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GJORGEVIKJ Dragana

Les crépuscules d'automne

C'était une nuit inhabituellement calme. Les étoiles dans la voûte céleste annonçaient la naissance d'une nouvelle vie. Cependant, il y avait quelque chose de désagréable, une vague d'agitation et d'inquiétude qui déferlait avec le bruit du vent qui s'est soudainement mis à sévir autour de l'hôpital de la ville. L'atmosphère de l'hôpital ressemblait à n'importe quelle autre soirée automnale de la lointaine 1967.

Dans la chambre 19, trois patientes avaient été admises le matin même, en attendant que chaque seconde que l'horloge sonnait provoque une nouvelle contraction. Cependant, l'apparence et la beauté de la jeune fille blonde allongée sur le lit près de la fenêtre avaient quelque chose de particulièrement énigmatique. Elle était constamment silencieuse et regardait la lune par la fenêtre. Celle-ci brillait d’une lueur particulière en cette nuit automnale. Sur la petite table à côté du lit il y avait un livre qu'elle avait inconsciemment emporté avec elle ce matin-là, lorsque les premières contractions avaient commencé. C'était le dernier livre de Jung, "L'homme et ses symboles". Elle a regardé de nouveau la lune, le symbole féminin de la fertilité. Au même moment, quelque chose semblait résonner dans son esprit, lui murmurant qu'une nouvelle vie allait naître cette nuit-là. Une étrange sensation dans l'air l'a emportée et, en même temps, l'a emmenée avec ses pensées loin dans la forêt tropicale de ses souvenirs. En pénétrant dans la jungle de son subconscient, elle a réussi à nouveau, même pour un instant, à se connecter avec sa nature sauvage qui encourageait la féminité mystique. Cette nature sauvage l'a toujours fait voyager dans le passé ancien des femmes amazoniennes. Sonia a apprécié de se connecter aux énergies rayonnées par son imagination et de sentir un instant couler dans ses veines le sang d'une femme combattive. Elle a compris que la féminité avait été bien exprimée et présente chez une femme pendant la grossesse - une période remplie de malaises et de changements visibles.

Toutes ces pensées ont soudainement disparu comme la poussière transportée par les vents éoliens dans un désert lorsque des contractions instantanées avaient commencé à submerger son corps féminin fragile.

Sonia a crié : "Au secours ! Je crois que c’est le moment! " L'une des sœurs a couru et a compris tout de suite qu’elle perdait les eaux. La sage-femme est venue pour l’examiner et lui a dit: "Ne vous inquiétez pas. Tout ira bien".

Deux heures plus tard, Sonia s’est laissée transporter dans ses rêves qui l'emmenaient vers le futur proche. Elle savait déjà comment se connecter à son subconscient et stimuler son intuition.

Elle a plongé dans les profondeurs de ce rêve et s'est retrouvée un instant dans le lit d'hôpital. À côté d'elle il y avait le berceau où son nouveau-né dormait sans souci. Soudain, une paix profonde l'a envahie et son corps s'est abandonné à la magie de la nuit. Cependant, comme à travers un brouillard, une femme est apparue devant elle vêtue d’une robe en soie blanche qui reflétait la lumière de la lune. Elle a rapproché le berceau et a pris le bébé dans ses bras. Ses yeux brillaient comme deux diamants en cette nuit sombre. La femme a commencé à bouger. Elle semblait flotter. Sonia a crié : " Arrête ! Où est-ce que tu emportes mon bébé ? " La femme s'est retournée et a regardé Sonia avec un regard acéré, les yeux brillants de colère.

Sonia a ouvert les yeux. Ce n'était qu'un rêve.

 

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                                                   2 mois plus tard

 

Elle se dirigeait d'un pas insouciant vers la chambre de la petite Roberta. L'air qui l'entourait créait des cerceaux de fer invisibles qui arrêtaient sa respiration. Chaque respiration suivante semblait injecter dans ses veines un venin enivrant qui se mélangeait à son sang et provoquait des crampes dans tout son corps fragile.

Il semblait être une éternité pour ses sens qui avaient un pressentiment. Finalement, elle s'est approchée du berceau bleu-violet et a tendu les mains pour prendre son bébé. Ce moment-là est gravé dans son subconscient, dans son âme et dans son regard.

Sonia ne pouvait pas croire à ses yeux. La partie qu'elle avait séparée de son corps qui n’avait que 2 mois ne lui appartenait plus. Les yeux de Roberta semblaient regarder les paysages infinis de la paix éternelle, des paysages inconnus et inaccessibles aux vivants. Sonia s'est approchée des yeux de la petite Roberta et a fermé les paupières de ces deux yeux bleus ruisseaux qui resteront à jamais gravés dans sa tête. Elle a décidé de faire son deuil en silence et de se réfugier dans la solitude profonde qu'offrait cette pièce. Cependant, elle hurlait de désespoir, les cris silencieux de son âme secouaient tout son être. Ses yeux émeraudes brillaient comme jamais. Elle navigait dans les eaux inconnues et sombres de ses pensées. Elle a décidé d'affronter son ombre qui rôdait dans les abysses de son subconscient. Celui-ci l’attirait pour qu'elle s'abandonne aux griffes d'acier du désespoir. Elle savait qu'elle avait un long chemin à parcourir à travers son rêve lucide d'une nuit d'automne.

Pendant un instant, elle a plongé dans les eaux profondes de ses souvenirs. Cet après-midi-là, elle a vécu une rétrospective de sa vie, depuis l’époque de son enfance jusqu'à ce lugubre après-midi.

Ses paupières sont descendues lentement devant ses yeux comme un rideau sombre. Devant elle se tenait un homme dont le corps était parsemé de tatouages. Il était l'étoile dans l'iris de ses yeux, son père. Pourtant, ce n'était pas le même homme de roche sur lequel elle aurait pu faire reposer le poids du monde entier. Au contraire, il semblait qu'un essaim de corbeaux avait assiégé son cœur apparemment d'acier. Elle a demandé : "Papa, qu'est-ce qui se passe ? Où est ton sourire qui orne tous mes jours ?"

Et il lui a répondu : " Sonia, je vais te dire quelque chose dont je veux que tu te souviennes et dont tu te souviendras chaque fois que tu perdras un être cher dans la vie. Ces mots sont une composition triste qui résonnent avec les cordes du violon. Ils sont tristes et transpercent notre cœur, et il saigne, mais en même temps ils sont agréables et comme un baume ils guérissent la blessure créée. La mort fait partie de la vie et les gens restent avec nous aussi longtemps que nous nous souvenons d'eux.  Ils sont présents dans nos pensées, dans nos rêves... ils vivent en nous".

Sonia a compris que sa mère avait perdu ce jour-là son long et pénible combat contre la tuberculose.

Puis, Sonia a voyagé dans un autre époque plus proche de sa mémoire.  Elle était dans sa maison, en tenant dans ses mains une enveloppe qu'elle avait hâte d'ouvrir. Elle disait qu'elle avait été envoyée par une institution militaire à Nis, en Serbie. Elle savait que le début de sa vie heureuse approcherait car il allait revenir.

 

 

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                                              30 ans plus tard

 

Sonia regardait par la fenêtre, et les souvenirs douloureux étaient déjà des plaies effacées dans son cœur. Soudainement, elle a regardé la photo sur le mur où elle tenait par la main sa petite-fille de 5 ans. Sa patience lui a appris que tout ce que la vie enlève, après un certain temps, le rend sous une autre forme. Son cœur était rempli d'une immense chaleur, et son regard se promenait par la fenêtre en admirant les feuilles dorées des arbres qui lui procuraient une profonde paix intérieure.

 

 




Envoyé: 15:59 Thu, 28 October 2021 par: GJORGEVIKJ Dragana