussèrent la poussette à pied jusqu’à la brasserie « la Samaritaine ». Les deux invités de Florence n’étaient pas encore là, alors Florence, Flora et le bébé s’installèrent à une table en terrasse et commandèrent un jus d’orange et un Camparie Orange. Elles patientèrent quelques minutes et Flora en profita pour jouer avec sa fille.

« Les voilà ! », annonça Florence. Flora releva la tête et les chercha des yeux parmis la foule sur la terrasse.

Soudain, le choc. L’homme qui faisait la bise à Florence ressemblait si fortement à son oncle, il en était son sosie. Mais elle ne reconnue pas la jeune fille qui la suivait. Ça ne pouvait pas être eux…

Flora eu du mal le regarder et ne décrocha pas un sourire de tout le repas, d’autant plus qu’elle ne comprennait rien. Elle n’arriverait pas à arrêter de penser à son oncle mais fut si déçue et commençait à se faire des films en imaginant les retrouvailles entre elle et sa cousine qu’elle mourait d’envie de revoir.

Elle ne prêtait pas vraiment attention à la jeune fille qui accompagnait son père, et, elle non plus ne dit rien du repas. Elle préférait regarder Flora avec intrigue. Ils parlaient très bien le français mais avec un léger accent que Flora ne réussit pas à situer.

 

En retrant à la maison, Florence porposa une solution à Flora. « Tu m’as bien dit que tu voulais partir à Paris pour retrouver ton oncle et sa famille ? Eh bien, Bertrand te propose de t’héberger chez eux, quand ils retourneront à la capitale, dans trois jours. Ça te plairait ? ». Évidement, Flora n’avait pas tout compris, mais vivait entendu « Paris », « héberger », « oncle » et « Bertrand ». La jeune fille qui allaitait sa fille se demanda si c’était une bonne idée de partir avec des inconnus, sachant que l’homme qui allait l’héberger chez lui est le portrait craché de son oncle.

Mais retrouver sa famille était sa priorité et elle savait que sa tante, Ekaterina, avait toujours rêvé de Paris. Elle voilait que Hortensia rencontre sa cousine et vivre avec eux.

Après un long moment de réflexion, elle accepta d’un signe de tête.

 

Flora dormit encore plus mal que d’habitude, depuis qu’elle avait vu Bertrand. Ses souvenirs de sa jeune enfance l’avaient remuée. Elle n’avait aucuns souvenirs de son oncle d’ailleurs, et ne l’avait que vu sur des photos de famille attachées sur les murs de sa maison. En revanche, elle se rappelait très bien Luna. Elle avait les cheveux blonds, très longs et toujours tressés. Flora se souvenait de son rire et sa voix d’enfant. Elle devait avoir bien grandit, l’enfant de huit ans !

 

Le dernier jour que Flora a passé à Marseille, elle l’a passé sur la plage, un endroit qu’elle adorait depuis qu’elle l’a découvert. Elle faisait ses valises et se préparait pour voyager, direction la capitale !

 

Florence amena Flora et sa fille au café, proche de la gare, qui était le point de rendez-vous. Luna et son père étaient déjà là et attendaient que le train soit annoncé. Flora se força à être plus chaleureuse que lors de leur rencontre et elle se rendait bien compte de la chance qu’elle avait : se faire héberger à Paris, pour retrouver sa cousine. Alors, comme bon français, elle fit la bise au père et essaya de discuter avec la fille, avec qui elle allait voyager et habiter un certain temps. La jeune fille se présenta sous le nom de Camille, elle avait 18 ans et parlait parfaitement le français.

Flora avait quelque chose de familier avec Camille mais ne savait pas vraiment quoi…

Camille adorait Hortensia, avec qui elle jouait depuis la poussette.

Tout le monde était maintenant sur le quai 4 et se dire au revoir avant de monter dans le train et de laisser Florence rentrer chez elle. Elle avait laissé son numéro de téléphone à Flora pour qu’elle puisse la joindre en cas de problème.

Pendant tout le trajet, Hortensia était calme dans les bras de Camille qui passait son temps à lui sourire. Flora l’a aussi surprise en train de la regarder intensément, comme si elle se connaissaient depuis longtemps. Quant à Bertrand, il passa tout le voyage plongé dans les livres que Florence lui avait prêté.

À la Gare Montparnasse, la mère de Camille les attendait avec un grand sourire en les voyants. Lors du voyage, Flora apprit que cette femme, Marianne, était hongroise et avait un accent très prononcé qu’elle n’arrivait pas à perdre. Il était presque aussi fort que celui de Flora quand elle disait les quelques phrases qu’elle avait appris en italien.

 

Flora ressentit la même chose que quand elle avait rencontré Camille et n’arrivait toujours pas à définir cette sensation. La jeune fille se présenta comme elle le pu grâce aux quelques mots de français qu’elle avait appris et parlait elle aussi plus ou moins bien le français. La dame l’accueillit avec un grand sourire mais la dévisagea pendant quelques secondes, une manie de la famille sûrement. 

Bertrand salua sa femme et regarda l’heure en pressant le pas : le TER n’allait pas les attendre.

La petite famille se dépêcha, suivit de Flora et de la poussette. Ils prirent le Métropolitain et Flora respira pour la première fois cette odeur qu’elle n’aimait pas. Puis, ils montèrent dans le TER avec la poussette et se rapprochèrent de Montmartre, là où avait granit Camille depuis une dizaine d’années. 

Ils arrivèrent à pied, dans une petite rue très calme du quartier des artistes, ce qui fit du bien à Flora, qui n’en pouvait plus de voir autant de monde d’un coup. Mais depuis son arrivée à Paris, elle examinait chaque personne pour espérer reconnaître le visage de sa cousine. Mais pour l’instant, personne…

Bertrand entra dans la petite maison au coin de la rue en premier. Flora ne pensait pas qu’il y avait des maisons à Paris, mais ne connaissait pas Montmartre et cette vie si plus calme que dans d’autres quartiers.

La petite maison grise ne se fessait pas beaucoup remarquer et était même plutôt mignonne mais cachée par quelques arbres et une haute palissade.

Flora essayait d’être le plus aimable possible et les remerciaient du fait qu’ils hébergent la jeune mère et son bébé volontiers.

Marianne la chouchoutait et adorait le bébé, tout comme Camille, qui passa la journée à s’en occuper. Elle était installée dans la chambre de Camille. Flora fit une petite sieste et Marianne vint la réveiller pour dîner.

Pendant tout le repas, Flora raconta son voyage et son histoire, car c’était la moindre des choses. Tout le monde l’écoutait attentivement et essayaient de comprendre ce qu’elle disait grâce à des gestes et quelques mots par-ci par-là. Bertrand, qui semblait au départ s’intéresser assez peu au passé de la jeune fille, se mit soudain à poser beaucoup de questions auquelles Flora essayait de répondre du mieux qu’elle pouvait, en omettant son jeune âge.

« En qu’elle année est decedée ta mère ? » et machinalement, Flora lui répond « 1968 », en russe. Alors, le visage des deux femmes se tournèrent vers Bertrand qui dévisageait la jeune mère, qui ne comprenait pas la situation. Après un long moment de silence, Marianne ne pu s’empêcher de sourire, les yeux pleins de larmes. Bertrand fit un signe de tête aux deux femmes, comme s’il donner sa permition. Alors la mère se leva pour serrer Flora dans ses bras et lui chuchota à l’oreille « ??? ?????????? ??????? *» (*ma nièce retrouvée)

 

 

 

 

Hortensia avait déjà trois ans, elle grandissait vite. Flora finissait tout juste le lycée et progressait énormément : elle avait perdu entièrement son accent. Elle avait eu du mal à s’habituer aux mesures de sécurité imposées par son oncle, comme son nouveau prénom, Fleur, et à l’histoire de son enfant, sur la Côte d’Azur, inventée de toutes pièces.

 

À partir de ce moment là, Fleur grandit comme une vraie Parisienne, allant jusqu’à passer ses vacances d’été à Dinard, dans la résidence secondaire familiale, une grande et belle maison au bord de la mer.

 

Un soir, apres le dîner, Boris qui était devenue Bertrand, passa la porte de la chambre de sa nièce, un journal à la main lui dit qu’il avait un tres mauvaise nouvelle à lui annoncer. « Assied-toi, tu dois être forte. Tu as sûrement entendu parler de ce Hold-up perpétré il y a deux jours dans cette station service en Belgique par la bande du Hainaut ? Il y a eu plusieurs victimes et parmis elles, se trouvait ton père. ».

  • Mon père ? Mais que fesait-il là ? demanda Fleur, sous le choc.
  • J’ai appris par mes amis qu’il avait été incarseré peu après ton départ et libéré au debut du mois. Une filière d’évasion lui a permis de quitter le pays. Il parcourait en autocar la dernière étape de son périple entre Bruxelles et Paris. Je suis désolé.

     Boris sortit de la chambre et Luna, qui se tenait sur le pas de la porte, fit son possible pour la consoler.

La jeune fille eu du mal à s’en remettre, d’autant plus que personne n’est allé aux funérailles de ce voyageur anomime, mis a part quelques agents du KGB.

Me moment douloureux marqua le départ de sa vocation d’écrivain. C’est à ce moment là qu’elle entama l’écriture du roman de sa vie.

 

5 mars 1990. La jeune écrivaine, fleur Joly, tiendra une séance d’autographes à la librairie “De La Main” pour présenter son premier recueil de nouvelles, des histoires amusantes et palpitantes.

 

« Je le mets à quel nom ? »

« Pietro »

 

 

L’homme qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps se faisait dédicacer son livre, qu’il avait lu en boucle et pour la dernière fois dans le train depuis l’Italie, là où il s’était réfugié après la chute du mur de Berlin qui fit tomber tant de frontières. « Ton roman était genial et c’est grâce à l’article paru dans le journal que je t’ai retrouvé »

Il invita sa jeune fiacée qui lui avait tellement manqué et qui avait bien grandi en cinq ans, à boire un verre en terasse. Flora le bombarda de questions ; « mais qu’est ce que tu fais là ? Depuis combien de temps ? Et surtout, comment vas-tu ? »

Pietro et elle parlaient russe mais à voix basse, une langue qui lui avait beaucoup manquée à tel point que la jeune mère oubliait qu’elle mettait en danger la vie de son oncle.

  • Je veux que toi et ma fille veniez vivre avec moi en Sicile, j’ai une magnifique villa là bas. Ça va te plaire, tu verras ! Vous m’avez tellement manquées…

Fleur tenait tellement à aller vivre avec son bien aimé mais aurait du mal à abandonner sa famille pour partir s’installer en Italie. « Flora, tu as du talent et tu vas pouvoir le développer autant en Sicile avec moi qu’ici avec Boris »

  • Je m’appelle Fleur et mon oncle, c’est Bertrand.

« Pour moi tu seras toujours Flora… »

La jeune femme, hésitante, était tout de même convaincue qu’il serait mieux pour leur petite fille, âgée maintenant de six ans, de grandir auprès de son père. Comment allait-elle annoncer une nouvelle pareille à sa famille ?

 

Le soir, Fleur appréhendais… lors du dîner, la jeune mère essaya d’aborder le sujet en douceur

 

Même si la mère et la fille se sentaient bien ici, apres un moi, l’ambiance commençait à devenir de plus en plus pesante. Mais la jeune mère trouvait tous les moyens de s’occuper et continait à appeler sa cousine, à écrire quelques idées qui lui passaient par la tête. D’autre part, elle se rendait compte que son fiancé était devenu un « Capomandamento ». Hortensia, elle aussi, avait du mal à tenir en place. Sa mère lui apprenait le français et faisait tout son possible pour l’amuser.

 

Cela faisait maintenant quatre mois que Flora insistait pour sortir mais Pietro était devenu très autoritaire ; à tel point qu’elle n’arrivait plus à le reconnaître. Mais il continuait à lui offrir parfois de beaux présents, lui faisait son sourire charmeur ou la serrer dans ses bras.

Mais un soir, la dispute éclata lorsque Pietro appris que sa femme s’était redue sur la plage avec sa fille sans son accord. « En plus, ces idiots de gardes ne t’ont pas vue ?! »

  • Je suis passée par derrière !

 « Idiote ! » hurla-t-il en la giflant pour partir s’enfermer dans sa chambre de luxe.

Fleur était sous le choc. Elle fondit en larme en essyant de ne pas reveiller Hortensia. Le lendemain, le jeune père n’était plus là et rentra dans la soirée, en s’excusant, mais Fleur commençait à avoir peur de lui

  • Tu as raison, tu as le droit de sortir et je n’aime pas te voir dans cet état-là ; j’ai fait ça parce que je tiens à toi.

La jeune fille eut du mal à comprendre cette phrase qui ne la fit pas du tout sourire mais elle ne dit rien et écouta ce qu’il avait à lui dire : « demain tu pourras aller t’acheter des vêtements et des bijoux, à la seule condition que tu sois escortée ! Prends un million de Lires dans le coffre. » Sur ces mots, Fleur se jeta à son coup : « merci, merci, merci ! ».

 

« Hortensia, n’oublie pas de bien boir avant de partir ! »

 

La voiture s’était garée à Puntaraisi devant l’atelier Bulgari, certainement le bijoutier le plus cher d’Italie. Flora était impatiente de voir ses joyaux se confectionner sous ses yeux. Le passager sorti du véhicule, main à la ceinture, observa si la voie était libre puis fit signe à la jeune femme de sortir avec sa fille. Arrivés devant la porte d’entrée, il la fit patienter, regarda par l’entre bâillement de la porte : « vous pouvez entrer ».

L’atelier de bijouterie n’était pas très grand mais s’y trouvaient des merveilles qui valaient une fortune. La jeune femme montra à sa fille les colliers finement ciselés et aux motifs originaux, les bagues en or blanc ornées de lapis-lazuli et les fabuleuses créations et pièces uniques. Hortensia insista pour aller voir la collection de pendantifs que l’artisanat créait avec passion. L’enfant regardait l’homme avec admiration tandis que celui-ci observait le garde avec inquiétude. Fleur observait toutes ces breloques et diamants qui l’entouraient tout en se plaignait et haute et distincte voix de pouvoir n’en acheter que quelques unes. Soudaine, la petite fille interompi l’élan d’admiration de sa mère par une envie pressante. Flora la prit sans les bras et informat le garde qu’elles se rendaient aux toilettes à l’arrière de l’atelier. Il acquiesça sans l’accompagner. Soudain, et discrètement, la jeune fille prit l’autre porte, celle qui menait sur la rue à l’arrière. Elle héla un taxi en silence et s’y assis avec sa fille, ferma la porte et annonça la destination : « aeroporto ! ».

 

Après s’être rendue compte du risque qu’elle prenait, son cœur s’emballa et elle serra la petite main d’Hortensia dans la sienne ; mais il ce n’était pas le moment de s’émouvoir.

 

Dix minutes plus tard, le taxi s’arrêta à l’aéroport de Puntaraisi. Elle paya son chauffeur avec l’argent de Pietro puis pressa le pas. En entrant dans l'aeroport Fleur vit au loin Peppino, un des hommes de main de Pietro et son adjoint.

Elle se précipita dans la première boutique venue et l'observa de derrière la vitrine pour être sûre qu'il ne l'avait pas remarquée.

Rassurée, elle se rendit compte qu'elle était dans une maroquinerie. Ce fut le shopping le plus rapide de sa vie : un bagage à main et quelques affaires pour elle et la petite dont elle arracha immédiatement les étiquettes, après les avoir payés avec l'argent de Pietro.

Il s'agissait maintenant de jouer à cache-cache avec les deux hommes, qui, bien qu'ils semblaient pour l'instant désoeuvrés, risquaient d'être alertés à tout moment de sa fuite.

Puis, tenant sa fille par la main, elle se pressa au comptoir d’enregistrement. Le première avoir partait pour Bruxelles. La jeune mère sortit alors de sa poche les passeports et cartes d’identité qu’elle avait pris en même temps que l’argent, dans le coffre fort de la villa. La dame au comptoir, les deux billets réglés, procéda immédiatement au Check-in. Son plan, jusqu’à lors, se déroulait sans entorses. « Dépêchez-vous medames, votre avion décolle dans vingt minutes ! ».

Elle avait bien retenu comment se débrouiller dans un aéroport, quand elle est venue s’installer en Sicile.

 

Trente minutes venaient de s’écouler depuis son arrivée à l’aéroport. Alors qu'un policier dans la file lui faisait signe d'avancer pour le contrôle sécurité, flore vit les deux hommes qu'elle ne perdait pas de vue s'agiter frénétiquement.

 

Haletante, elle se dépêcha de faire passer le portique à  Hortensia, s'y engouffra pour ensuite récupérer ses affaires et disparaitre du champ de vision des deux bandits.

Ouf ! Ils ne l'avaient certainement pas vue.

 

 

L’avion atterrissait et Hortensia pleurait toujours autant. Flora réussit à trouver un moyen pour se rendre en ville et appeler sa cousine ; elle prit un bus. Mais avant, elle devait se rendre à un bureau de change, pour transformer une partie de l’argent qu’elle avait pris à Pietro en francs belges.

La jeune mère fut surprise par l’accent de la boulangère, chez qui elle acheta deux sandwichs pour elle et sa fille.

Fleur, qui n’avait pas pour autant perdu son sens de l’independance, arrêta dans la rue un jeune couple, qui lui indiqua où se trouvait la cabine téléphonique la plus proche. Après s’y être enfermée seule, elle composa le numéro de sa cousine dans l’espoir qu’elle reponde à cet appel. Hortensia souriait au passants la bouche plaine de jambon et de pain, en les montrant du doigts, tandis qu’eux s’arrêtaient pour dire quelques mots à la petite fille, qui les faisait rire.

« Oui, allô ? ». Flora fondit en larmes en entendant la voix de la personne dont elle avait le plus besoin en ce moment. Elle lui expliqua alors en chuchotant, toute l’histoire qu’elle avait vécu ces derniers mois. Quel plaisir de parler français à nouveau ! Fleur jetait parfois un coup d’œil à sa fille, qui s’amusait comme une folle, mais qui avait finit par s’assoir par terre, appuyée contre la cabine.

Au bout du fil, la voix de Camille grésillait :

  • Reste là, je viens te chercher. Mets-toi au chaud avec la petite. Tati arrive.

Mais Fleur refusa ; elle voulait tout d’abord rendre visite à son père, enterré non loin d’ici, à Charles Roi. « Tu as raison, profites-en ! Je viendrai te chercher là-bas. ».

 

La jeune femme reusssit à acheter deux tickets pour ce se rendre en bus à ce cimetière. Le terrain était plutôt grand mais elle n’eu pas de mal à trouver sa tombe, qui était daans les premières : Vladimir Doubrovski. Sa triste pierre n’était décorée que de son nom gravé dans la roche. La jeune fille emprunta alors queulques plantes voisines pour enjoliver celle de son père, puis, agenouillée pris le temps de se recueillir.  

La petite fille trottinait autour des belles fleurs et apportait un peu de vie à cet endroit si terne et morose. Elle ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi sa mère pleurait discrètement. C’est à ce moment que Flora prit la décision de ne pas parler de son passé à sa fille, pour la protéger de son père ; elle était donc résignée à ne pas aborder le sujet de son voyage, ni du grand père d’Hortensia, que la jeune mère était en train de pleurer.

Après avoir marché avec l’enfant autour du cimetière, elle essuya de meubler l’attente par tous les moyens possibles : elle lisait les inscriptions des tombes voisines, regardait les fleurs les plus proches ou encore s’asseya pour jouer avec sa fille, qui commençait à s’ennuyer.

Cela faisait trois heures que Fleur attendait impatiemment sa cousine. Alors, une voiture rouge se gara assez brutalement sur le parking et Luna en sortie. Flora se leva et fondit en larmes lorsqu’elle atteint ses bras chaleureux. Camille embrasa alors Hortensia et elles redémarrèrent apres que la cousine ait finit de se recueillir sur la tombe de son oncle.

 

Lors du voyage pour Paris, au gré des embouteillages sur le périphérique, Flora prit le temps de raconter en détails les six mois qu’elle avait vécu avec Pietro. Elle fit aussi comprendre qu’elle se rendait bien compte de son erreur et qu’elle aurait du rester vivre sagement avec lee peu de famille qu’il lui restait.

« Je comprends, mais Boris… Bertrand, est encore trop en colère contre toi, et tu l’as bien compris ; il ne veut plus te voir sous son toit. »

La jeune femme se sentait honteuse et réalisait maintennat qu’elle avait effectivement mis la vie de son oncle en danger. Mais Luna avait tout prévu :

  • Je t’ai trouvé un hôtel pas trop cher. Ça fera l’affaire, le temps que tu trouve un appartement correct pour toi et Hortensia. Je pense aussi que ce n’est pas une bonne idée que mon père sache que tu es de retour à Paris… ».

 

Avec l’aide de sa tati, Hortensia fut tout de suite scolarisée en CP. Luna essayait aussi de secouer sa cousine pour qu’elle reprenne l’écriture, ce qui, au bout de quelques semaines, porta ses fruits. Elle passait tous les jours dans le nouvel appartement du 9e arrondissement pour l’aider à s’organiser. La vie des deux femmes s’organisait autour du quartier, animé de son marché et de ses points locaux. C’est justement là que Luna rencontra Mme Martin, la voisine du dessous qui ne sortait qu’en chaise roulante. La jeune femme prit alors l’habitude de l’accompagner faire ses achats puis, la ramenait chez elle où elle passait de longue apres midi à remémorer le temps passé autour d’une tasse de thé. C’est ainsi qu’était née une profonde et réciproque sympathie.

 

Après trois mois, à nouveau, installée dans la capitale, Flora se résolu à rendre visite à un médecin depuis une absence de menstruations et une grosse fatigue sans raisons particulières.

L’examen finit, la doctoresse lui demanda de passer en salle d’attente. La jeune fille était nerveuse, et appréhendait la réponse.

« Mademoiselle, j’ai une magnifique nouvelle à vous annoncer ! »

 

Fleur était enceinte. Elle eut du mal à réaliser qu’elle attendait un deuxième enfant. La jeune femme, préoccupée, se demanda aussi si elle devait l’annoncer à sa cousine, sa fille… ou même à Pietro, qui en était le père. Mais elle repoussa immédiatement cette idée.

Elle était affalée sur son canapé, une main sur son ventre encore plat, et fixait le plafond, en essayant de mettre un mot sur ce sentiment. Mais elle était, avant tout, heureuse, si heureuse !

 

Chamboulée, elle n’avait pas vu l’heure ! Il était seize heures, « on est mardi ! Hortensia ! » Flora prit ses clefs et ouvrit la porte pour sortir mais Luna se tenait déjà là, avec l’enfant qu’elle tenait par la main. « Je lui ai fait une surprise… et à toi aussi je suppose ! ».

  • Merci ! Tu me sauves là. Je… je m’étais endormie.

« Tu as l’air fatiguée, maman ! Mais moi j’ai faim et c’est l’heure du goûter ! »

  • Mais oui ma chérie, j’arrive, dit Flora en riant. Tati Luna, tu manges ici ce soir ?
  • C’était prévu, non ? Tu es sûre que tout va bien ?
  • Oui, oui, qu’est-ce qui te fais dire ça ?

« Tati ! J’ai faim ! » hurla Hortensia qui forgeait son caractère. 

 

Lors du dîner, Fleur n’était pas très bavarde et sa cousine, que les deux femmes faisaient passer pour sa tante auprès de la petite fille, voyait bien que quelque chose n’allait pas. Luna alla coucher la petite, puis débarrassa et fit la vaisselle, pendant que Flora était immobile, perdue dans ses pensées.

  • Tu es sûre que c’est une bonne idée ? demanda Luna pour rompre le silence.
  • De quoi ?
  • Lui faire croire que je suis ta sœur, et pas ta cousine ?

« Je ne veux pas lui parler de son père, donc je ne peux pas lui parler ni de Vladimir, ni te tes parents. Alors tu es ma sœur, c’est plus facile comme ça ».

Luna pensait que la jeune mère devait lui raconter son histoire, mais quand la petite serait prête à comprendre. Flora reprit :

  • En plus je pense que c’est mieux pour le deuxième.

Luna hésita : « Pardon ? J’ai mal compris. ». Alors le visage de Flora se dégagea et lui sourit de toutes ses dents :

  • Je suis enceinte, Luna.

Sa cousine sauta au plafond en entendant cette merveilleuse nouvelle. Elle embrassa sa sœur, la serra dans ses bras, la complimenta puis eut peur de lui faire mal. Elle la bombarda alors de questions : « Depuis combien de temps ? Quand est-ce que tu l’as su ? Et le père, c’est… ? Tu vas lui en parler ?

  • Certainement pas ! Et parle moins fort ! Tu vas reveiller ta nièce.

 

Le ventre de Flora grossissait à vue d’œil. Elle en parla à sa fille, qui eut du mal à comprendre comment un bébé pouvait dormir dans le ventre de sa maman pendant neuf mois.

Cette heureuse nouvelle redonna de l’inspiration à Fleur, qui écrivait aussi en parallèle sa vie, résumée en un livre, et trouvait un nombre d’idées incalculables qu’elle notait dans un petit carnet dont elle ne se séparait jamais.

Les semaines s’écoulaient heureuses. Hortensia avait appris à lire et à écrire et Luna, qui passait à la maison le plus qu’elle pouvait, l’aidait à faire ses devoirs. Fleur avait du mal à créer une complicité avec sa fille ; elle n’avait jamais reçu l’amour d’une mère et ne savait pas comment le lui témoigner, elle qui n’attendait que ça.

 

La petite avait maintenant sept ans et posait de plus en plus de questions à propos de son père. Mais à chaque fois, la jeune mère changeait de sujet ou détournait la question, ce qui rendait folle Hortensia, qui ne comprenait pas pourquoi toutes ses copines avaient un père et pas elle.

« Tu devrais lui dire… » lui répétait souvent sa sœur.

 

Le 7 juillet, Orion était né. Flora était la mère la plus heureuse et, ce jour-là, prit la ferme résolution d’éduquer ses enfants toute seule, sans l’aide de sa cousine. Elle eut par la suite du mal à sa promesse mais faisait tout son possible pour la respecter. Pourtant, Tati Luna passait toujours aussi souvent à la maison, sans donner à Fleur de nouvelles de Bertrand et Marianne, et inversement.

La nouvelle à laquelle nul n’est préparée tomba comme un coup près, Orion était né aveugle.

 

Orion était agé maintenant de cinq semaines et Hortensia s’était un peu habituée à la présence d’un nouvel individu dans sa famille. Flora était exténuée mais, heureusement, sa cousine prenait le relais la journée. La maman en profitait pour ressortir, acheter simplement du pain, ou se promener dans le square.

Une après-midi, elle revenait à l’appartement, les sacs remplies de courses et allait s’engager dans le square qui était bien animé pour un en ce mois de septembre. Elle traversa entre plusieurs voitures, en même temps qu’un groupe de touristes qui attendaient sur le trottoir en face de son immeuble. Parmis tous ces bruits, elle entendit un homme parler palermitain* et ne put s’empêcher de le chercher du regard. Elle écarquilla les yeux en reconnaissant Peppino qui était au téléphone en train d’observer son immeuble. Par miracle, il ne la vit pas et tête baissée, elle s’engouffra dans la foule. La jeune femme, paniquée, fonça dans l’ascenseur et s’enferma dans son appartement, où l’attendait sa petite famille.

  • Bah alors, que se passe-t-il, Fleur ? demanda sa sœur, un peu perdue.

Elle était en train de faire à manger pour le soir. Horstensia était sagement debout, à côté et d’aidant à cuisiner.

« Je t’expliquerai, je vais m’allonger quelques minutes. »

  • Pas de soucis, fais juste attention : Orion dort dans ta chambre.
  • Ne sors pas ! Reste enfermée ici avec les enfants, ne sortez pas sur le balcon et n’ouvrez à personne ! J’ai juste besoin de me reposer, je me sens très mal.

Le cœur qui battait la chamade, Flora cogitait dans son lit. Elle était sûre d’avoir vu Peppino, même un très court instant et se sentit à nouveau en danger, une sensation qu’elle n’avait pas ressenti depuis huits mois. Puis une idée lui passa par la tête : elle devait partir.

« Luna, il faut que je te parle. »

 

Le lendemain matin, Flora et ses enfants voyageaient en direction de Lille dans un hôtel très bon marché. Ils étaient accompagnés de Luna, car c’était la seule à pouvoir les y conduire, puisque Fleur n’avait ni voiture, ni permis.

Même si Flora avait fini son deuxième roman, elle ne l’envoya pas à son éditeur parisien, par prudence, et évitait à tout prix de se faire remarquer. Pour l’école de Hortensia, elle prétexta une varicelle. La petite famille resta confinée presque un mois avant que Flora ne soit sûre que Peppino avait renoncé à surveiller son appartement. Avant de partir de Paris, Fleur avait pris la précaution de mettre sa boite aux lettres au nom de Luna : Camille Joly.

 

Cela faisait maintenant une semaine que la petite famille s’était réfugiée à Lille. Luna et Fleur réfléchissaient à une solution pour pouvoir retourner vivre normalement.

  • Et si je demandais de l’aide à notre aimable voisine ? proposa alors Luna.

« Madame Martin ? Qu’est-ce que tu veux qu’elle fasse ?

 

Quelques minutes plus tard, Luna était au téléphone avec la vieille voisine du dessous : « oui, allô ? Bonjour madame Martin, comment vous portez-vous ?... bien, bien, merci ! Oui… ma sœur et moi avions un service plutôt délicat à vous demander… »

  • Mais bien sûr ! Je t’écoute, après tout ce que vous avez fait pour moi ! D’ailleurs, où êtes-vous ?

« Justement… » la jeune femme lui raconta une version un peu différente du problème, car elle ne voulait tout de même pas mentir à la vieille dame : « nous sommes à Lille car l’ancien petit ami de ma sœur traine et surveille en bas de l’immeuble. ».

  • Oh là, problème de couple, je comprends. Ne m’en dis pas plus, je surveille depuis ma fenêtre !

Madame Martin, si compréhensive, ne demanda pas plus d’explications.

  • Et tu sais, je m’ennuie toute seule dans ce petit appartement. Ça m’occupera !

 

À Lille, tout se passait bien et madame Martin appelait régulièrement pour donner des nouvelles : elle avait vu l’homme que Camille lui avait décris pendant une douzaine de jours à des heures différentes mais il avait miraculeusement disparu depuis.

« Ça fait deux semaines que le petit homme n’est plus en dessous de la fenêtre. » disait la voisine. Fleur choisit alors de retourner vivre à Paris.

Mais le quotidien était différent ; Fleur était bien plus méfiante lorssqu’elle sortait du marché, ou encore pour déposer sa fille à l’école et bientôt sson fils à la crèche. Orion grandissait vite sans avoir la chance de voir le monde qui l’entourait, mais seulement de le sentir et de l’écouter.

Quant à elle, Hortensia posait de plus en plus que questions à propos de son père et de ses grands parents. Avait-elle des grands oncles ou grandes tantes ? Elle posait aussi des questions concernant les longues vacances forcées, à Lille.

Luna tenait sa langue pour respecter le choix de sa sœur mais n’en pensait pas moins : elle trouvait qu’il était juste que Hortensia ait une vraie réponse à ses questions, ce qui la frustrait.

Une autre raison poussait Flora à trimballer ses enfants un peu partout : malgré la chute du rideau de fer, le KGB avait continué pendant quelques temps à surveiller certains opposants et leur famille.

 

Fleur décida de passer rapidement son permis, qu’elle eut avec succès et pouvait donc être plus autonome.

 

 

La jeune fille attendait calmement devant le portail de l’école des ses enfants. Une main lui tapa dans le bas du dos : « oh ! Quelle surprise de vous voir ici, Madame Martin ! Tout va bien ? ». La vieille dame était assise en chaise roulante et semblait plutôt essoflée.

  • Non Mademoiselle, le petit bonhomme est revenu, vous ne pouvez pas retourner à l’appartement.

Fleur n’en croyait pas ses yeux ; madame Martin était venue jusqu’ici, malgré ses problèmes de motricité, pour la prévenir d’une nouvelle pareille.

« Quand l’avez-vous vu ? » dit Fleur tout de même paniquée.

  • Il y a environ trente minutes, mais vous étiez déjà partie de chez vous. Alors je suis venue devant l’école en espérant vous y trouver.

La jeune femme guettait autour d’elle et se rendait bien compte de la chance qu’elle avait, étant la voisine de Madame Martin. « Merci beaucoup, et… »

  • Taisez-vous ! Vous devez partir le plus vite possible et n’avez pas de temps à perdre. Prenez ça et partez vite là bas avec vos enfants.

La vieille femme lui tendait un trousseau de clefs et un morceau de papier où était inscrit une adresse. Puis elle continua : « c’est là ou se trouve mon deuxième appartement, mais je ne peux plus me déplacer depuis longtemps. Il est à vous et est situé dans le 15e arrondissement, c’est très calme. Tiens, les enfants sortenent ! Au revoir Fleur, merci à vous pour tout ! »

La jeune mère prit ses enfants, les assis dans la camionnette et changea de quartier le plus vite possible en faisant un grand détour de son immeuble.

  • Qu’est qu’il se passe, maman ?
  • On va où comme ça ?

Fleur réfléchit à sa réponse :

  • On déménage les enfants. Notre gentille voisine, Madame Martin nous prête son appartement dans un autre quartier.

 

Après quelques semaines passées à Villeneuve, dans le 15e, Fleur proposa à son ancienne voisine de lui louer l’appartement, qui lui convenait parfaitement. Il était hors de question qu’elle retourne vivre dans le 9e arrondissement ; Pietro l’avait certainement retrouvée là-bas.

 

Les enfants grandissaient bien dans leur nouvelle école, avec leurs nouveaux amis.

C’est en 1995 que Fleur fit la rencontre de celui qui allait peut-être devenir l’homme de sa vie. Il était journaliste affirmé et jouissait d’un très bon revenu. Antoine était la depuis peu mais s’était vite faire adopté par les enfants, qui l’appréciaient énormément. Fleur ne lui raconta tout de même pas son histoire : depuis le jour ou elle avait mis en danger la vie de son oncle, elle n’osait même plus en parler à Luna.

 

 

Cette fois fut celle de trop !

Les enfants avaient grandi ; Hortensia allait sur ses quinze ans tandis qu’Orion avait vécu ses huits printemps.

 

Une nuit, Fleur, songeuse sur son petit balcon qui donnait sur la rue calme de Villeneuve, regardait les rares passants. Soudain, l’un d’eux, qui marchait tranquillement dans la pénombre, leva la tête. Lorsque le lampadaire éclaira son visage, la jeune femme pu distinguer les traits de Pietro. Paniquée, elle rentra discrètement dans son appartement, éteignit même la veilleuse et se mit à faire les valises de tout le monde en silence. Elle se mit à réfléchir à une solution pour partir de là, et bien décidée d’échapper à Pietro et son passé.

 

Les valises bouclées, elle réveilla Antoine et Orion, les assis dans sa camionnette blanche et roula vers l’appartement de Lyne, la meilleure amie de Hortensia chez qui l’adolescente faisait une de ses premières fête.

Fleur conduisait tout en jetant de vifs regards dans les rétroviseurs pour s’assurer que personne ne la suivait. Orion s’était vite rendormi. Antoine voulait savoir ce qu’il se passait, mais savait aussi qu’insister ne valait pas la peine.

Fleur monta dans l’immeuble, entra chez Lyne, ne salua personne et prit sa fille par le bras.

 

Antoine était assis à l’étroit sur la banquette arrière, mais changea de place avec sa belle-fille à la première brève halte. Parfois, il s’endormait.

Hortensia, assise à la place du passager, semblait très en colère contre sa mère, qui lui avait gaché sa réputation en lui « mettant la honte devant tous ses amis ».

 

Fleur était la seule à connaître la destination finale : l’Espagne, elle avait decidé de s’établir du côté de Barcelone.

 

Le jour s’était levé depuis longtemps. Le tableau de bord indiquait environ dix heures du matin quand la camionnette blanche, qui n’avait jamais emprunté l’autoroute, mais qui était passée par seulement les petites routes ou départementales, avait dépassé Toulouse.

Alors qu’Anoine avait prit le volant, ce qui laissait plusieurs heures de réflexion à Fleur, celle-ci reprit son sang froid. Fleur se rendit compte que l’Espagne était une destination trop dangereuse ; il était trrop risqué de passer la frontière. Mais Orion rompit le fil de ses pensées : « maman, j’ai faim ! ». Alors, Antoine en profita :

  • Bonne idée ! On va s’arrêter ici, dit-il en idiquant un panneau « bagniere de Luchon ».

 

Le paysage était assez vert mais la chaleur se faisait déjà ressentir. Le village semblait très paisible. Fleur trouva même une terrasse de retaurant très mignonne, celle de l’auberge de jeunesse. 

  • Allez trouver une table, j’arrive ! dit Fleur qui marchait vers l’auberge.

Elle savait que sa fille allait lui en vouloir. Si seulement elle pouvait lui dire à quel danger elle tentait d’échapper !  Mais Fleur se demandait surtout comment elle allait prévenir sa cousine, devenue sa sœur.

  • Bonjour Mademoiselle ! Qu’est-ce qui vous amène par ici ? dit avec grand sourire l’aubergiste derrière son comptoir.
  • Bonjour Madame, j’aimerais réserver une chambre d’hôtel pendant quelques jours, pour quartes personées.
  • Mais bien sûr ! Vous êtes en vacances ?
  • Non, pas exactement : j’attends de trouver un appetrtement pas trop cher à louer par ici.

Le visage de la dame s’en trouva illuminé : « mais ça tombe bien ! Mon mari et moi louons un chalet sur le lac d’Oô. Michel ?! Viens par ici ! ». Son mari arriva affichant le même sourire que celui de son épouse.

  • Bonjour ! Oui chérie, qu’est ce qu’il y a ?
  • Cette jeune femme pourrait louer nôtre chalet à son tour ; les anciens locataires viennent de partir.
  • Mais bien sûr ! Comment s’appelle notre nouvelle amie ?
  • Fleur, Fleur Joly, dit la jeune mère en lui serrant la main.

La gentille dame lui coupa la parole :

« Je vais chercher les papiers du contrat ! ». Flora qui ne s’attendait pas à une telle aubaine, n’arrivait pas à en placer une. Alors, Michel entama la conversation :

  • Et d’où venez vous comme ca ? Vous avez un petit accent.
  • Un accent ? fit-elle, paniquée.
  • Vous êtes parisienne, je parie.
  • C’est ça ! dit Fleur, soulagée. Mais votre chalet, combien coute-il ?
  • Ce n’est que 1200 Francs par mois. Vous verrez, la vue est superbe et vous n’aurez pas trop de problèmes avec la location, nous est des propriétaires sympas ! dit Michel, rieur. Ah ! Voilà Isabelle avec les papiers du contrat !

Fleur remplit les papiers et une demi-heure plus tard, le chalet était pour elle. L’aimble couple lui donnant l’adresse et les clefs, elle les remercia, puis s’en alla rejoindre sa famille en terasse lui annonçant la bonne nouvelle qui ne fut pas si bien acceptée par sa fille.

 

Arrivée, la camionnette s’arrêta devant un grand et haut portail qui cachait la maison construite autour d’une petite colline. Fleur se gara et chacun explorait le chalet sous tous ses aspects.

En y entrant, Fleur savait qu’elle venait de faire une excellente affaire et qu’en plus de ça, la maison était bien isolée et protégée derrière le portail. La vue, splendide, donnait directement sur le lac d’Oô.

  • C’est bien eau tout ça, mais tu n’auras jamais suffisamment d’argent pour payer.
  • Je vais puiser dans mes économies, répondit Fleur à Antoine.
  • Écoute, 1200 Francs ce n’est pas tant que ça ! Mon travail de chroniqueur me rapporte plutôt pas mal. Je vais déjà payer d’avance, et on verra pour la suite. En plus, tu n’as pas envie d’en parler mais notre venue ici semble vraiment importante. Je ne te pose pas plus de questions.

Fleur fut s’y attendrie par cette réflexion venant de la part d’Antoine mais ne lui répondit qu’avec un « merci Antoine » qu’elle trouva si minable.

 

Et si c’était là ? Le Havre de paix que Fleur recherchait…

 

 

Pendant quatre ans, la vie s’écoule paisiblement et sans encombre, dans la discrétion la plies totale, entre le lycée d’Hortensia à Toulouse et l’école du village pour Orion. Antoine reprit ses chroniques de journaliste et Fleur se lança dans la rédaction deux troisième roman.

 

Elle trouvait aussi nécessaire de s’ouvrir en partie à Antoine mais lui faisant jurer de ne rien dévoiler à personne, y compris ses enfants.

Cependant, après six mois de silence, Flora fit parvenir un message à sa cousine par le biais d’une collègue d’Antoine, à laquelle il envoya une enveloppe contenant un pli à afranchir depuis Paris. Le message était codé et seule Luna pouvait le déchiffrer pour ainsi obtenir le numéro de téléphone du chalet de bagniere de Lunchon. Le lien entre les deux cousines était rétabli même s’il restait très irrégulier.

 

Le 19 avril 2002, Antoine reçoit, comme tous les jours, les dépêches d’agences de la journée. Une en particulier retient son attention :

 

« Parlem. Le boss Pietro Daniele et cinq de ses hommes trouvent la mort au cours d’une fusillade entre gangs »

 

  • Fleur, viens voir !!

 

Tut… tut… « allô ? »

  • Bonjour MaMa, c’est Fleur.

« oh ! Fleur ! Mais comment tu vas ? Où es-tu ? Et comment va la petite ? ».

  • Ekaterina, je vais bien, nous sommes loin et Hortensia va bien aussi. Mais on se verra bientôt, si vous le voulez bien. Mais maintenant, c’est important, passe moi Luna !

« Luna ! Ta cousine est au bout du fil ! Quelle surprise ! ».

La cousine attrapa le téléphone fixe, et adressa un sourire gêné à sa mère, qui ne se doutait pas qu’elle et Flora se voyaient régulièrement.

 

Quelques minutes plus tard, Luna était en route, assise dans sa voiture rouge, en direction de bagniere de Luchon.

 

02 : 00 :

 

  • Mais c’est fini ? demande Orion, ému.
  • Non Orion, c’est maintenant que nous allons pouvoir commencer à vivre librement, réponds Fleur, l’esprit soulagé.
  • Et, les enfants, je vous annonce que Boris et Ekaterina seront ici, demain, déclara leur tante qui restera à jamais « tati Luna ».

Alors, Horstensia prit la main de son frère, pour aller enlacer leur mère. Luna se joignait au trio et susurra à l’oreille de Fleur : « Au fait, Antoine arrive demain. Surtout ne me remercie pas… ».

 

 

 

 

 

 

 


 




Envoyé: 22:05 Fri, 29 October 2021 par: MAURO LUCILLE