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de Thoury Benoît

Magalie ou quand les arts s'emmêlent



Préface : Quand les arts s’emmêlent… le résultat est harmonieux. Je ne dis pas que mon livre est le meilleur qu’il n’y ait jamais eu, mais je me contente de vous le conseiller en lecture, pour plusieurs raisons. Il vous engage déjà dans une vision de la vie que vous ne voyez pas forcément, une vision non plus des yeux mais du cœur. Le cœur qui dicte rend l’écriture sincère et essentielle, rien de trop, juste le nécessaire. Il vous emmène ensuite dans une sorte de rêve où les images sont douces et baignent dans l’odeur de la poésie. Sa brièveté enfin fait que vous ne vous ennuierez pas, jamais, à aucun moment. Et quand vous l’aurez fini vous direz sans doute, j’espère, « Déjà ! »… Les choses les plus courtes sont les meilleures, ceci est bien connu. Un jeune homme rebelle ? Une femme indécise ? Voici comment tout se mélange. Le jeune homme est fâché envers ses parents, il veut vivre à la campagne : il fuit. La jeune femme a le même problème, mais elle obéit. Alors quand les deux se rencontrent par hasard, la poésie de la campagne se crée. Les mots se mêlent, et voici nos deux jeunes gens qui renient la société. La société aveugle, la société obnubilée par l’argent, la société qui prévoit. Ainsi leurs discussions ne se font pas sur des questions banales, comme on en ferait pour découvrir quelqu’un qu’on a rencontré dans un parc. Si je devais classer cet ouvrage, devrais-je dire qu’il est plutôt roman, philosophie ou plutôt poésie? La philosophie est là. La poésie est là. Le roman est là. Et bien je répondrais qu’il est roman poétique et questionneur ! Si cette catégorie n’existe pas, je la créerais. Je renonce à la société ? Non, je la complète, je l’affermis, je la précise. Pourquoi ne pourrait-on pas écrire des romans pleins d’images, de sons, de rythmes, de musicalité ? On peut, me direz-vous, dans ce cas, c’est de la poésie ! Et les questions qu’ils posent, c’est de la philosophie ? Si vous le voulez ! Mais c’est un roman aussi, inévitablement. Et l’histoire, est-elle romantique ? Rebelle ? Engagée ? Pourquoi employer de grands mots ? C’est simplement une histoire de rejet, de rencontres, de remise en questions de tout et de rien. De la religion, de l’amour, de la tristesse, de la famille, des personnages de la société, de la ville, des classes, voilà ce que vous trouverez dans ce livre. Vous vous poserez sans doute des questions, vous prendrez peut-être parti pour un personnage, peut-être non, à moitié ?… si vous voulez ! Faîtes ce que vous voulez, je ne me fâcherais pas ! Vivez votre vie, c’est un peu la leçon… et le moyen de le lire. La société actuelle a ses hauts et ses bas, elle est comme tous imparfaite et ne changera pas immédiatement… mais ces deux jeunes gens pourraient très bien être vous, ou bien vos idées sont peut-être les leurs, sachez en tout cas qu’ils ne sont pas malades mentaux ! Ils pensent tout haut ce que sûrement d’autres gens pensent tout bas et n’osent affirmer… ils ne se mentent à eux-mêmes et ne préfèrent pas voir une autre vérité. Mais ils ne sont pas parfaits du tout, gardez bien cette idée en tête ! Alors quelques soit le moyen par lequel vous vous êtes procurer ce livre, en cadeau, à la librairie, à la bibliothèque, à la poubelle, en conseil… je m’en fiche, sachez juste le lire correctement et goûteusement…, comme un fruit qu’on cueille, comme un repas qui ouvre l‘appétit, il ouvre votre esprit. Cueillez les mots comme ils vous cueillent, et je vous laisse vous promener en ballade à travers la route des pages et le chemin du destin de mes deux héros… 1) La balade balladeuse Je marchais dans le parc tranquillement bercé par le roucoulement des oiseaux qui chantaient pour leur oiselle, bercé par la douce musique du vent qui remuait les herbes et les fleurs en harmonie, bercé par la fraîcheur du temps et le bruit de la nuit. Je marchais comme souvent, pour me rafraîchir le corps et les idées, pour dégourdir mes jambes et ma pensée trop crispée par une dure journée de travail. J’appréciais particulièrement ces moments où, enfin, je pouvais penser à autre chose. C’est dans ces moments -là que je m’évadais au plus profond de ma pensée, et que quelque fois des idées absurdes parvenaient à mon cerveau, et que les syllogismes fusaient à toute vitesse, sans raison, sans maîtrise. Donc je marchais, à une allure modérée, ni trop rapide, pour ne pas gâcher ce moment de bonheur, ni trop lente, pour ne pas en abuser, et personne encore n’avait croisé mon chemin, ou du moins je n’avais remarqué personne, soit parce que la nuit les camouflait, soit car j’étais trop pris dans mes pensées. Je connaissais bien le parc et le chemin, semé de petits cailloux, arrondis de sorte à ne pas blesser le pied qui se déposait dessus, ou à ne pas déchirer la feuille qui tomberait par-là, qui menait chez moi. Pourtant j’eus envie de changer d’endroit, de partir à la découverte d’une autre partie du parc, sans doute aussi intéressante et riche en calme. Je tournai donc dès que je le pus et je m’enfouis dans le cœur du parc, parmi les arbres et les buissons, parmi les vastes pelouses, et les fontaines fleuries. Je ne sais plus trop à quoi je pensais, mon esprit était une autoroute d’idées, tantôt bouchée, tantôt croisée. J’aperçus entre deux arbres, allumés sous un lampadaire assez haut et élégant, assis sur un banc assez large et envoûtant, deux personnes plongés eux aussi sans doute dans de profondes pensées. Je m’approchai pour mieux les voir, quand j’entendis qu’ils discutaient. Ils riaient, ils échangeaient. Je me rapprochais davantage, quand je vis qu’ils se touchaient. Ils se caressaient. Je sentis alors l’adorable odeur de l’amour. J’eus envie de rester là pour profiter de ce sentiment qui mêlait tous les sens dans une harmonie exceptionnelle, de ce moment unique et précieux. Je ne pensais plus à rien et je décidai de m’asseoir sur le banc, à côté des inconnus, pour découvrir enfin leur visage, que j’imaginai en harmonie parfaite avec les notes de musique de la nuit et la beauté de ce moment, de ce lieu, de ce sentiment amoureux. Ils ne me remarquèrent pas au début, je me contentai de me taire, d’écouter, d’observer, de sentir, de penser. Alors dans le silence imperturbable de la nuit, en effet les oiseaux s’étaient tus, je récitai quelques vers que j’avais appris de Victor Hugo : Le ciel d'étain au ciel de cuivre Succède. La nuit fait un pas. Les choses de l'ombre vont vivre. Les arbres se parlent tout bas. Le vent, soufflant des empyrées, Fait frissonner dans l'onde, où luit Le drap d'or des claires soirées, Les sombres moires de la nuit. Puis la nuit fait un pas encore. Tout à l'heure, tout écoutait. Maintenant nul bruit n'ose éclore ; Tout s'enfuit, se cache et se tait. Tout ce qui vit, existe ou pense, Regarde avec anxiété S'avancer ce sombre silence Dans cette sombre immensité. C'est l'heure où toute créature Sent distinctement dans les cieux, Dans la grande étendue obscure, Le grand Être mystérieux ! Pendant que je parlais, les deux gens avaient cessé de se caresser et de se parler et me regardaient sans bouger, sans mot dire, sans rien faire. Je finis le dernier vers du poème et j’attendis quelques secondes avant de fermer la bouche et de bouger. Je me levai, cela faisait une heure que j’étais dans ce parc. Alors je devais rentrer. Je reprenais mon journal qui traînait sur le banc et je mis mon chapeau car le temps se gâtait et le ciel devenait menaçant. Mais quelqu’un me demanda : - Etes-vous poète ? 2) L’amie Je me retournai. C’était une femme. Sans doute celle qui était assise sur le banc à côté de moi. Je vis enfin son visage. Entre ses deux yeux d’un bleu puissant avait poussé un petit nez. Sa bouche bien bombée abritait en son intérieur de belles dents ordonnées en épis de blé encore blanc. Sa peau au teint clair était la terre où poussaient de longs cheveux ondulés, bruns par certains côtés, blonds par d’autres. Elle était vivante et fraîche comme jamais je n’avais vu, et je la trouvais ravissante. Elle s’était donc dressé devant moi voyant que je partais et elle m’avait posé une question. Je me retournai et répondit : - Ce que je viens de citer était de Victor Hugo. Mais est-ce que je suis poète ? Honnêtement, je ne me suis pas vraiment posé la question. Qu’entendez-vous par poète ? Est-ce celui qui parle en vers ? Est-ce celui qui s’exprime en images, en rimes et en rythme ? Est-ce celui qui voit la vie autrement que les autres ? Est-ce celui qui joue avec la langue ? Mon grand-père me disait que la plus belle des poésies est de se taire et d’écouter dans le silence ce qu’il y a autour de nous, presque en fermant les yeux. Qu’en pensez-vous ? - Honnêtement je ne me suis jamais posé la question moi non plus de ce qu’était un poète, avoua-t-elle. Je pensais que c’était celui qui faisait rêver, qui envoûtait, qui était un peu à l’écart et qui voyait en chaque chose plus que ce que les gens ordinaires voient. - Cela veut-il dire que le poète est extraordinaire, selon vous ? - Je ne sais pas. En tout cas je suis sûre qu’il a une double vision. Il ne voit pas ce banc comme un simple banc par exemple. Il le voit une rencontre ou une pause par exemple. - Vous pensez cela réellement ? C’est étonnant mais aussi intéressant ! Je pense que le poète a simplement une volonté de montrer comment que les mots, les mêmes que les nôtres, peuvent être utilisés. Ils vont jusqu’au bout de leur pensée à mon avis. C’est pour cela que nous pensons qu’ils sont déconnectés, à part, étranges. - C’est drôle jamais je n’aurais cru qu’un soir un inconnu allait réciter un poème au claire de lune et que nous allions échanger quelques paroles philosophiques et poétiques. La vie est faite d’imprévus et heureusement, sinon elle serait bien monotone. Mais je ne vous connais même pas. Pouvez-vous au moins me dire votre nom ? Le mien c’est Magalie. - Magalie, comme c’est joli ! Le mien est Grégoire. Nos deux prénoms réunis forment une jolie phrase : Celui qui éveille la perle en chantant. - Monsieur je vous assure que vous êtes un poète. A partir de deux prénoms vous formez des phrases ! - Ce n’est pas de la poésie, mais de l’étymologie. Les langues ont des pouvoirs exceptionnels, jugez-en par vous-même. Et quel est le prénom de votre amoureux ? - Oh ce n’est pas mon amoureux, c’est mon frère et il revient d’Egypte. Il s’appelle Alexandre. - A nous trois nous sommes : Celui qui éveille la perle du guerrier. N’est-ce pas charmant ? Même les guerriers ont un côté précieux, sentimental… Alexandre, que nous avions oublié jusqu’à ce temps, se leva à son tour et me prévins : - N’essayez pas de toucher un seul cheveu de ma sœur, sinon vous aurez affaire à moi ! - Alexandre, calme-toi ! C’est un ami ! Nous discutons juste, il n’y a rien de mal. Puis nous nous mîmes à marcher. Le frère suivait un peu derrière et gardait sans cesse un œil sur moi. Je me disais: « Il a reçu le bon prénom, celui de protecteur. ». Il était bien bâti, il avait une taille presque gigantesque, une carrure d’hoplite, une tête de pirate, les muscles d’Hercule. Vraiment je n’avais jamais un aussi grand bonhomme. A force de marcher pourtant, il se fatigua et nous quitta. Sa charmante sœur m’expliqua : - Il a été employé dans la garde personnelle de l’ambassadeur égyptien. Aujourd’hui, il est en repos. Il a un caractère fort, je suis désolée. - Oh ce n’est pas grave je vous le promets… Trouvez-vous que le prénom reflète de la personnalité ? - Ce que je pense !!! Je trouve que c’est le hasard qui décide. Car nos parents nous donnent un prénom et c’est le reste qui fait le caractère, le physique ou la raison. - Le hasard décide ? Etes-vous superstitieuse ? - Il m’arrive de penser que parfois le virtuel peut avoir raison, quand un fait est inexplicable. - Un fait peut être inexplicable alors ? - Oui, j’en suis sûr. Parfois c’est notre inconscient qui agit malgré ce que dis ou ordonne notre cerveau. Vous devez connaître Freud sans doute ! Freud, le psychanalyste du 20ème siècle qui développa ses théories des névroses, du rêves, Freud, ce personnage qui était aussi une sorte de pervers narcissique, attiré par l’argent et qui prenait ses exemples personnels pour des généralités : Oui, je le connaissais bien ! Elle posa son bras sur mon épaule, elle était fatiguée. Alors, je pensai à un poème de Germain Nouveau dont je commençai à réciter un extrait : - Vous mîtes votre bras adroit, Un soir d’été, sur mon bras… gauche. J’aimerai toujours cet endroit, Un café de la Rive-Gauche ; Au bord de la Seine, à Paris Un homme y chante la Romance Comme au temps… des lansquenets gris; Vous aviez emmené Clémence. Vous portiez un chapeau très frais Sous des nœuds vaguement orange, Une robe à fleurs… sans apprêts, Sans rien d’affecté ni d’étrange ; Vous aviez un noir mantelet, Une pèlerine, il me semble, Vous étiez belle, et… s’il vous plaît, Comment nous trouvions-nous ensemble ? Elle avait cessé de parler et me regardait simplement en souriant. Elle se taisait et m’écoutait parler dans le vent frais qui berçait nos têtes. Nous parlâmes ainsi en se posant des questions et en répondant systématiquement. Ce fut un bon exercice. Cela dura encore deux heures. Au loin on entendait vingt-trois heures sonner. Je décidais de rentrer et je souhaitais bonne nuit à ma nouvelle amie. Je retournais chez moi, dans l’appartement de gauche au numéro 21 de la rue Victor Hugo, au 3ème étage. Mon appartement était un trou de souris mais je m’y sentais à l’aise, à l’abri des chats et de la pluie. 3) La discussion Le lendemain je revis par hasard ma nouvelle amie dans un café près de la gare. Je m’assis à sa table et je commandai un café bien corsé. Puis nous reprîmes la discussion. Elle me dit : - Vous tombez à pic ! Hier soir, quand je suis rentrée chez moi, j’ai remarqué que vous m’aviez appris beaucoup de choses ! J’ai essayé de tout noter mais des éléments m’échappaient. J’ai eu du mal à dormir car dès qu’une idée me revenait je la notai dans mon carnet. Je me suis ensuite demandé si je vous reverrai un jour ailleurs et si j’aurais l’occasion de discuter de nouveau avec vous. J’aurais été déçue de ne pas vous revoir. Je me sens si heureuse à vos côtés. Je me sens libre et je sens que je suis avec un homme de qualité avec qui je peux parler de tout sans qu’il me critique, mais qu’il m’écoute… et c’est rare, croyez-moi ! Habitez-vous ici ou bien êtes-vous là en séjour ? - J’habite ici depuis 2 ans. J’ai découvert ce village par hasard. La Bretagne est idéale ! Je m’y sens comme au paradis. - Avez-vous déjà été au paradis ? - Non, je me base sur ce que les gens en disent. Mais attendez… qui a bien pu affirmer que le paradis était un lieu paisible si on y a accès seulement à notre mort si on a été bon vivant ? C’est intéressant, nous nous basons seulement sur des théories car personne ne peut savoir si c’est vraiment un lieu agréable ! - Vous m’impressionnez monsieur ! C’est écrit dans la Bible… Votre simplicité est si enfantine et presque naïve que vous me faîtes rire… Moi je suis venu ici pour me reposer. Mes parents ont enfin accepté. Je n’ai pas eu tort d’insister, c’est un charmant endroit… Croyez-vous en Dieu monsieur ? - Pourquoi cela ? Est-ce si bon ? J’ai reçu une éducation catholique de ma mère. Mais j’ai réfléchi, et finalement j’ai conclus que le problème des religions c’est qu’elles ne sont pas vérifiées. Ainsi c’est difficile de croire à quelque chose qu’on ne connaît pas. Aujourd’hui, la plupart des croyants n’ont même pas lu la Bible par exemple, c’est aberrant, ne trouvez-vous pas ? Je ceci trouve incroyable. En revanche je trouve que la religion catholique a progressé dans le fait qu’elle a mûri, elle ne part plus en croisade et tente de s’ouvrir et de s’adapter à la société. Mais le pape, a plus qu’un rôle religieux, il est aussi impliqué dans la vie politique je trouve. Il faut savoir trancher ! Pour toutes ces raisons j’ai décidé de mettre la religion catholique de côté. Pour les autres, je n’ai pas de goût ou d’attirance particulière. Cependant il y a je l’avoue un semblant de vérité dans les religions monothéistes, c’est qu’elles mettent toutes trois en scène les mêmes personnages, mais avec un statut plus ou moins avantagé… De plus, si je devais être chrétien, je le serai mais pas pratiquant. Je trouve que la « messe » est presque… ridicule, le prêtre parle et une foule aveugle répond sans comprendre comme une pièce de théâtre… c’est dingue comment personne ne se pose la question. J’ai toujours voulu savoir le pourquoi de tout. La phrase « et avec votre esprit », qu’est-ce que ça veut dire ? On dirait une formule de politesse du genre « à vos souhaits » que l’on dit sans réfléchir. Imaginez-vous dans la rue, on vous demande : « Comment allez-vous ? » « Bien, bien et avec votre esprit ? »… Ça aurait le même effet que le « et avec votre esprit » prononcé à l’église. J’ai longtemps discuté avec des prêtres pour savoir justement, et on m’a dit qu’il fallait croire en faisant confiance, car ce n’était pas prouvable. En revanche, je suis comme Voltaire, je crois en un dieu horloger. Mais je suis aussi comme les humanistes, je crois en l’homme, bien qu’actuellement, il me déçoive. Et vous, qu’en pensez-vous ? - J’ai aussi reçu une éducation catholique, je ne m’en plains pas car j’ai acquis les bases et que notre société est fondée sur ces bases-là. Pour moi la foi est justement ce que l’on ne peut pas vérifier. On doit croire et parier. Vous devez connaître sans doute ce qu’en dit Pascal : croire en Dieu car au pire il n’y a rien et on a été bon dans notre vie, et au mieux on a eu raison et on est heureux et on va au paradis. Je crois en Dieu mais je ne vais pas très souvent à la messe. J’y vais pour les fêtes et une fois de temps en temps. Je préfère prier dans ma chambre seule, c’est mieux. Votre réflexion sur la messe est très convaincante… et je suis du même avis. - Il y a quelque chose que je n’ai jamais compris ! Pourquoi nous baptiser à notre naissance ? On ne nous donne pas le choix ! C’est un non-sens encore une fois, n’êtes-vous pas de mon avis ? S’il y a religion, il y a choix, n’est-ce pas ? - Je ne sais pas, parce que de toute façon notre éducation serait catholique si on est élevé par des parents croyants, donc elle nous pousserait au baptême si l’on n’est pas déjà baptiser. - Donc au moins ça serait un choix, plus ou moins. Je trouverai ceci plus logique. Les protestants font comme ça je crois. - Je ne me suis pas renseigné. Je pense que l’on croit que le baptême est un cadeau de nos parents et qu’on en fait ce que l’on en veut après. Ma famille ne parlait pas souvent de ces sujets-là puisque ce n’était pas une question chez nous… Êtes-vous pressé ou bien accepteriez-vous de marcher un peu avec moi dans les rues ? - J’ai tout mon temps. Je vis selon mes envies, comme la vie se propose devant moi. Chaque jour amène son pain. Nous pouvons discuter ensemble si vous le désirez. Nous payâmes les cafés et nous sortîmes du bar. Alors nous commençâmes à marcher dans le vent et les feuilles qui pleuvaient sur la ville. J’aimais vraiment bien cette nouvelle amie, je sentais qu’elle n’était pas comme les autres, elle savait ce qu’était la philosophie et la poésie et elle pouvait discuter avec moi en allant dans mon sens ou dans le sens contraire, et elle savait argumenter et défendre son point de vue. Pendant que nous marchions, elle prit ma main gantée fermement dans sa main et ne semblait pas vouloir la lâcher. Puis nous entrâmes dans un parc où une tempête de feuilles nous attendait. Nous décidâmes de nous réfugier dans l’intérieur du parc, elle connaissait un abri en sécurité. C’était une petite baraque en bois et en pierre sous la forme d’un abri de bus. Il y avait un banc alors nous nous assîmes pour nous remettre de notre petite course contre le vent et les feuilles mortes. Elle tenait encore ma main fermement, elle ne l’avait jamais lâchée pour être honnête. Quand sa respiration redevint régulière et normale, elle lâcha enfin ma main toujours gantée car il faisait encore un peu frisquet. Mais à mon grand étonnement elle passa ma main derrière mon dos et l’accrocha à mon côté droit. Elle posa sa tête sur mon épaule et me dit après un soupir : - Vraiment je pense que rares sont les personnes avec lesquelles je me livre autant! J’ai l’impression que je m’évade, que je m’envole, que j’ose tout avec vous. Je n’ai jamais été comme ça. Vous me remettez en question. - Je me sens bien aussi à vos côtés, répondis-je, vous me faîtes rêver et songer intelligemment… Un homme passa non loin, une cigarette au bec. Je demandai alors : -Fumez-vous ? - Non, c’est du gâchis d’argent je trouve, répondit-elle, j’ai essayé une fois pendant un mois. J’ai perdu beaucoup de sous. Et vous ? - J’ai fumé, mais c’est fini. Quand je fumai je me sentais bien… mais j’ai mis 3 ans à arrêter ! Je suis content de savoir qu’avec l’argent d’un paquet de cigarettes, je peux aller au musée ou m’acheter un bouquin… ce qui est plus instructif ! - Allez-vous en boîte de nuit ? - Peu souvent. Etudiant je les fréquentai, surtout celle de mon quartier qui était sympa, au moins une fois par mois. J’allais souvent avec mes amis au cabaret : c’était plus amusant. Mais je me suis rendu compte que cela n’avait pas plus d’intérêt que de voir des films. C’est pour cela que j’ai arrêté, préférant le cinéma. Et vous, fréquentez-vous ce lieu ? - Rarement, quand je vais mal souvent seulement, avec des amies. J’ai fait une fois une soirée de cabaret en tant que danseuse. Je me suis amusée mais mon père était dans le public par hasard. Juste après ma représentation, je suis retourné dans les coulisses et j’ai pleuré. J’ai pleuré parce que savais ce qui arriverait, je savais que j’avais fait une connerie, je savais que j’avais déçu mon père. Je me suis fait massacrer à la sortie. Il m’en a dégoûté, mais j’avais vraiment besoin d’argent à cette époque. Je lui ai dit ça et il m’a répondu qu’il préférait m’avancer plutôt que je danse nue. Il avait raison, j’avais 17 ans à peine, et comme dirait Rimbaud, on n’est pas sérieux à cet âge. Mais c’était un secret que personne ne sait à part lui et moi. J’espère que vous le garderez ! Je vous fais confiance, vous êtes un type chic et pas du genre à cafter. Maintenant j’en ris de cet épisode ! Quand nous décidâmes de nous quitter, il était presque midi. Le vent avait arrêté de souffler et les feuilles retombaient en délicatesse de tourbillon. Nous nous donnâmes rendez-vous le lendemain pour déjeuner, à 12 heures 30 au « Petit Banc », un restaurant que je connaissais très bien et que je savais être le lieu idéal pour discuter encore de sujets intéressants. 4) Le tableau L’après-midi, je profitai de mon temps libre pour aller voir une exposition d’art sur les saisons. Il y avait des tableaux intrigants, représentants l’été comme la saison sombre, alors que jamais je n’avais vu cette saison sous cet aspect agressif. Un tableau sur le printemps retint particulièrement mon attention. Il avait été peint par Monet. Ça n’était pas le célèbre tableau du pont reflété dans l’eau, mais s’en était un autre que jamais je n’avais encore vu, pourtant son titre simple me plus déjà : Printemps. Il y avait un homme et une femme à demi couchés sur l’herbe bien verte qui semblaient discuter, sous un arbre florissant les recouvrant bien mais leur cachant le soleil. On ne voyait pas la lumière solaire ou la marque de sa présence mais le ciel était si clair qu’il devait bien être quelques mètres plus loin. Derrière ces jeunes gens, des arbres poussaient à perte de vue, si bien que les bouts de leurs branches, couverts de fleurs blanches, rondes et jaunes, cachaient presque le ciel. La nature foisonnante dominait le tableau et semblait dépasser sur le mur du musée. Pourtant les deux jeunes gens étaient bien là, représentés au premier plan. Pourquoi ce choix ? Je savais bien que Monet ne les avait pas mis là par hasard. Je me posais souvent ce genre de question en regardant des tableaux. Je les regardai de plus près. Ils semblaient discuter et rire, face à face. J’arrivai presque à lire sur leurs lèvres ce qu’ils disaient. « Il fait beau ici, on est bien » s’exclamait le jeune homme. « Oui c’est tellement agréable. Je me sens bien à vos côtés » répondit la femme. « Moi aussi je me sens bien avec vous. Vous me faîtes rêver et songer intelligemment ». « Jamais je n’aurai cru vous rencontrer un jour… rencontrer un homme si charmant, si séduisant, instruit, cultivé et à l’écoute », confiait la belle femme. « Et moi !, jurait l’homme décidé, je ne pensais pas trouver une femme avec un physique si poétique. ». A cela, la femme s’étonna et demanda en quoi son physique était poétique. Le jeune poète répondit alors d’un ton élogieux et en vers un petit poème de son invention, qui sortait tout naturellement de sa bouche. Lorsqu’il eut fini son éloge, il n’y eut plus de bruit. Alors il me semblait que les visages des deux amoureux se rapprochaient pour s’embrasser ! Je ne rêvais pas !!! Ils échangeaient un des plus beaux baisers que l’amour n’ait pu donner, un des plus longs baisers que la peinture ait pu représenter. Je réalisai combien la peinture avait un pouvoir gigantesque de montrer des images animées. Je compris à ce moment pourquoi Monet avait ajouté ces deux amants : ils représentaient l’harmonie entre la nature et l’humain, la parfaite justesse entre les deux éléments du tableau, ils servaient d’intermédiaire entre l’infiniment grande nature et l’infiniment petit homme. J’étais resté devant ce tableau sans ne rien voir d’autre pendant vingt minutes. Mais un autre homme observait aussi l’œuvre d’art. Je l’apostrophai : - Ne voyez-vous pas que les deux personnes se parlent ? Si vous vous rapprochez, vous les entendrez même ! Demandez-vous pourquoi Monet les a peints. Si vous vous rapprochez, vous verrez aussi qu’ils s’embrassent. Sur ce, bonne visite. Il me regarda bizarrement, je devinais sur-le-champ qu’il n’était pas comme ma nouvelle amie et qu’il ne fallait pas le brusquer dans l’interprétation, quoique j’étais persuadé d’avoir entendu discuter les deux amants. Plus tard dans la journée, alors que j’avais quitté le musée et que j’étais retournée dans mon petit appartement, je repensai au dialogue que j’avais entendu dans le tableau. Il ressemblait étrangement à celui que j’avais eu quelques heures auparavant avec ma nouvelle amie. Comment étais-ce possible ? Mon cerveau me jouait-il des tours ? Après de longues réflexions qu’il me semble inutiles de retranscrire, j’en convins que mon cerveau avait apprécié ce moment et qu’il m’avait rendu un tant soit peu absorbant dans mes pensées. J’avais vu dans ce tableau Magalie et moi-même. Je notai ce résultat sur un coin de feuille de mon carnet, là où je notai mes réflexions, et je décidai d’en parler avec elle demain à déjeuner. Je passai le reste de la soirée à songer à ce tableau, mais aussi à l’histoire qui commençait depuis le jour où j’avais rencontré la brillante Magalie. Je ne parvins pas à fermer l’œil, ma pensée me jouant des tours, et le visage de Magalie me trottait dans la tête, sa voix douce, sa main dans la mienne, sa tête sur mon épaule, sa main dans mon dos, ses murmures à mon oreille. Toutes ses pensées m’emportèrent dans le grand univers tourbillonnant du rêve et je fermai finalement l’œil. 5) La plume Après une bonne nuit, longue et agréable, je me rendis au restaurant où il avait été convenu que nous nous rendîmes, à l’heure dite. Elle était déjà là. Je la laissai choisir une table et nous commandâmes ce que nous voulûmes à manger. Bizarrement, elle ne parlait pas, et moi non plus. Ce silence m’amena à réfléchir et je me rappelai que je devais lui parler de ce qui m’était arrivé la veille. Je décidai de commencer quand l’entrée arriverait. Avant, je regardais la charmante femme qui me faisais face. Elle correspondait à celle que j’avais vue hier sur le tableau, j’en étais sûr. C’était elle ! L’entrée arriva, sur un plateau d’argent. Ma gorge se serra. Je me lançai courageusement sur la piste glissante. Je brisai le silence et dit : - Hier il m’est arrivé quelque chose d’étrange, et je tenais à vous en parler. Je suis allé à une exposition sur les saisons en peinture, qui était d’ailleurs fort belle et fort bien faite, et je me suis longuement attardé devant un tableau de Monet. Quelque chose m’a interpellé, un détail sans doute, mais je me suis interrogé : il y avait des arbres en masse florissants et puissants et deux personnes assises dans l’herbe, sans doute en train de discuter. Je me suis demandé pourquoi ces deux personnages étaient là, peints par Monet. J’ai réussi à les entendre parler. Mais je me suis rendu compte plus tard qu’ils reprenaient les mêmes propos que ceux que nous avions eu hier. J’avais l’impression aussi de les avoir vus s’embrasser. C’est fou, le tableau bougeait sous mes yeux alors qu’il était en réalité immobile. J’en ai conclus que mon cerveau me jouait des tours. N’est-ce pas intriguant ? - Je connais ça moi, répondit Magalie, c’est le sentiment de bonheur qui prend le dessus sur la raison et ainsi on voit des visions. Mais vous savez, n’est-ce pas là ce qu’il se passe dans le livre de Huysmans, A Rebours, alors que Des Esseintes voit le tableau de Salomé peint par Moreau ? Et c’était vrai ! Son sourire revint peu à peu. Elle rayonnait devant moi, elle m’éblouissait de culture et d’intelligence. Puis la discussion reprit lentement si bien que tout redevint comme avant. Au moment de quitter le restaurant, elle me prit la main encore une fois et sourit en rougissant. Alors, pour la rassurer, je serrai sa main dans la mienne. Son sourire étincelait de joie et de bonheur. Elle était radieuse. Puis le moment fut venu de nous quitter, vers 15 heures, et je rentrai chez moi. Au moment de tourner la clé dans la serrure de la porte de mon appartement, je me rendis compte que nous ne nous étions pas donné rendez-vous. Puis je me dis que le hasard ferait sans doute bien les choses et que je reverrai celle que j’affectionnai de plus en plus à chaque fois que je la voyais. Le soir j’allais au théâtre. Il se jouait du Molière, que j’aimai tant par le comique de ses pièces que par son style d’écriture, son engagement et son courage à dénoncer habilement la société de l’époque. Un dramaturge a selon moi 3 rôles : faire éprouver des sentiments, faire réfléchir et faire s’évacuer toutes les angoisses de notre vie privée, nous faire oublier un instant notre vie. A 20 heures je prenais place, une bonne place que j’avais payé peu chère grâce à des bons amis qui travaillaient au théâtre et qui m’avaient pu trouver une place, et un peu après la pièce commença. C’était Le bourgeois gentilhomme, aussi plaisant que le connaissais. Les comédiens étaient habillés de façon moderne, sans doute pour montrer que la société actuelle est un peu aussi bourgeois gentilhomme, ce avec quoi j’étais tout à fait d’accord d’ailleurs, le décor était riche et grandiose, et le jeu était formidable. Il m’arrivait même de rire fortement tellement c’était remarquable. Mes voisins me regardaient parfois en fronçant les sourcils. Qu’est-ce qui les gênait ? Ne va-t-on pas au théâtre pour rire et se divertir ? Le rire est pour moi le propre de l’homme et il va tout naturellement que quand quelque chose nous amuse un son sorte de notre bouche. Une fois, je m’en rappelle bien maintenant que j’y repense, j’avais essayé d’étudier les différents rires… pour essayer de comprendre pourquoi certaines personnes riaient fortement et d’autres plus aigus, d’autres encore grave, d’autre n’osaient pas rire alors que certains ne se gênaient pas… je me posais souvent la question ‘’pourquoi ?’’, et je voulais tout savoir à cette époque. Je fis de longues recherches et les résultats furent assez drôles : il y a différentes catégories de rires ! Ce qui me marquait directement fut le ‘’fou rire’’… un rire qui devient incontrôlable ! Pourquoi peut-on rire sans ne plus savoir pourquoi ? Pourquoi le rire peut prendre le contrôle de notre personne ? Il y a aussi les rires forcés, méchants. Ceci m’avait frappé aussi. Un rire, qui à la base est fait pour montrer sa joie, peut aussi servir à se moquer d’autrui… quelle est donc ce rire ? Je me souvins, j’avais même écrit un début de thèse sur le rire, mais bon, j’étais jeune et ce projet n’aboutit jamais. Il m’avait seulement servi à apprendre des choses passionnantes, mais, avouons-le, un peu inutiles. En me concentrant sur la pièce, quelque chose me calma directement. En regardant la scène, j’aperçus au second rang ma nouvelle amie. Magalie était assise à côté de son frère et elle semblait bien s’amuser. Je la voyais poser sa tête sur l’épaule gigantesque de son aîné et elle riait aussi. Je la voyais bien, j’étais au balcon, et je voyais bien son frère aussi. Heureusement qu’il n’y avait personne assis à côté de lui car il prenait presque deux places de largeur. Et heureusement aussi que sa sœur frêle ne prenait pas plus de trois-quarts d’une. Je riais intérieurement à cette réflexion, car je savais que j’aurais des ennuis si je m’exprimai trop fort. La pièce se finit et je sortis en vitesse pour rencontrer Magalie. Je la cherchai partout du regard mais je ne la vis point. Sans doute ne m’avait-elle pas vue. Sans doute d’ailleurs n’étais-je rien pour elle, juste un ami, peut-être même un clown. Peut-être que toute cette histoire était un mensonge depuis le début et qu’elle s’amusait avec moi. Peut-être alors que son frère était son amant. Je ne savais pas quoi penser, quoi conclure, quoi savoir. Je quittai le théâtre et retrouvai mon appartement à pied, les taxis étant tous occupés. Cela me permit de réfléchir. Il est bon de réfléchir seul, livré à soi-même quand on doute. Il m’arrivait souvent dans ces situations de malaise, de m’asseoir sur un banc et de fermer les yeux, de serrer mes deux poings ensemble, de blottir ma tête entre mes bras et de rester ainsi en attendant que je trouve une solution, une réponse efficace. Mais ce soir-là je ne fis pas comme ça, je marchai simplement, les mains dans les poches. Je sentis quelque chose au fond de ma poche. Je la saisis et je la levai jusqu’à hauteur de mes yeux. C’était une plume blanche qu’un oiseau avait dû perdre dans la tempête de vent. Elle était atterrie dans le fond de ma poche. Je retrouvai le sourire. Je tenais la plume du bout des doigts. Elle était parfaite, blanche, incurvée, sans bavure. Elle me glissa des mains et s’envola. Je voulus la rattraper mais elle partait dans le vent. Elle montait toujours plus haut. Alors je décidai de grimper sur le lampadaire face à moi. Quand je fus en haut, je tendis le bras et les doigts pour m’emparer de la plume frêle. Lorsque je la touchai, que je la saisis, elle m’emporta dans le vent. Je volai un court instant. Un instant suffisamment long pour que j’eu le temps de lire un mot écrit à l’encre sur la plume : « Bonne nuit ». Je repensais à une phrase de Cervantès : « La plume est l'interprète de l'âme : ce que l'une pense, l'autre l'exprime. » J’atterris en délicatesse, bouleversé. Cette plume n’était pas arrivée dans ma main par ha-sard. Je regardai dans la rue, mais il n’y avait personne. Confus, je retrouvai mon appartement et je déposai ma trouvaille dans mon carnet. Je m’endormis, le sourire aux lèvres mais le doute à la tête. Durant la nuit, j’eus des apparitions étranges, de Magalie et son frère au théâtre, elle riait, il lui poussait des cornes sur la tête et une queue dans le dos. Lorsqu’elle croisait mon regard, ses yeux étaient rouges. J’eus du mal à dormir. Cette image diabolique ne me quittait pas. J’étais bercé par le cauchemar, qui se moquait de moi. Tout autour de moi riait, tout ricanait plutôt. Je fermai les yeux courageusement et je parvins à m’endormir enfin. Cette image démoniaque revenait de temps en temps me réveillant en sursaut. Quelle atroce nuit ! Je fus heureux quand elle se termina enfin. Mes draps étaient trempés, mon corps suintait, mon cœur haletait. La jalousie m’avait pris. 6) Le poète, l’ami Je repris mon souffle, me passai un gant de toilette mouillé d’eau froide sur le visage et tout se calma petit à petit. Une nouvelle journée commençait. Le matin je voulus aller faire un tour de péniche sur le fleuve. C’était une autre façon de s’aérer et de mettre ses idées au clair. J’embarquai donc sur le premier navire que je vis, je payai mon billet et je pris place sur un siège à l’étage, sur le toit. Le vent caressait mon visage comme la main de ma mère le faisait pour me récompenser. Je me souviens de ces moments, ils étaient si agréables. Une fois, je revenais de l’école comme tous les jours. Alors que je rentrai dans la maison, je vis ma mère assise sur le canapé. Je courus vers elle pour l’embrasser et elle me demanda avec sa voix douce de maman : « As-tu passé une bonne journée ? ». Je lui répondis : « Oui, et même que la maîtresse m’a interrogé sur la géographie et que j’ai eu tout juste ! ». Quand je disais cela, elle passait sa main sur ma joue et me disait tout le temps : « c’est bien Grégoire, je suis fier de toi ! ». Son sourire était simple et il me donnait des frissons. Je me disais déjà au fond de moi : ‘’Comment se fait-ce qu’une seule parole puisse donner une telle expression sur son visage ?’’. J’aimais beaucoup ma mère. Quand je lui ramenais mon bulletin la veille des vacances, elle me caressait le visage et elle m’embrassait. Je me souviens qu’il restait toujours du rouge sur ma joue. Mon plus beau souvenir avec ma mère fut lors de ma montée en sixième. Je passais au collège et lorsque je donnai mon bulletin à ma mère, elle m’embrassa sur la bouche. Elle pleurait. Je lui demandai pourquoi et elle me répondit que c’était juste parce qu’elle était heureuse. Au théâtre, je me souvenais de mes réflexions sur le rire de joie, mais aussi le rire méchant, cette fois-ci c’était les pleurs, habituellement synonymes de tristesse, qui étaient joyeux. Moi aussi. Je pleurais une larme d’émotion. Le bateau allait quitter le port lorsqu’un dernier passager monta in extremis. C’était un homme. Le chef de quai annonça le départ et la péniche commença à s’écarter de la côte. Le soleil était presque à son plus haut point et il offrait généreusement une chaleur presque étouffante. Mais le vent soufflait encore et les deux réunis donnaient un air agréable. Les gens commencèrent à discuter. On parlait de tout. Cependant le bruit était excessif, alors je décidai de descendre. Je m’appuyai sur la rambarde, face à la mer. Le bruit rythmé et calme des clapotis des vagues berçait la coque du bateau qui balançait sa tête, comme si elle rêvait. Le silence était très agréable et je rêvassai devant l’écume et le calme de l’eau. « Venez ! Venez par ici mesdames et messieurs ! Une occasion de gagner de l’argent ! ». Ces phrases criées me sortirent brusquement de mes pensées. C’était l’homme monté in extremis dans le bateau qui les avait dites. Je montai pour voir ce qu’il allait se passer. Il avait dressé une table et il était assis derrière, un jeu de carte dans la main. La foule s’était arrêtée de parler et s’était retournée vers lui. On commençait à se rapprocher. Il expliqua alors : - C’est très simple ! Vous jouez à la patience ou au solitaire. Le principe est de faire des familles de cartes. Pour cela, je vais poser devant vous 7 tas de cartes, composés de 7, 6, 5, 4, 3, 2 ou 1 cartes. Seule la dernière carte de chaque colonne sera retournée et visible. Pour voir les autres, il vous faut superposer une carte disons noire sur sa carte tout juste supérieure rouge. Quand vous sortez un as, vous le mettez à part. Si vous voyez le deux de la même couleur que l’as vous le mettez par-dessus. Le but est bien évidemment de remplir les 4 tas jusqu’aux rois. Si vous ne pouvez plus jouer avec le jeu, vous jouez avec les cartes de votre main. Voilà. Qui veut commencer ? C’est très simple, il y a 52 cartes ! Le joueur me donne 52 sous et à chaque fois qu’il sort une carte du jeu, il reçoit 2 sous. Donc il peut doubler sa mise. Qui veut jouer ? Dans les murmures sceptiques de la foule, un homme assez âgé se démarqua et sorti de son porte-monnaie 52 sous. Il paya et commença à jouer. Il joua, il joua, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus rien faire. L’homme qui organisait le jeu lui rendit 28 sous. Alors un homme cria : - Arnaqueur ! Mais l’homme qui organisait lui répondit calmement: - Jouez pour voir ! Ainsi il se mit à jouer. Il parvint jusqu’à 54 sous. Il fut satisfait et une file d’attente se créa. Les gens discutaient en attendant leur tour. Je connaissais ce jeu. Mon père m’avait appris à y jouer. Je savais qu’il était très dur de gagner. C’est pour cela que je n’y jouai pas. Je décidai de regarder le paysage rare qui s’offrait à moi. Le soleil se reflétait sur les collines, le fleuve, la ville. Et le trajet prit fin. Les derniers joueurs finirent leur partie alors que les autres comparaient leurs pertes. Un vieil homme avait perdu toute sa somme. Une jeune femme assez jolie avait doublé sa mise, mais c’était bien la seule. Je parlai ensuite avec l’homme joueur. Je lui demandais simplement : - Pourquoi faîtes-vous croire aux gens qu’ils gagnent de l’argent alors que vous en gagnez le double ? N’est-ce pas triche ? Et que faîtes-vous avec cet argent ? Tout cet argent ! C’est bien trop, gardez le nécessaire… - M’sieur j’ai pas de métier, j’gagne pas d’thunes ! Comment ne pas avoir d’argent pour vivre. Il faut bien que je gagne de quoi manger, de quoi dormir ! Alors parfois la déloyauté est essentielle. Eh ouais m’sieur moi je n’ai pas de talent de musicien ou quoi, je sais pas faire tout ça, alors je laisse le hasard me donner des sous. - L’argent est superflu ! Combien avez-vous gagnez aujourd’hui ? Il compta et me répondit : - 136,50 euros. - En un jour ! Et en moyenne ? - 120. - Avec cela je vis une semaine moi ! L’argent, c’est comme les médicaments : on n’en a besoin pour se sentir en sécurité et en bonne santé mais quand on en a trop, ce n’est jamais bon signe ! Les gens d’aujourd’hui pensent que tout s’achète : nourriture, maison, bien-être, santé et même bonheur. Mais je pense que l’argent est en fait aussi une maladie qui fonctionne comme un cercle vicieux. On a de l’argent, largement suffisamment pour vivre convenablement si on s’en donne les moyens, mais on en veut toujours plus, c’est là un bien triste destin ! On ferait tout pour en avoir plus, et c’est à ce moment-là que cet objet devient maladif et addictif. Aujourd’hui, en effet, l’argent achète la gloire au détriment de la santé, pour les sportifs les plus bornés, achète le pouvoir pour les politiques un peu malhonnêtes, achète le succès pour les stars les plus habiles et la corruption est l’impératrice de ce monde !... Puis, voyant qu’il ne comprenait rien à ce que je lui avais dit, je conclus : - Bon, sur ce, monsieur, nous sommes arrivé, je vous quitte ! Je quittai la péniche, ravi de ce voyage, et je retournai chez moi. J’avais faim. Je mangeai un bon repas, que j’avais cuisiné, un repas comme je l’aime, équilibré et sain. Pendant que je mangeais, je réfléchis à ce qui allait constituer mon après-midi. Soudain, je repensais à Magalie, involontairement. Je remarquai que ça faisait un jour que je ne l’avais pas vu. Je rangeai ma vaisselle, propre, et je sortis pour me promener, pour voir si j’allais rencontrer Magalie. Je longeai le fleuve. En chemin je croisai des peintres inspirés qui tentaient de représenter ce que la nature voulait leur montrer. Je vis des amoureux s’embrasser. Je vis enfin quelque chose de bien plus intéressant. Il y avait un homme qui écrivait. Je m’arrêtai pour voir de plus près ce qu’il calligraphiait. J’aperçus des vers : était-ce un poète ? Je m’approchai encore. Je sentis l’odeur des images qu’il avait créées. Une vague de miel, une écume de vin, un flot d’espoir… magnifique. Alors je pris la parole : - Etes-vous poète ? Il se retourna après avoir sursauté et me répondit : - C’est à moi que vous vous adressez ? Vous m’avez réveillé. J’étais en train de composer, mais bon… j’aime discuter avec les autres. Vous demandiez ? - Je voulais savoir si vous étiez poète. Vous savez j’adore les poètes, ils m’impressionnent. - Poète… bonne question. Je pense que j’en suis un. Mais on n’est jamais sûr de ce qu’est un poète ! Comprenez-vous, j’essaie de trouver des images pour la nature, afin de montrer une autre réalité. - Oui, c’est cela même la magie du poète. J’ai eu la discussion avec une amie sur ce qu’était le poète. Comment qualifiez-vous ce statut ? - Je vous l’ai dit. Il voit une autre réalité. Il écrit avec des rimes, des rythmes, des sons. Il perçoit en fait la nature avec ses 5 sens et il les retranscrit sur une feuille. Voilà comment je définirais le poète. - Comme c’est intelligent ! L’aspect des 5 sens ne m’avait pas frappé, mais maintenant que vous me le dîtes cela me paraît évident. On se sent bête tellement la réalité apparaît sous les yeux. - C’est là aussi le rôle du poète. Il va à l’évident pour montrer l’évident. Vous m’avez parlé d’une amie avec laquelle vous avez parlé. Qui est-elle ? - Elle se prénomme Magalie. Pourquoi ? - Figurez-vous qu’elle m’a remis une lettre pour un de ses amis. Etes-vous Grégoire ? - Oui c’est bien moi. Avez-vous vu Magalie ? - Elle est passé ce matin. - Mais comment a-t-elle su que je passerais ici ? - Ah ça ! Je l’ignore. Prenez la lettre. Sans doute elle le dit. Il me donna la feuille de papier et me fit un clin d’œil. Puis il relut le dernier vers de son poème et repris son encre. Je le quittai en le saluant mais il ne m’entendit déjà plus. Le vieil homme barbu avait été très aimable. Je continuai ma promenade jusqu’au premier banc. Lorsque j’en croisai enfin un, il me convint et je m’y assis. Puis je commençai à lire la lettre. L’écriture était charmante, noire, nette, tantôt penchée, tantôt redressée. Elle suivait les lignes de la vie et de la feuille en harmonie. Voilà ce que je lus : « Mon très cher Grégoire, Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous écris cette lettre et comment elle est arrivée entre vos mains. Je vais tout vous dire, tout vous expliquer Il y a une autre chose que je voulais vous annoncer. Il me reste encore 3 jours ici avant de partir. J’aimerai encore vous voir, chaque jour, pour entendre votre voix et discuter avec vous. Vous m’avez permis d’ouvrir mon esprit et mon argumentation. Je me sentais volatile à vos côtés. Je me sentais légère, douce, cultivée, et parfois même j’osai des choses que ne n’avais encore jamais encore osées. J’étais si heureuse quand vous m’expliquiez tout ce que vous saviez. Je savais que j’avais rencontré la bonne personne, une belle personne, cultivée, à l’écoute, et près à s’ouvrir. J’ai vu en vous toutes ses qualités. L’autre soir, je suis allé au théâtre, pour voir Le bourgeois gentilhomme de Molière. Sachez que sans vous jamais cette idée ne m’aurait traversé la tête. Vous m’avez donné goût pour la culture. Vous êtes vraiment un type bien, et c’est pour toutes vos qualités que je vous apprécie. Il restait encore la question de vous transmettre la lettre. Je ne connaissais pas votre adresse. Ce matin, en regardant de ma fenêtre avec des jumelles le long des quais, j’ai aperçus un poète. Je me suis dit que comme vous aimiez les poètes et les promenades, vos passeriez sans doute par là. J’espère que j’ai vu juste et que vous avez reçu cette lettre. Pourrait-on se rencontrer demain matin à 9 heures au café des « Bons Amis » ? Je vous embrasse bien amicalement, Magalie. » Je lus et relus plusieurs fois cette lettre tant elle était bien écrite. C’était tout naturel, l’encre glissait facilement sur la feuille, comme un bateau sur l’eau, il formait les bonnes lettres au bon endroit, et guidait presque la main de celle qui écrivait. On aurait pu y voir de la poésie. Je me levai enfin, rangeai la lettre dans ma poche et repris ma promenade jusqu’au jardin des Mouettes, au bout de l’avenue. Puis je décidai de rentrer chez moi. Une question passa dans ma tête : Fallait-il que je réponde à l’écrit ? Attendait-elle une réponse avant demain ? Comment lui transmettre la lettre ? Que devais-je faire ? Je restais sans réponse. Alors je décidai de rentrer à mon appartement et de rédiger une lettre que je lui donnerai demain en main propre. L’idée pouvait paraître un peu stupide, mais elle sembla la meilleure. Je pris une feuille et l’encre et je notai. Mais je me rendis compte que je ne savais pas quoi noter. Je griffonnai de ma plus belle écriture tout simplement : « Merci pour votre lettre. Je l’ai trouvé parfaite. Je serais là demain. Grégoire ». Puis un doute arriva : Comment saurait-elle que j’avais reçu la lettre ? Alors j’eus une idée. Je courus jusqu’au poète qui m’avait remis la lettre et je lui donnai mon message, au cas où elle reviendrait le voir. 7) Magalie Le jour suivant, je me rendis au café où il avait été dit que nous avions rendez-vous. Elle était déjà là, encore plus belle que les autres jours. Ses cheveux blonds-bruns étaient sculptés comme un artiste aurait sculptée une statue de Méduse. Son visage était peint comme celui de Vénus dans sa coquille. Sa robe bleue volait dans le vent, laissant apercevoir des formes remarquablement bien tracées, comme si un crayon de bois les avait dessinées, esquissées et avait gommés les moins belles. Voici l’image que j’eus de Magalie, une femme renaissante, une déesse dans toute sa splendeur, une œuvre d’art, à la fois statue, tableau, croquis. Je la saluai. Elle me vit et me dit calmement : - Ça me fait si plaisir de vous revoir. Je n’étais pas sûre que vous ayez reçu ma lettre. Je suis si heureuse. - Oui, j’avais presque besoin de vous revoir aussi. Je vous ai répondu et j’ai donné le message au poète. Mais vous ne l’avez pas vu. Peu importe puisque nous sommes là en même temps. Je dois souligner que vous écrivez fort bien. J’ai pris plaisir à vous lire et à vous relire. - Oh merci Grégoire ! , s’exclama-t-elle en venant dans mes bras. Elle se serra si fort à mon cou que je sentais à travers sa poitrine collée contre la mienne, son cœur battre à vive allure. J’avais l’impression qu’un battement était une demi-seconde et que le temps passait trop vite. Je passai mes bras dans son dos. Un long moment, nous restâmes ainsi sans bouger, sans mot dire. Puis elle brisa le silence par ses paroles murmurées, presque chantées : - Je suis désolée pour le théâtre. Je vous ai vu mais comme j’étais avec mon frère et qu’il devait se dépêcher pour ne pas rater son train, nous avons dû courir. - Dans ce cas c’est pardonné, répondis-je en souriant. Nous achetâmes des croissants à une boulangerie que je connaissais bien, et nous nous rendîmes au parc, elle voulut celui où nous avions résisté à la tempête de feuilles. Mais ce jour-là il faisait beau. Le soleil était dégagé de tout nuage ; on aurait dit que ceux-ci étaient allés pleuvoir ailleurs. Un vent léger rafraîchissait l’air, et le climat qui régnait était très agréable et calme. Le parc était presque désert. Quelle idée de ne pas se promener par un temps pareil ! Elle me mena jusqu’à l’abri où nous avions dû nous réfugier. A ce moment elle me prit la main et la serra si fort que je crus que plus jamais mon sang ne circulerait correctement. Puis elle la lâcha subitement. Elle me demanda calmement : - Où en étions-nous la dernière fois ? - Comment avez-vous trouvé la pièce de théâtre ? - Médiocre. Les comédiens étaient vraiment mauvais, le décor vite fait, la mise en scène banale. Rien d’exceptionnelle. - Vous m’étonnez ! Je l’ai trouvé grandiose ! Tout était réussi selon moi. Mais les acteurs étaient trop peu expérimentés en revanche ! - Grégoire, dans deux jours nous ne nous verrons plus ! Quelle tristesse ! - Qu’appelez-vous tristesse ? Pour que nous soyons d’accord. - C’est le sentiment qui brise notre cœur, qui nous renferme, qui nous fait pleurer. On ne se sent pas bien, on peut être malade. C’est cela la tristesse, n’est-ce-pas ? - Oui je pense aussi. Mais la vie est faite de rencontres et de séparations ! Hélas personne de ce monde ne pourra le nier, pas même les plus grands sages décédés. Votre vie se fera de fil en aiguille, vous rencontrerez d’autres hommes mieux que moi… - Mieux que vous j’en doute. Vous êtes un homme d’une qualité rare. - Magalie arrêtez, vous allez me faire rougir ! Et puis vous connaissant, vous n’aurez aucun mal à reprendre des discussions avec des gens que vous rencontrerez, comme celles que nous avons eu ensemble. - Vous ne me connaissez pas alors ! Je suis une grande timide. - Pourquoi ?, dis-je systématiquement comme un enfant, La timidité est bien une barrière sociale et sociable franchissable. La preuve est que je ne m’en étais pas rendu compte. Libérez-vous voyons ! - Avec vous ce n’est pas pareil… je me sens libre bizarrement. - Vous le serez avec n’importe qui d’autre dans ce cas, je vous le promets. Nous discutâmes ainsi une bonne heure. Je la rassurai, elle m’écoutait attentivement, comme une élève écouterait son maître d’école, comme un disciple écouterait son maître. Alors elle voulut changer de sujet. Elle voulut engager une discussion comme nous avions l’habitude d’en faire avant. Elle demanda : - Comment pensez-vous la ville ? - La ville ?, m’étonnai-je, c’est un endroit de rencontre, entre un peu de nature chimique et beaucoup d’habitations, ce qui fait bien sûr la différence avec la campagne qui lie beaucoup de nature sauvage et peu d’habitations. La ville c’est le lieu du travail, le lieu des riches, des affaires. C’est synonyme de modernité. Mais j’ai le point de vue d’un campagnard. La voyez-vous différemment ? - Oui, je la vois comme une concentration de pollution, de bruit, d’activités. On n’y est pas tranquille, on ne peut pas s’y reposer. C’est aussi l’endroit où grouillent tous les voleurs, les malades, les mendiants et la sécurité n’est pas assurée. L’autre jour au marché j’ai surpris des gamins en train de voler du pain tout chaud au boulanger. Ils devaient avoir à peine 10 ans et mesuraient trois baguettes de haut. J’ai failli crier au vol, mais je voyais bien que s’ils volaient c‘était pour leur survie. L’un d’eux avait remarqué que je l’avais vu, mais son regard m’a montré l’extrême pauvreté des gens de la ville, et l’extrême richesse des autres. Voilà ce qu’est la ville selon mes yeux. - C’est l’enfer des riverains mais le paradis des villageois… C’est étrange tout le monde veut habiter en ville mais personne n’y ai satisfait ensuite. Bien sûr, je ne vous critique pas, je prends tous les citadins ensemble. - Oh mais les riches sont heureux ! Ils ont leur quartier avec leurs privilèges, loin des pauvres. La ville c’est l’illustration parfaite de ce qu’est l’inégalité sociale. La campagne est bien mieux que la ville. Le repos, le calme, la vie au jour le jour, sans tracas, sans inquiétude. Tout le monde se connaît dans un village de campagne. Dans une ville on ne connaît que ceux que l’on fréquente, soit une infime portion de la population. La campagne, c’est la nature. La nature c’est la paix. N’est-ce pas ? - Je vais vous faire une confidence. J’ai habité 3 ans à la ville, pour mes études. J’étais dans un quartier d’étudiants, entre riches et pauvres. J’habitais un chouette appartement, assez grand pour une famille de quatre membres. J’étais cependant seul. Le vide des pièces me rendait fou, et dehors c’était le chaos. Tous les soirs il y avait des fêtes et du bruit, des jeunes ivres, des vitres cassées, des chants à tue-tête, des femmes nues, c’était la décadence à l’état pur. Je révisais dans mon bureau, et il m’était impossible de me concentrer. Mais mes parents, qui étaient d’assez riches gens, avaient longuement insisté pour que j’aie un grand appartement, signe de grande richesse. J’aurais préféré une chambre plus petite, plus haute, mais plus calme, et pour eux, c’était hors-de-question. Alors de temps en temps je sortais de chez moi, j’allais au bar d’en face, je prenais une bière, je la buvais le plus rapidement possible et je rotai enfin le plus bruyamment possible. Je voulais montrer que je ne voulais pas cette vie-là et que j’étais comme tous les gens de mon âge. Tous les gens du bar avaient ris, je m’en souviens, un rire franc je pense… et j’étais content de moi ! Je réussi par miracle mes examens et j’obtins mon diplôme. Mes parents étaient si fiers qu’il n’était pas une personne du quartier qui ne savait pas que j’avais réussi mes études ‘’brillamment’’, d’où l’art d’exagérer mon 11.52/20. J’acquis une sorte de popularité et j’eus des privilèges. Les amies de ma mère me présentaient leur fille, toutes aussi belles l’une que l’autre, mais toutes aussi bêtes. Cette vie ne me satisfaisait guère. Je me sentais l’obligé de quelqu’un et cela me donnait un malaise infernal. Je repensais à mon rot et une fois que ma mère avait invité une de ses amies et sa fille, je m’amusai à roter le plus fortement possible pour les dégouter : le stratagème fonctionna très bien ; jamais je ne les revis. L’odeur désagréable de la ville emplissait mes narines et atteignait mes poumons. Je toussai fort. J’eus une maladie et mon statut spécial m’offrit des médecins spécialisés et les plus expérimentés J’obligeais le médecin généraliste à me faire une ordonnance m’obligeant à aller vivre à la campagne. Mes parents refusèrent au début, mais voyant que je toussai de plus en plus fort quand ils passaient devant moi, ils convinrent qu’il était raisonnable de m’envoyer là-bas. Ils me plaignirent, m’encouragèrent. Je fis mine de pleurer, de me sentir mal à l’idée d’aller à la campagne, alors que mon cœur voulait l’inverse. J’eus un bel appartement, assez petit pour me satisfaire, une vue remarquable, une odeur agréable, et la chaleur provint du soleil et non plus des fumées polluantes que crachaient la ville. Les rats morts avaient déguerpis, les égouts étaient à l’écart… je vivais mon bonheur. Je vis ici depuis 2 ans comme si mes parents m’avaient oubliés, et je suis un homme heureux, sans doute plus que tous ceux que je connaissais avant ! Pendant que j’avais parlé, Magalie ne m’avait pas quitté des yeux, et c’est à peine si elle les avait clignés. Elle souriait, elle avait rit. Elle ne dit rien au début, puis elle éclata en sanglots et pressa sa tête sur mon épaule. Elle sécha ses larmes sur ma chemise. Je lui demandai avec ma voix la plus réconfortante possible : - Pourquoi pleures-tu ? Le tutoiement était sorti naturellement. - C’est ta façon de raconter qui m’émeut. Tu y mets tout ton cœur. On sent que tu vis ce que tu dis. Et puis ton éloge de la campagne me rend folle. Cette campagne m’a séduite, je suis comblée et dans deux jours je vais revoir cette exécrable ville. Avoues que c’est affreux ! Ton histoire est passionnante, curieuse, drôle, magnifique. On aurait dit que tu mentais pour revoir ton amoureuse perdue, alors que tu voulais la campagne. On dirait que ton amoureuse c’est la campagne. C’est ton statut par rapport au mien qui m’émeut. Tu as osé faire ce que vous voulais, alors que je suis enfermée à faire ce que je dois faire. - Je suis amoureux de la campagne ... Peu de gens ressentent la beauté de cette merveille du monde. La nature est le reflet de la pensée : quand on est triste, on la voit comme gigantesque et affamée, quand on est en colère, on la voit comme inutile et imposante, quand on est penseur, on la voit comme inspiration, quand on est joyeux, on la voit comme amie… - Oh arrête, tu me fais pleurer ! Tu es poète, ne le nies pas. Tu me fais désirer ! Grégoire, mon cher, aide-moi, je t’en prie. - Expliques-moi tes problèmes et je te promets de faire de mon mieux pour essayer de te rendre heureuse comme avant, souriante et gracieuse, joyeuse et vivante. - Mon problème est très simple. Je suis enfermée dans les oubliettes puantes de la ville et j’aimerai être libérée et vivre à l’air libre de la campagne. Seulement j’ai des parents qui ne pensent qu’à leurs petites affaires. Ils veulent que j’aie une bonne éducation, que je fasse de bonnes études, que j’épouse un bon mari… et mon avis ne leur apparaît seulement comme un grain de semoule tombé sur la route et écrasé par la foule. Quand je leur ai dit que je voulais partir à la campagne, arrêter mes études et vivre ma vie comme elle se présentait, ils ont failli faire une crise cardiaque et ma mère m’a menacé si je continuais à avoir de si mauvais propos. Alors je les ai suppliés de m’envoyer au moins une fois avec mon frère à la campagne, pour sentir le bon air. Ils ont fini par accepter grâce à mon frère. Mais maintenant que je me sens bien, je n’ai plus envie de repartir. Mon frère est allé deux jours en voyage sans que mes parents ne le sachent, c’était la seule condition pour qu’il accepte de m’accompagner, et il revient après demain. Je veux rester ici moi. Je veux vivre ma vie, et surtout depuis que je te fréquente, comme elle vient à moi. Vois-tu le problème ? - Je commence à comprendre. Une solution semblerait difficile à extraire. Ton cas est excitant, il ouvre à l’aventure et à la rébellion. J’ai promis de faire de mon mieux, alors je vais tenir ma promesse. Me permets-tu de réfléchir aujourd’hui et de te répondre demain ? - Oui, assurément ! Elle me prit la main à nouveau, mais doucement cette fois-ci, comme une caresse, comme la plume que j’avais vu l’autre soir, comme la caresse de ma mère sur ma joue. Le temps était clément, quoiqu’un vent léger balayât les déchets et les feuilles morts. Puis elle se leva, me remercia et me quitta, sans rien dire, en vitesse. Alors je me levai aussi. Plus tard, le vent me venant d’en face, j’aperçus une plume blanche, identique à la première, volant dans les feuilles. Je voulus la saisir, mais le vent l’emporta. Alors je commençai à me faire léger. La plume me passa sur les doigts et je l’attrapai. Lorsque je l’eu empoignée fermement, je la menai à mes yeux, et je lus « Bon après-midi ! », écrit à l’encre. Quel être se servait de plume pour communiquer ? M’était-ce destiné ? Je trouvai que seule la métaphore de l’écriture passait dans cette plume. Avec quelle plume avait été écrites ces lettres ? L’encre, la plume ! Cela voulait-il dire que je devais écrire ? Je réfléchis encore plus loin. Quand avais-je reçus la première plume ? Après le théâtre. Quel pouvait être le rapport avec l’écriture ? Je pensai subitement au poète. A la lettre. Après le théâtre. Fallait-il que j’aille voir le poète pour avoir une seconde lettre ? Cette plume venait-elle de Magalie ? Sans un doute, je crus avoir la bonne solution. Je retournai le long du fleuve, et je revis le poète. En me voyant, il m’appela. Apostrophé, je me retournai et je m’approchai de lui en le saluant. Il me remit une lettre. J’avais vu juste. Je le remerciai et il retourna dans ses pensées sourdes. Je lus la lettre. 8) Regret « Mon très cher fils, Voilà deux ans que tu es parti à la campagne, loin de tes parents, loin de ta famille, sans nous donné de nouvelles, sans nous visité une seule fois. Tu es parti depuis tellement longtemps que tu ne m’as même pas reconnu, et pourtant je t’ai parlé plusieurs fois. Je t’ai vu, tu as grandi, tu as guéri, tu es heureux, et j’en suis ravi. Mais ce qui m’attriste, c’est que tu n’aies même pas pensé à retourner voir ta famille. Avons-nous fait quelque chose de mal pour que nous boudes autant ? Tu aurais pu nous écrire au moins, pour nous parler de ta santé, je te rappelle que c’est pour cela que tu es parti. Pas un mot, pas une lettre. J’avais foi en toi et tu m’as largement déçu. Essaies de te faire pardonner. » Ce n’était pas Magalie. Cette lettre était anonyme. Elle me fendit le cœur et je pleurai amèrement, tel un Rimbaud fugueur mais triste. Mes larmes salées me noyaient dans l’océan du désespoir infini et l’abyme profond. Ma famille me manquait. Je savais que j’avais eu tort. Je m’en voulais. Elle m’avait fait confiance et je leur avais menti, comme le plus ignoble des fils. Quel imbécile étais-je ! Je commençai à tomber amoureux d’une charmante femme comme moi et j’oubliai ma famille. Deux ans que je l’avais quitté, deux ans que je l’avais oublié. Mon cher père, toujours blagueur, rieur, le sourire ouvert, la bouteille de vin dans une main et le saucisson dans l’autre. Ma jolie mère, radieuse et priante, son chapelet au cou, son livre de recette sous les yeux et son four à ses pieds. Ma sœur, angélique, studieuse, son stylo dans une main et son bouquin dans l’autre, son sac sur le dos et son rire si amusant. Mon frère cadet, naïf, ignorant encore les secrets de la vie, son violon sur son épaule, son archet entre ses doigts fins. Ah, tout cela me manquait. Mon cabot, tout petit, tout sauvage, qui courait dans tous les sens pour aller chercher quelque chose que j’avais caché dans mon dos, qui aboyer si harmonieusement. Tout ce monde-là. Je leur manquais, ils me manquaient. Et puis Magalie à qui j’avais promis de faire quelque chose pour l’aider avant son départ !! Magalie que j’aimais maintenant sans douter, que je voulais à mes côtés pour l’écouter et lui parler. Magalie qui j’espère m’aimait ! Je ne savais plus quoi faire. Je pleurais abondamment comme un garçon désobéissant ayant reçu une calotte. J’étais désobéissant, vraiment désobéissant. Fallait-il choisir la famille ou l’amour ? Pouvais-je attendre deux jours avant de retourner au logis, deux jours avec Magalie ? Pouvais-je revenir avec Magalie au bras ? Serait-ce cela se faire pardonner ? Quelque chose me revint à l’esprit : mes parents m’avaient parlé récemment et je ne les avais pas reconnus. M’avaient-ils interpellé ? Avait-on réellement discuté ? Mes larmes devenaient si grosses que mes yeux succombèrent à leur masse et se fermèrent. Quand ils se rouvrir, je décidai de rentrer à mon appartement de souris. J’avais envie que le chat me poursuive et m’aide à trouver une solution à ces tragiques questions. Le dilemme face au quel je faisais face me fit peur. Je ne fis rien de ma journée, je ne dormis pas de la nuit, pensant et repensant aux bons moments passés en famille. Il y avait ce repas de famille, un dimanche de printemps. Je ne sais pas pourquoi ce souvenir me vint en premier en tête, mais je m’en souvenais parfaitement, comme une leçon apprise par cœur. Nous déjeunions dehors car il faisait beau et chaud. Maman avait cuisiné du poulet, et je ne sais pas pourquoi, mais quand nous mangions du poulet c’était toujours avec des pommes de terres cuites au four. Autour de la table, que papa célébrait, nous étions disposés logiquement ainsi : ma sœur et moi d’un côté, parce que nous étions les plus âgés, et ma mère et mon petit frère de l’autre, car il ne savait à peine découper sa volaille correctement. L’ambiance était conviviale et familiale, comme d’habitude, et après avoir fait le bénédicité de ma mère, nous pûmes commencer à manger. C’était délicieux. Autour de nous les oiseaux chantaient, les fleurs s’ouvraient. Mon père m’avait expliqué ceci : « Tu sais pourquoi les fleurs s’ouvrent le matin ? C’est pour entendre le chant des oiseaux ! Et tu sais pourquoi elles perdent leurs pétales à l’automne ? Parce que les oiseaux sont partis elles pleurent ! ». C’est sans doute lui qui m’avait donné goût pour la poésie. J’ai gardé cette image longtemps dans ma tête car elle est parfaitement ce qui représente la poésie : la nature vue autrement. Mon frère disait à maman : « J’ai enfin réussi le passage avec les trois croches et les dièses ! » et maman le félicitait, comme pour moi, par une caresse tendre et délicate. Ce déjeuner reflétait à merveilles les caractères de ma famille qui me manquait encore plus. Puis je repensais au concert de violon de mon frère au Conservatoire de Paris, des recettes de ma mère et la tarte de ma grand-mère. Je repensais à la fois où ma sœur avait reçu son diplôme d’étudiante. Je repensais au jour enfin où toute ma famille était venu voir la pièce de théâtre de mon école, et mon second rôle, alors que j’avais six ans. Ils m’avaient tous applaudis… tous ! J’étais tout souriant dans mon costume de vieux monsieur ridé, si ridé que je ne pouvais plus sourire. Mes yeux pétillaient de joie. Maintenant mes rides étaient parties mais mon sourire aussi. Ils étaient tous fiers de moi… tous ! Et moi je n’étais pas aimable avec eux… vilain petit garçon ! J’avais honte en revoyant tous ces souvenirs défiler devant moi. J’avais honte et j’étais triste… Mais je repensais aussi aux bons moments passés avec Magalie. Les souvenirs familiaux et amicaux se mêlaient, et j’eus l’impression qu’ils ne formaient qu’un groupe. Magalie faisait-elle partie de ma famille ? Et le poète ? Je détestais ces moments de mélancolie, ce sentiment amer qui brûle le cœur. Je m’endormis tard et je dormis mal. Le lendemain je fus levé tôt. Je décidai de marcher dans le village encore noir et dans la fraîcheur de la nuit. La nature était sombre et insignifiante. Rien ne vivait dans les rues : les cafés étaient déjà fermés, les boutiques n’étaient pas encore ouvertes, les cabarets étaient vides et nettoyés, la journée avait déjà commencé depuis 5 heures, mais les gens dormaient encore. Je longeai le fleuve calme, sans bateaux, sans bruits, sans flots, le fleuve encore mort. Les oiseaux roupillaient et ne ronflaient même pas, le vent ne soufflait plus, les feuilles ne tombaient plus, rien ne faisait plus. Je marchai, mais je ne vivais plus. J’attendis un peu sur un banc pour tenter de penser à autre chose. Rien ne fit. Je rentrai chez moi et je m’endormis, bercé par l’insomnie et le cafard. Quelques heures plus tard, je me réveillai encore une fois, mais le soleil était maintenant haut dans le ciel et les rues grouillaient de monde et de bruit. A ma montre, il était 9 heures. L’heure de rendez-vous au bar avec Magalie ! Je me dépêchai de me préparer et je courus au lieudit. Elle était encore là. Je m’excusai du retard et lui disait que j’avais mal dormi. Elle me plaignit et me demanda : - J’ai eu un doute… à propos de mon problème ! Je ne sais plus quoi penser de la famille. Dois-je trahir ou continuer à obéir ? - Oh ma pauvre, je suis bien malheureux pour te répondre. Figure-toi qu’hier j’ai reçu une lettre de ma famille, qui me grondait car je n’avais rien donné comme nouvelles. La famille est un trésor auquel il faut tenir, j’en suis désormais persuadé. La famille c’est un microcosme de caractères, de débats, de discussions, de rires, de joies, de moments forts… C’est la plus belle chose qui existe sur terre. La preuve en ai que l’on veut en fonder une à notre tour. Comment voyais-tu la famille, toi ? - Je la voyais comme un refuge mais après je la voyais plus comme une contrainte. Je suis perdue entre deux idées : perdue entre le bien et le mal, je ne sais ce qui compte le plus. - Magalie, écoute-moi je t’en supplie ! La famille vaut bien plus que tout l’or du monde. Si elle n’est pas parfaite, c’est elle qui donne vie, avec laquelle on grandit, et l’oublier serait alors renoncer à une partie de la vie, aux moments amusants passés entre vous, aux moments de peines aussi, mais ils font partis de la vie. Ne renonce pas à ta famille, ce serait une grosse erreur, peut-être la plus grosse et la plus grave que tu n’aies jamais faite. - Je t’entends bien. Mais dois-je obéir sans cesse alors que je ne suis pas heureuse ? - Il faut essayer de trouver le juste milieu, le compromis parfait qui satisfait chacun. Je pense qu’il faudrait que tu finisses tes études, car elles sont importantes et tu enrichiras ta culture. Ensuite tu pourras essayer de négocier avec ta famille pour la convaincre que la campagne ne correspond pas à l’image qu’elle renvoie. Si tu parles de poésie, de tes sentiments, de tes ressentis, ils cèderont sans doute à tes propos. Qui sait s’ils n’iront pas vivre à la campagne eux-mêmes ? - Ma famille n’ira jamais vivre à la campagne. Elle pourra m’autoriser à y habiter mais jamais elle ne quittera son pavillon. Comme je suis confuse. Tu m’aides bien, mais mes études durent encore 2 ans. C’est long deux ans, n’est-ce pas ? - Ça passe vite ! La preuve est que ça fait deux ans que je vis ici, et que je n’ai pas vu le temps passer. - Oh Grégoire, comme je t’envie, et comme je te remercie. M’aiderais-tu une dernière fois à écrire une lettre à ma famille ? - Avec joie. Je connais un bon endroit pour trouver l’inspiration. C’est peut-être petit, mais tranquille, calme et silencieux. Suis-moi. 9) Le fruit qui mûrit… Je la menai en fait chez moi, dans mon appartement rue Victor Hugo, dans mon trou de souris, comme j’avais tendance à le dire. Elle dit, en voyant ce logis : - C’est si petit, mais si joli ! - Voici un stylo et une feuille. Viens assieds-toi là. Nous nous assîmes côtes à côtes et nous rédigeâmes la lettre ensemble. Elle me disait son idée, parfois je reformulai, je suggérai, souvent elle approuvait, elle notait. Nous rîmes beaucoup. Elle signa. Nous relûmes ensemble : « Ma chère famille que j’aime tant, Cette formule, je désirerais tellement l’attribuer à la campagne. Vraiment, je m’y sens bien, encore mieux qu’en ville. J’entends les oiseaux chanter… vous savez que ça chante très bien un oiseau ! Avez-vous déjà entendu un oiseau chanter ? Je vois aussi les fleurs s’ouvrir. On dirait qu’elles écoutent le chant des oiseaux : c’est vrai qu’il est charmant. Je vois clairement, sans fumée pour me voiler le paysage, sans pollution pour salir mes poumons ! Je vis au rythme que je veux, je vois le soleil se lever sur les collines vertes, puis bleues, roses, jaunes, rouges, violettes, multicolores quand les fleurs sont épanouies. La campagne, c’est un peu le jardin que nous avons, que vous aimez tant, et que vous ne voulez pas perdre, mais en beaucoup plus grand ! Imaginez-vous un jardin infiniment grand et une maison aussi grande que celle que nous possédons en ville, sans le bruit, sans les vilaines odeurs, sans les usines qui rendent l’atmosphère irrespirable et invisible… N’est-ce donc pas le paradis ? Mais demain je vais devoir vous rejoindre. Demain je retournerai à la vie ennuyante que je connaissais, je reverrais mes vieilles habitudes, mes bons amis, ma chère famille, mais je perdrais tout ce que j’ai acquis à la campagne : la réflexion, la poésie, l’harmonie… tant de si belles choses pour vous inutiles et pour moi essentielles. Vous m’avez si longtemps expliqué qu’il fallait toujours prendre le bon dans chaque chose et l’exploiter, mais je vais tout perdre. Je ne resterais pas rêveuse, frivole, intelligente comme la campagne me le permettait, mais je deviendrais folle, car je ne pourrais m’exprimer à mon aise, car mon aise se trouve là où j’écris cette lettre. Demain je serais la jeune femme à peine mûre, sortie trop tôt et pas assez ouverte. Vous savez, quand on cueille un fruit trop tôt, avant qu’il ne soit entièrement mûr, il n’a pas bon goût, il est généralement trop acide ou trop dur. Et puis sa texture est repoussante, soit par sa couleur, soit par son toucher. La mûre est verte et toute dure par exemple. Avez-vous déjà cueilli des mûres dans la forêt ? Avez-vous déjà trouvé des mûres pas encore mures ? Je me sens comme une mûre n’ayant pas fini sa maturité. Seulement je pense que les ronces sont trop nombreuses et que je ne pourrais pas mûrir comme la nature me l’avait demandé, mais, comme une fleur, je ne m’épanouirais jamais car ma route est détournée. Mais je ne pense pas que vous comprenez ce que je vous raconte, car c’est la campagne. Je vais vous parler en un autre langage : Je me sens en ville comme un rat d’égout, je suis dégouté inutile et je m’engraisse d’études et d’habitudes que je recrache directement sans bien digérer. Mais j’ai espoir. Je sais que vous ne voulez pas me voir comme cela ; j’ai espoir pour que vous ouvriez vos esprits, j’ai espoir et ne me faîtes pas regretter. J’ai rencontré un homme à la campagne, c’est un bon ami. Il est un peu poète et il m’a ouvert l’esprit comme personne ne me l’avait fait jusqu’avant. Il vit à la campagne depuis deux ans et il est heureux, en bonne santé, plus cultivé que vous tous réunis. Je vous jure que la campagne n’est pas l’enfer, c’est le paradis. Le problème est que je suis encore sous votre autorité et que je dois vous obéir. Réjouissez-vous que je ne sois pas rebelle et que je rentre à la maison comme prévu. Je vous embrasse et vous aime, Magalie » La lettre était parfaite. A ce moment j’eus envie d’embrasser Magalie longuement sur ses lèvres pulpeuses, mais une névrose m’en empêcha. Elle l’envoya à la poste et nous allâmes manger car cette lettre mêlée aux fous rires que nous avions eus nous avait creusé l’appétit. Je l’invitai dans un restaurant chic : « Le bon vivant ». Là, elle m’expliqua qu’elle repartait le lendemain matin avec son frère. Elle espérait arriver après la lettre. En un rien de temps, j’en eus conclut qu’il ne me restait pas tellement de temps pour lui dire que je l’aimais, mais suffisamment pour en profiter : je ne devais pas trop traîner. Je payai nos repas, puis je lui proposai de nous promener au parc. Elle me dit qu’elle aurait tant aimé, mais qu’elle devait retrouver son frère dans deux heures. Je compris que j’avais perdu. J’avais perdu une femme de grande qualité, j’avais perdu mon défi, j’avais perdu mon espoir, mais j’avais gagné de l’assurance, j’avais gagné une vocation, j’avais gagné une très bonne amie enfin. Alors, je lui demandai son adresse pour continuer à la joindre par lettre, elle s’empressa de ma la donner et elle ajouta son numéro de téléphone. Puis nous nous séparâmes, et je lui promettais de lui dire au revoir le lendemain. 10) Le départ Je retournai chez moi, triste, mon cœur se mouillait de mes larmes profondes, des larmes que ma chemise ne pouvait plus essuyer, des larmes tranchantes, des lames pour l’âme. Je retournais chez moi donc, alors que la pluie commençait à tomber. La nature se retournait-elle donc contre moi ? Quand je fus à l’abri, une idée me vint à l’esprit et le sourire me revint subitement. La pluie avait cessé de tomber et sans doute la lumière de ma tête fut-elle si grande qu’elle ramena le soleil. Je pris une feuille et j’écrivis : « Ma belle amie Magalie, Je n’ai pas eu le temps de tout te dire, et je ne voulais pas que tu aies trop d’ennuis avec ta famille. C’est pourquoi je t’écris cette lettre. Tout d’abord je voulais te remercier pour tout ce que tu m’as apporté : une amitié, des discussions, des rires, une ouverture d’esprit encore plus large, une affirmation de ma vocation. J’avais déjà entamé le chemin de ma vie et la destination que j’attendais, mais tu as été comme une mère qui insiste et encourage. J’ai découvert grâce à toi combien une famille comptait, et je t’en remercie mille fois. J’ai l’impression que tu m’as aidé à atteindre la fin de ma maturité et je sens enfin que je suis un fruit assez mur pour être cueilli. Cependant j’aimerais que la main qui me cueille ne soit pas celle de n’importe qui. J’aimerais être cueilli par une femme, car ses doigts sont plus agiles et plus doux naturellement. Mais si cette femme a simplement de jolis doigts et un mauvais visage par exemple, je serais bien malheureux de lui amener encore des boutons sur son affreux visage. La femme qui me cueillera, je veux qu’elle soit attirante, qu’elle ait un certain charme qui fasse que je me décroche facilement. Mais si elle n’a rien dans sa tête, pas de raison, ni de culture, ni de bienfaire, ni de manières, comme je regretterais de m’être offert à elle pour son physique. Je veux que la femme qui me cueille soit en plus intelligente, qu’elle connaisse le goût de la culture, qu’elle soit curieuse et raisonnée. A ce moment, si je trouve une femme qui possède ces caractéristiques, je la laisserais me croquer, et m’avaler si j’ai assez bon goût. Je serais fier d’avoir servi l’appétit à une femme comme celle-là. Malheureusement jusque-là aucune femme n’avait tout ce que je demandais. Peut-être étais-je trop exigent ou je ne sais, mais soit elle était trop jolie et pas assez intelligente, soit trop cultivée mais pas assez jolie, soit pas assez jolie et pas assez intelligente… Cependant, il m’a semblé apercevoir récemment une femme qui correspondait à ce modèle. Elle avait le goût pour la lecture et l’étude, goût pour la campagne, goût d’un fruit sucré que l’on aimerait manger et déguster, car l’avaler tout rond serait un gâchis. Cette femme en plus d’être exceptionnelle, m’a totalement séduit, m’a rendu presque aveugle devant les autres personnes, mais m’a ouvert les yeux à l’intérieur. Et cette femme, je peux vous la nommer comme vous êtes une bonne amie, mais ne le dîtes pas encore à tout le monde car elle ne sait pas encore que je l’aime. Cette femme si extraordinaire a un nom qui lui correspond parfaitement. C’est un nom qui suffirait à la décrire, un nom qui signifie quelque chose de rare, de précieux, de naturel, de brillant, que l’on trouve après un effort. Ce nom si charmant dont je vous parle et que vous avez peut-être deviné déjà, ce nom si doux, si beau et si simple à prononcer, ce nom-là seule une personne de qualité pouvait le porter. Cette personne c’est toi, oui mon amie, toi, Magalie ! Tu es la femme qui m’a ouvert tout entier : les yeux, l’esprit, le nez, la bouche, le cœur. Comment faudrait-il te le dire, je ne sais pas, mais je pense que, comme est ton prénom, je vais le dire simplement. Je t’aime (on en peut pas le dire plus simplement et clairement). Je t’aime tellement car nous sommes pareils. Je t’aime comme jamais je n’ai encore aimé quelqu’un. Je t’aime plus que Roméo aimait sa Juliette, Adam aimait son Eve, Tristan aimait son Iseult, Christian aimait sa Roxanne, plus qu’eux tous réunis. Si je devais réunir tout l’amour existant sur cette planète, bien qu’il soit faible chez certaines personnes, j’arriverai peut-être à mon amour pour toi et à celui de ma famille et moi. Seules ces personnes-là d’ailleurs comptent vraiment pour moi, et un ami aussi décédé et bon naturellement. Tu es ma perle rare. Je ne voulais pas te le dire de cette façon mais le destin ne me l’a pas permis autrement, alors je t’écris. Je t’écris mon amour fièrement, dignement, avec honneur et certitude. Mais tu pars déjà et je te perds déjà. J’espère que le destin nous remettra sur le même chemin, pourquoi pas sur la même ronce où nous serons mûrs, sur la même branche où nous serons cueilli. Éloigné de vos yeux, Madame, par des soins Impérieux (j’en prends tous les dieux à témoins), Je languis et je meurs, comme c’est ma coutume En pareil cas, et vais, le cœur plein d’amertume, À travers des soucis où votre ombre me suit, Le jour dans mes pensées, dans mes rêves la nuit, Et la nuit et le jour, adorable Madame ! Si bien qu’enfin, mon corps faisant place à mon âme, Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi, Et qu’alors, et parmi le lamentable émoi Des enlacements vains et des désirs sans nombre, Mon ombre se fondra pour jamais en votre ombre. C’est du Verlaine si tu n’avais pas reconnu ! Ma bonne amie, ma bien-aimée, encore une fois je t’aime, je t’embrasse, Grégoire » Je recopiai au propre ma lettre jusqu’à ce qu’elle me plut. Puis je la pliai et je la glissai dans une enveloppe. Mes mains tremblaient : j’avais peur. L’amour qui me rendrait peut-être heureux me rendait surtout peureux. Demain, je la lui mettrais dans son sac, discrètement et j’espérais qu’elle la découvrirait et qu’elle la lirait. Puis j’attendis bêtement que le lendemain vienne, comme un guetteur attend l’aurore, j’attendais. Je m’endormis tôt, et je dormis si bien que jamais mon lit n’avais dû supporter un poids si léger. Le jour suivant, je fus levé à la bonne heure, prêt et déterminé, pour aller dire au revoir à Magalie. Je vêtis mon plus beau costume, me parfumai généreusement, me coiffai harmonieusement, comme un sculpteur le ferait avec sa statue, comme un poète le ferait avec son poème. Je fus vite près. J’eus le temps d’acheter des fleurs. Je pris les plus odorantes, les plus colorées, les plus attirantes, mais aussi celles que je pensais les plus douées, les plus résistantes. Je me rendis à la gare. Elle était là avec son géant frère et ses bagages à peu près aussi grands. Elle portait une écharpe de plumes… comme celles que j’avais interceptées en plein vol : c’était donc elle qui m’avait envoyé les messages ! Quand j’arrivai, elle me fit un signe de la main. Je lui souris, sûrement niaisement, je ne sais pas, je ne me voyais pas. Elle me demanda si j’avais passé une bonne nuit, je lui répondis que oui. Puis nous commençâmes une discussion sur le voyage, qui fut brève et interrompu par le frère qui n’était pas inspiré et ne cessait de regarder sa montre. Au moment de nous quitter, je ne pus m’empêcher de pleurer. Magalie le remarqua et s’approcha de moi et me sauta au cou. Elle pleurait aussi. Je déposais la lettre dans son sac et elle me dit entre deux sanglots : - Je connais ton adresse, je pourrais te revoir ! … J’ai ton numéro aussi ! Et puis il faut que je finisse mes études. Mais je te promets que je reviendrai. Je t’aime beaucoup tu sais… oui, tu m’as tout appris. Mais son frère la réclama. Alors je lui donnai un baiser sur sa joue, elle me le rendit, et me quitta. Sa silhouette devenait de plus en plus petite et celle de son frère devenait de plus en plus normale, et ma tristesse devenait de plus en plus grande. J’entendis le train partir, je vis la fumée s’échapper de la locomotive. Je faisais un dernier geste d’adieu avec ma main et mon mouchoir. Puis je quittai la gare, lentement, comme avant. Une plume blanche, comme les autres, volait sous mes yeux. Il y avait écrit « Au revoir » dessus, elle était humide, sans doute mouillée de larmes. Tout redevint comme avant. Les bancs redevinrent des bancs, les arbres des arbres… Je croisai le poète sur le bord du fleuve. En voyant ma triste mine, celle du Mal-aimé d’Apollinaire, il s’approcha de moi et me dit : - Ohé ! Ça ne va pas l’ami ? - Elle est … partie !, eussé-je la force de prononcer. - Tu sais, je vais te dire quelque chose. Quand j’avais ton âge, j’étais aussi amoureux d’une femme remarquable. On s’était rencontré en vacances et lorsqu’il avait fallu nous quitter, les adieux avaient été déchirants, presque perçants. J’ai passé une semaine dans ma chambre à m’enfermer et à pleurer. Mais quelques jours après, j’ai reçu une lettre de cette femme qui voulait me revoir. Alors on s’est revu …et on s’est marié. Comme quoi, on ne sait jamais ce qui va nous arriver. Nous vivons ensemble depuis tout ce temps-là, et, crois-moi, je n’ai jamais été aussi heureux. Tu sais, pour moi l’amour c’est comme une baie. Ça a l’air tout chouette, tout bien, magnifique, mais il y a souvent des aspects plus acides, plus disons… difficiles, des disputes. Mais si on est sûr que c’est la bonne baie, alors on la trouvera délicieuse et son acidité sera vite oubliée. En attendant, je vais te donner un conseil : vis ta vie, fais toi ton bonheur. Tu es encore jeune. Ouvres-toi comme les fleurs pour entendre les oiseaux… - … chanter, finissais-je en repensant à mon père. Je mis du temps à comprendre. Le poète versa une larme. Il me dit : - Je disais souvent ça à mon fils pour lui montrer comment on pouvait faire de la poésie. Mais mon fils est parti et il m’a abandonné, et sa famille avec. J’ai essayé de le réveiller avec une lettre, mais je n’ai jamais eu de réponse. A ce moment, alors même qu’un doute trottait dans ma tête, je sautai au cou du poète en criant : - Êtes-vous mon père ? Est-ce possible ? Oh comme je suis heureux et désolé, honteux et coupable. Comment ai-je pu oublier à quel point la famille était si précieuse, encore plus qu’une perle, même rare. Oh papa, pardonne-moi je t’en prie. L’amour m’a recouvert les yeux, la rébellion aussi ! Je me sentais si bien. Où sont les autres ? Comment vont-ils ? Il m’appela miraculeusement son fils, enleva son déguisement et me raconta tout ce qui s’était passé depuis mon départ : - Ton frère a eu son diplôme de violoniste au Conservatoire et il a été admissible à celui de Paris. Il est dans un orchestre et il commence à devenir connu. On le réclame dans la région. Ta sœur a réussi brillamment ses études et elle est dans une école d’infirmière. Ta mère continue son quotidien sans problème, et moi j’ai décidé de t’observer pendant tout ce temps-là ou presque : j’étais sûr que tu viendrais me parler si je faisais le poète !!! J’ai eu raison. Sinon… Ton grand-père maternel est mort il y a un an et ta grand-mère était furieuse que tu ne sois pas là à l’enterrement. On lui a expliqué et elle nous a dit : « Qu’il aille vivre sa vie, moi je ne viendrais pas à son mariage… s’il se marie, ce qui n’est pas donné ». Voilà, tout se passe bien sinon. J’invitai papa à dormir chez moi, ce qui lui permit de quitter son hôtel. Puis il fit lui aussi ses bagages et retourna à la maison, annonçant mon retour peu après. Je retrouvai le sourire et mes peines s’effacèrent et me quittèrent rapidement. 11) N’ayez pas peur ! Le matin, alors que je marchai dans les rues en bords de fleuve, j’eus soudainement une envie bizarre d’acheter le journal, comme si je voulais voir si Magalie avait vu ma lettre et répondu dans le journal, alors que je passai devant une cabane de presse. Je lis en une : « Attentats terroristes à Paris ». A ces mots, mes yeux s’écarquillèrent, ma bouche se figea, mon corps s’arrêta net. On annonçait au moins 120 morts, 3 lieux d’attaques et de plaisir. Quelle horreur ! Paris saignait. Je me renseignai sur ces attaques terroristes, puis je pris mon carnet et je notai. Enfin, je voulus noter, car les mots ne venaient pas. Et ma famille ? Mes anciens amis ? Cette nouvelle me trotta dans la tête longtemps, puis je décidai d’écrire un texte pour libérer mes pensées du joug de la peur, de l’incompréhension et du choc. Alors, assis à ma table, je pris une feuille, un stylo et j’écrivis : « Ces derniers jours, la barbarie a répondu à l’appel de la haine. Ces derniers jours, la France a été victime et innocente. Ces derniers jours, des français et françaises sont morts sauvagement sans ne rien voir ni savoir. Ces derniers jours le cœur des français a été bouleversé, il s’est arrêté de battre un instant puis bat plus vite aujourd’hui, impulsé par la peur. Ces derniers jours, la peur a envahi la France. Cependant mes amis, qui que vous soyez, athées, juifs, chrétiens, musulmans, déistes, bouddhistes ou que sais-je encore, mes frères et sœurs français et françaises, cependant, bien que la France soit touchée, nous sommes encore debout. « N’ayez pas peur ! C’est ce qu’ils veulent. N’ayez pas peur ! Jamais la barbarie n’a vaincu de toute l’Histoire de l’humanité, et ce n’est pas maintenant que cela commencera. N’ayez pas peur ! C’est la seule solution pour vaincre ! « Comme je l’ai dit précédemment, la France est touchée, blessée, genou à terre. Sa devise peu à peu s’efface. Liberté, le premier mot. Liberté souffre. Depuis cette année, la liberté de la presse a été mitraillé, la liberté de plaisir kidnappé. Qui sait si bientôt la liberté de religion ne sera pas aussi poignardée, et le patriotisme visé. Cependant il faut rester libre, il faut garder la même vie que celle que nous avons toujours vécue pour ne pas éteindre la flamme de la bougie « liberté » menacée par la goutte d’eau de la terreur. Egalité, c’est le mot suivant. Egalité qui, à priori, n’a jamais existé. Toujours il y a eu des inégalités, il y en aura toujours car ce mot est un idéal à atteindre. Egalité encore sous le contrôle de l’argent, et donc égalité qui n’est pas libre, ni égale. Fraternité qui ferme la marche. Abandonnées par ses sœurs, elle est la seule qui tienne encore sur ses pieds sanglants et blessés. La fraternité est une flamme qui peu à peu s’éteint. Les français ne se serrent-ils plus la main ? La terreur a créé un amalgame en se prononçant au nom de l’islam. Ainsi les musulmans sont mis à l’écart et accusés sans raison. La dernière fois qu’une religion a été mise à l’écart, c’était avec des juifs, sous Hitler, si vous voulez voir ce que je veux dire. Personne ne souhaite refaire la même expérience ! La fraternité est notre seule arme efficace. N’ayez pas peur des musulmans ! Ils ont été abattus aussi sauvagement que les autres. Nous avons besoin de la fraternité pour survivre. Nous avons besoin de montrer que nous, français, sommes et resterons soudés, main dans la main, quoiqu’il se passe. N’ayez pas peur de vos voisins ! Tendez-leur la main s’ils sont blessés, et même s’ils vont bien. Ainsi la France se relèvera. N’ayez pas peur de tendre la main ! Tendez-la aussi aux Européens, aux Américains, aux Asiatiques, aux Africains, aux Arabes, car tous nous voulons ces valeurs, tous nous voulons la paix, tous nous voulons la sécurité, tous nous voulons la vie. La fraternité guidant le peuple sera le nouveau tableau humain, un tableau vivant, un tableau réel. La France c’est aussi la Révolution, c’est la Résistance, alors ça doit encore être un combat pour nos valeurs. La France est un pays magnifique. N’ayez pas peur d’être français ! » Je levais le stylo, enfin, non par manque de place, mais parce que mon élan d’inspiration s’arrêta, comme mon corps lorsque j’avais appris la nouvelle, subitement. Je relus mon texte. Je me sentais libre en le corrigeant et en me levant, je me sentis léger, comme une plume, comme la plume. Je réalisai que je parlais à « vous » et à « nous », aux français, de façon involontaire. Cependant, je décidai de garder ce texte pour moi et pour l’instant. Je le ferai lire à Magalie quand je la reverrai, si je la revoyais, sinon, je le relirai pour elle. 12) La réponse Quelques jours avaient passé quand j’eus une grande surprise. En ouvrant ma boîte aux lettres, je trouvai une enveloppe écrite manuellement, et je reconnus l’écriture de Magalie. Je m’empressai de l’ouvrir : « Mon cher Grégoire, A peine t’avais-je quitté que le remords m’avait emporté. Quand j’aperçus ta lettre dans mon sac, je fus d’abord étonnée. Je la lus et au fur et à mesure que je lisais, les larmes remontaient. Quand tu m’avouais que tu m’aimais, elles pleurèrent, toutes seules. Je ne sais pas si je ressentis de la joie ou de la haine, mais je tremblais. Alors je décidai de ne rien faire avant mon arrivée chez moi. Mes parents avaient reçu notre lettre et nous discutâmes de la campagne et de cet homme que j’évoquai, cet homme de qualité, toi. Je leur dit qu’il était vraiment exceptionnel et qu’il m’avait tout appris. Alors mes parents me demandèrent si vraiment je préférais la campagne. Je leur dit que oui c’était mon coin de cœur et de bonheur. Ils s’écartèrent pour discuter et ils me permirent de retourner à la campagne quand je voulais. Folle de joie, je les couvrais de baisers. J’allais te revoir. Puis je repensais à ta lettre. Elle était si poétique, si belle, que je la relus toute la nuit. J’ai établis une réponse. Je ne sais pas si elle te conviendra, mais elle fut la plus proche de mon cœur. Après avoir tant réfléchis, après m’être mise dans la peau d’un fruit, je me suis demandé par qui est-ce que j’aimerai être cueilli. La réponse est arrivée directement, et directement ma pensée s’est tournée vers toi. Grégoire, moi aussi je t’aime. Dès le second jour je t’ai aimé, je t’ai pris la main, j’ai posé ma tête sur ton épaule. Grégoire, je t’aime depuis longtemps et j’attendais que tu me le dises. Je suis séduite par l’homme dont je sais qu’il sera le bon. Nous avons les mêmes points de vue, les mêmes centres d’intérêts, tout est fait pour nous rassembler. Le « hasard » n’a-t-il pas bien fait les choses ? En lisant la lettre encore une fois, mes seins se sont dressés, ma bouche a eu le réflexe d’embrasser la feuille. J’ai demandé à mes parents si je pouvais repartir le plus tôt possible, pour te présenter, ils ont acceptés. Je serais là dans deux jours. Je t’aime de tout mon cœur et de tout mon corps, Magalie » Elle m’aimait inévitablement. Ma joie fut si grande que j’eus envie d’ouvrir grand ma fenêtre et de crier : « Elle m’aimait ! Elle m’aime c’est merveilleux !!! ». Mon cœur battait en avant ma tristesse battait en retraite. Je redevenais celui qui était joyeux, tranquille, aimant de la nature. Dans deux jours elle me reverrait et sans doute elle m’embrasserait. Puis on irait chez ses parents, je les verrais aussi, puis on irait chez mes parents, ils la verront aussi. Les deux jours qui suivirent me parurent longs mais j’en profitai pour écrire une lettre à ma famille, annonçant mon retour et une « surprise ». Puis je marchai dans les parcs, je composai des poèmes, à mon père, à ma mère, à ma sœur, à mon frère, à tous ceux que j’aimais. Magalie avait raison : j’étais un poète et je ne devais pas passer à côté de ce privilège. Enfin les deux jours passèrent. Je me revêtis de mon plus beau costume, le même que celui de son départ, et j’achetai des fleurs. Je cuisinai ce que j’aimais cuisiner, les meilleurs plats que je savais faire, je dressai une table face à la fenêtre entrebâillée qui laissait passer le soleil et sa chaleur, et laissait voir la campagne. Enfin, elle arriva. J’entendis la sonnette, et je me mis à trembler. J’ouvris. Elle était resplendissante de grâce et éblouissante de lumière. Sa bouche pulpeuse et bien rouge donnait le contraste avec son teint plus pâle mais somptueux. Ses cheveux étaient sculptés parfaitement, ses yeux ressortaient et ses cils étaient d’un noir qui percutait. A son cou, pendait un collier de perles rouges, comme son prénom ; et sa gorge était nue, laissant ses seins arrondis à moitié couverts par une robe bleue éclatante. Une déesse, un ange, une fée, je ne sais quoi de parfait. Quand elle me vit, elle ne put s’empêcher de sourire. Puis elle rapprocha sa bouche de la mienne, je rapprochai ma bouche de la sienne, si bien que bientôt elles se touchaient. Elles se percutèrent, elles s’emmêlèrent, elles se livrèrent l’une à l’autre, se dévoilèrent, se confièrent des secrets. Magalie plaça ses mains à mon cou, je plaçai mes mains sur ses hanches et ce baiser dura. Il dura longtemps. Il dura encore. Il dura le temps que mes voisins du dessus aient eu le temps de monter et descendre la cage ouverte de l’escalier des dizaines de fois : mes voisins du dessus sont des vieux aigris. Puis il se finit. Mes paupières s’ouvrirent et ma bouche sourit sans effort. Elle entra et je fermai la porte. Elle s’assit à table et je pus servir le repas. J’avais préparé une salade de petites graines d’inspiration, un canard de vers et un petit dessert en prose. Elle les trouva délicieux. Alors elle m’embrassa de nouveau et elle me dit, excitée : - J’ai hâte que mes parents te connaissent ! Je suis sûre qu’ils te trouveront bien. Hein mon amour ? - Oui… oui j’espère aussi !, répondis-je, un peu déconcerté par le surnom qu’elle me donnait. Le lendemain, nous allâmes voir ses parents. Ils habitaient dans la ville, un pavillon très grand, très décoré, que je trouvai certes joli et bien construit, mais superflu aussi, inévitablement. La mère était grande et maigre, le père grand et plus épais, et les 4 enfants, de la même taille, coiffés de la même manière et souriant comme des angelots, étaient alignés et m’attendaient. On me servit le thé dans le petit salon très richement décoré de tableaux, de tapisseries très cossues. Je me sentais loin de mon trou de souris, si loin que j’étais presque mal à l’aise. J’eus le droit à un interrogatoire de chacun. - Que font vos parents ?, demanda le père. - Mon père est médecin à domicile. Il s’occupe surtout des personnes âgées ou handicapés qui ne peuvent pas se déplacer, mais il lui arrive aussi de se déplacer pour des accouchements. Ma mère était bibliothécaire, mais elle a décidé d’arrêter de travailler pour se consacrer entièrement à la famille. - Sont-ils de bons catholiques, et vous ?, demanda la mère. - Ma mère prie le chapelet deux fois par jour et un repas ne peux pas se faire sans bénédicité et grasses. Elle va à la messe tous les dimanches. Mon père a moins de temps mais il fréquente l’église pour les grandes fêtes. Quant à moi, je ne crois pas au superflu. En fait, j’ai réalisé à quel point les gens se basaient sur des idées et non des faits, et je me suis dit que rien n’était sûr. Regardez le paradis, et peut-être comprendrez-vous mon point de vue. Le paradis est décrit comme un lieu parfait, où les bons morts vont, et où l’harmonie règne. Mais connaissez-vous un mort qui soit redescendu du paradis et qui vous ai dit que c’était génial ? Connaissez-vous plus simplement qui soit au paradis ? C’est pour cela que j’ai rejeté l’Eglise. Mais je suis baptisé, je peux communier et je suis confirmé, sans aucun doute. - Est-ce que vous avez étudié dans une grande école ?, me questionna le frère. - A quoi bon faire des grandes écoles si c’est pour s’ennuyer et perdre trois ans de sa vie ? J’ai fait des études pour pouvoir faire ce qui me semblait juste de faire, ce qui me ressemblait. J’ai appris à rédiger, à raisonner, à penser logiquement, et cela me satisfait grandement. J’ai aussi absorbé un océan de culture et je suis un homme heureux. Blaise Pascal n’a pas eu de grandes écoles ; il se contentait des cours de son père… voyez ce qu’il est devenu ! Je n’ai même pas appris ça en cours, mais dans l’introduction d’un livre. S’il est bien fait, un livre vaut largement un cours d’université. - Êtes-vous superstitieux ? demanda une fille. Cette question me parut bizarre, mais je répondis : - Pardon? Si je suis… superstitieux ? Non, non et non. Prenez par exemple l’attrape rêve. Certains pensent qu’il est indispensable pour bien dormir. Je pense moi, que ceci n’est qu’un coup de commerce. Sans vouloir vexer les superstitieux, je trouve que le meilleur attrape-rêve est un appareil photo. En effet, il capture la réalité en une image et il en fait par moments un rêve… La nature est belle, si belle que parfois on reste devant elle. Il faut voir la vie qui se passe comme elle est sous nos yeux, mais il faut la voir avec le cœur, c’est bien mieux. Les questions se succédaient sur tous les sujets, ma famille, ma personne, mes goûts, mes angoisses, mes points de vue sur des questions sociétales, et j’y répondais avec une sincérité parfaite. Mais quelles questions inutiles me posaient-ils ? La preuve de leur inutilité était que toutes ces questions, Magalie ne me les avaient pas posées. Je les voyais rire à certaines de mes réponses, l’ambiance se décontractait peu à peu et quand il fut temps pour moi de repartir, madame me fit la bise, monsieur me serra la main, et Magalie, en cachette, m’embrassa. Mais au moment de nous séparer, madame me dit : - Vous êtes un homme de grande qualité monsieur ! J’ai rarement vu quelqu’un aussi fier de ses opinions, et aussi cultivé que vous l’êtes. Pour être sincère, j’aurais bien voulu épouser un homme comme vous, mais à mon époque de jeunesse, il n’en existait ! Malgré le regard angoissé et vexé du père, je lui répondis flatteusement : - Et c’est avec joie madame, que j’aurais accepté de prendre la main d’une dame aussi raffinée que vous ! Je pensais que les femmes comme moi n’existaient plus depuis Mathusalem, mais lorsque j’ai découvert votre adorable fille, je me suis dit qu’une perle aussi rare ne devait pas se perdre. Elle sourit et rougit devant mes beaux mots, et je partis glorieusement, emportant avec moi ma fierté imprégnée dans tout mon corps, dans une main les gâteaux de madame et un stylo et de l’encre de monsieur pour, dit-il, continuer à écrire mes poèmes, et dans l’autre bras, Magalie. Ils me dirent que je revenais quand je voulais en chœur. Je leur promis de les revoir. Quand nous fûmes éloignés, Magalie m’embrassa longuement et presque sauvagement et elle me murmura : - Parfait ! Tu as été parfait !!! Mais aurais-tu vraiment épousé ma mère si tu avais pu ? - Si elle avait eu mon âge, qu’elle avait été célibataire, et que tu n’étais pas encore née, bien sûr que j’aurais pu. C’est une dame aussi distinguée que toi … avant que je te rencontre bien sûr ! Elle semblait satisfaite de ma réponse et pour plaisanter, ne cessa pas de m’appeler « papa » jusqu’à l’hôtel on nous dormirions cette nuit, avant d’aller voir mes parents le jour d’après. L’hôtel était très accueillant, et nous pûmes avoir une chambre charmante, assez petite comme je les aimais, pour la nuit. Dehors, un paysage fabuleux se dessinait à mes yeux : un lac, le seul élément de nature que j’avais vu depuis que j’avais quitté la maison des parents de Magalie. J’observai ce lac, et je récitai ce poème bien connu : - Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde ! Je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? Nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. Tout à coup des accents inconnus à la terre Du rivage charmé frappèrent les échos ; Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère Laissa tomber ces mots : " Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours ! " Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux ; Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ; Oubliez les heureux. " Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'échappe et fuit ; Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore Va dissiper la nuit. " Aimons donc, aimons donc ! De l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ; Il coule, et nous passons ! " Magalie m’avait écouté réciter, et elle avait eu le temps de se déshabiller. Elle était encore plus charmante nue, encore plus attirante que dans sa robe pourtant moulante. Devant ce chef-d’œuvre d’une étrange beauté qui se dressait devant moi, la Vénus impeccable de Botticelli, mes sens ne se contrôlèrent plus et je me jetai sur cette femme, comme un lion se jetterait sur une gazelle pour la manger. Je mangeai le goût laiteux de ses têtons, je détruisis sa forêt de cheveux, j’embrassai sa bouche en sucre, je caressai sa peau de vermeille je nous enroulai dans des nuages de draps blancs et purs, le tout sous un clair de lune mielleux. C’était un rêve éveillé. 13) Retrouvailles Après une nuit agitée puis calme, comme la mer après sa tempête, nous partîmes de l’hôtel et nous prîmes le premier train qui allait vers chez ma famille. Pendant le trajet, nous restâmes calmes et gentils, mais en nous bouillonnait encore cette gourmandise de cette nuit. Je regardais pour penser à autre chose, le paysage qui défilait sous mes yeux. Après l’ignoble ville, je retrouvais des champs où paîtraient des vaches : des génisses magnifiques, je revis les coquelicots ouverts vers le soleil, je revis les pâquerettes, je revis l’herbe verte. Je revis la campagne que j’avais quittée depuis un jour, et bientôt le train arriva dans la ville. Depuis que je l’avais quitté, elle avait bigrement changé. Sur les toits des immeubles, des arbres avaient poussés, des fleurs de toutes couleurs recouvraient les allées entre les routes où les voitures roulaient à une vitesse hallucinante, et ne profitaient pas de leur vue rare dans ce milieu. La ville engloutissait-elle la campagne ou bien les citadins voyaient-ils enfin en la campagne un coin calme et beau ? Mais le goût et l’odeur exécrable et amère de la ville revinrent vite à l’esprit. Cependant, le calme était étouffant, et le pavillon de mon enfance se dressait comme je le connaissais. Je sonnais, et je demandais à Magalie de se cacher un instant, car elle était une surprise. Elle rit et se cacha quelques mètres plus bas. J’attendis, et une jeune femme m’ouvrit, jolie et gracieuse. Qui était-ce donc ? Ma mère était plus vieille que cela, ma femme de ménage qui logeait encore chez nous également. Alors la jeune femme me dit en souriant : - Bonjour Grégoire, quel plaisir de te revoir enfin ! Tu ne peux pas imaginer comment c’est dur de vivre tant de temps sans son grand frère ! -Angélique !!, répondis-je, quelle surprise ! Ça alors, ma sœur ! Comme elle était belle ! Ses boutons avaient fuis, sa peau s’était réparée, sa poitrine avait gonflée et ses formes s’étaient amincies. Je lui sautai au cou en la couvrant de baisers. Puis mon père arriva et me serra la main. Il ne put se permettre de me faire une accolade et de lâcher une larme d’émotion. Mon jeune frère Coquebin vint aussi. En revanche, sa peau de bébé était devenue granuleuse et boutonneuse. Sa voix était désagréable à entendre, mais il m’avait presque rattrapé en hauteur. Sa tête d’angelot persistait encore, comme si elle ne pouvait changer. Enfin, ma tendre mère accourut. Elle n’avait pas perdu un seul cheveu brun, et elle pleurait déjà. Elle me sauta au cou et m’embrassa généreusement. Ses larmes de joie coulaient mais ne mouillait pas, séchées par la chaleur de mon corps, chauffé par le bonheur. Comme je fus heureux de tous les revoir, en vrai, en face de moi. Alors, je leur dit : - Tout d’abord je tenais à m’excuser pour mon attitude, le fait de vous avoir oublié pendant tout ce temps… mais j’ai toujours tenu mes promesses, et, comme j’avais promis de vous revoir, je vous avais aussi promis une surprise. Je l’ai amené, mais je vous prie de ne pas la secouer dans tous les sens, elle est fragile et précieuse. Patientez un instant, je reviens. Je cherchai Magalie qui s’était si bien caché, que j’eus du mal à la retrouver. Enfin je la vis et je lui fis signe de venir. Elle s’avança, stressée. Je la rassurai par un baiser. Puis je lui pris la main et je l’amenai devant ma famille. Ma mère, qui avait séchée ses larmes avec son mouchoir, en voyant cette divine femme, fondit en larmes de nouveau. Mon père, qui savait plus que les autres, se contenta de me faire un clin d’œil et un sourire. Je compris ce qu’il voulut me dire : « c’est bien gamin, je suis fier de toi ! ». Ma sœur regarda Magalie comme un canon de beauté, et je la comprenais. Elle envoyait des boulets dans le cœur si bien qu’on craquait sous son charme. Mon frère n’en revenait pas non plus. Pour la présenter, je leur dit, une fois que nous fûmes assis dans le salon, ce que maintenant je vois comme une parabole : - Dans un champ, un fermier a planté un pommier. Quand la saison est bonne, les pommes qui se sentent mûres tombent, et le pommier va les ramasser. Mais une pomme, qui ne se sent pas tout-à-fait prête, attend et reste accroché à la branche, en hauteur. Elle veut être sûre de tomber à point. Cependant, le fermier ne la voit pas, et il l’oublit, la pomme est mise de côté. Mais elle ne se presse pas, elle attend le bon moment. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que sur cet arbre-là, elle va pourrir. Mais un jour, un autre fermier vient rendre visite à son ami. Il voit la pomme et lui dit : « Mais regarde-là, elle va pourrir, tu devrais la cueillir et la mettre autre part ». Sur les bons conseils de son ami, le fermier la cueille et met ses pépins dans une terre un peu plus loin. La pomme au bout de quelques temps donne un arbre à pommes juteuses, sucrées, bien colorées. Voilà, cette histoire n’est pas là pour faire joli et pour combler le merveilleux silence. Ceci est une façon de vous montrer comment Magalie et moi avons fait connaissance. Magalie me sourit, elle avait compris. Ma mère me dit : - Mon fils, mon amour, Mon dieu, comment as-tu changé ? Tu es métamorphosé. Tu es devenu mûr, comme la pomme de ton arbre. Tu es poète ? Comment as-tu changé si vite ? Je leur racontais ma vie, depuis mon départ jusqu’à mon retour. Ils écoutaient, parfois ils riaient, pleuraient, se taisaient. Je parlais, ils écoutaient. - Peu après mon départ, j’arrivai dans un village qui me séduisit en un clin d’œil. Tout était magnifique. Il fallait que je trouve un toit. Je me rendis dans une agence et on me proposa un petit appartement de 20 mètres cube. Il me convint parfaitement, bien que je dû m’habituer à un si petit habitat, mais je m’y sentais si bien, c’était si agréable. Je me demande encore comment ce grain de folie était vendu si petit. Peut-être que les vendeurs vendent à la taille et non au confort. Tant mieux pour moi. J’achetai à une brocante des meubles en bois ravissants et j’aménageai mon nouveau chez-moi. Il me plut. Il fallait que je trouve comment gagner ma vie. Alors je déposai des lettres de motivation un peu partout, si bien que je finis par trouver un emploi dans un restaurant, en tant que serveur. C’est là que j’appris quelques recettes délicieuses. Je mangeai là-bas et je gagnai largement de quoi vivre aisément. Un jour je rencontrai un homme rare, un philosophe sans doute. Je discutai avec lui et une amitié se lia entre nous. Il me donna goût pour la pensée et la poésie. Mais il dû partir pour des raisons familiales. Alors je commençais à me métamorphoser en un autre homme, plus juste, plus logique. Quel bonheur je vécu. Je vivais bien, mais un jour je fus licencié du restaurant, rongé par la crise. Alors je cherchai un autre emploi, mais personne ne voulut de moi. Donc l’argent commença à me manquer. Je rencontrai un vieil homme sage mais malade. Je lui rendais service de temps en temps, quand il en avait besoin, et il me donnait de l’argent. Je gagnai ainsi de quoi vivre. Il m’arrivait de traîner chez lui, non pas pour gagner plus d’argent comme un voleur, mais pour discuter avec lui. J’en apprenais toujours un peu plus sur lui. Il avait eu une vie tumultueuse. J’appris qu’il était veuf et sans enfant depuis la mort de son fils il y a 15 ans. Il vint un jour où il mourut. Mais alors que j’allai lui rendre visite, on m’apprit la triste nouvelle et un homme de justice m’annonça que le vieil homme me léguait son héritage. Il m’avait écrit un mot « merci pour tous tes services, prends mes biens et fais-en bon usage. Il possédait une petite fortune agréable, et de nombreuses œuvres d’art. Je fus ravi, mais triste pour cet homme si gentil. Je décidai de retranscrire nos discussions dans un livre. Personne ne voulut le publier, et je compris que la vie d’écrivain n’était pas évidente. Depuis ce moment, il ne s’est pas passé d’autre chose d’intéressant, j’ai enchaîné les maisons d’éditions pendant des journées entières jusqu’à la rencontre de Magalie. Puis les rires que je n’avais plus entendus depuis si longtemps revinrent à l’oreille et je passai un des meilleurs moments de ma vie. Magalie osait aussi parler, et elle répondait aux questions stupides auxquelles j’avais dues répondre. L’après-midi se passa très bien et le soir, je dormis dans ma chambre, ma si chouette chambre, avec encore les choses que j’avais laissées, au même endroit précis, et pourtant elle reniflait le propre, le bon. Je restai une semaine chez mes parents. J’entendis de nouveau le violon de mon frère chanter, les blagues de mon père, les mots doux de ma mère, les leçons de ma sœur, et je pus goûter au bonheur et aux recettes de ma mère. Un jour, je proposai même de faire le repas, et on le trouva bon, mais un peu trop cuit. Mon père sortit son grand jeu d’humour et me dit : ‘’ Ton repas est un peu trop… Cui Cui, comme les oiseaux qui chantent !’’. Malgré le niveau assez bas de la blague, je ris franchement, bizarrement. Ce fut une semaine de retrouvailles qui me disait de ne plus jamais quitter ma famille ou mes proches. Puis il fut temps pour moi de rentrer dans mon village, qui commençait tout de même à me manquer. Quelques années passèrent, calmes et durant lesquelles je gagnai en sagesse, alors que Magalie finissait ses études gentiment. Lorsque celles-ci furent achevées et qu’elle eut son diplôme, il nous fut permis de vivre ensemble. Je déménageai dans l’habitat de mon vieil ami décédé, une petite maison forte sympathique sur deux niveaux, qui plut beaucoup à Magalie. Nous vivions ensemble comme deux aimants indissociables et inséparables. Partout où elle allait, j’allais. Mais chacun vivait sa vie, à son rythme, et chacun était content. De temps en temps, j’allais chez ma famille, ou chez ma belle-famille. Un jour où nous étions chez nous, à table, au déjeuner, je me levai. J’avais décidé de faire une surprise à Magalie. Je dis, une fois le silence présent : - Magalie… voici maintenant presque 3 ans que nous sommes inséparables ! Alors, avec le courage et poussé par mon cœur qui palpite, j’aimerai te poser cette question : Veux-tu me supporter encore et encore, officiellement ? Veux-tu m’épouser ? Elle faillit s’étouffer et fondre en larmes. Elle répondit en séchant ses yeux humides : -Oh Grégoire ! Oui ! Oui, je voudrais bien ! C’est alors que nous décidâmes de nous marier, un jour d’été. 14) Le mariage Mes parents avaient décidés d’inviter tous leurs amis, oncles, tantes, cousins, neveux, nièces, et ce fut pareil pour mes beaux-parents. Les préparatifs commencèrent de chaque côté et le jour dit arriva. Je revis ma vieille tante Agathe, veuve depuis sa naissance presque, mais très sensible et gentille, et ses fils jumeaux Thomas et André. Je revis aussi mon oncle Paul, toujours aussi petit et penseur fou qu’avant. Je revis mon oncle Gilles, presque encore un bouclier humain par sa carrure et toujours autant déterminé à aller jusqu’au bout de ses choix. Il y avait ma grand-mère, qui avait promis de ne pas venir. Elle me dit qu’elle voulait me revoir. Il y avait mes cousins, mes cousines, et j’eus le plaisir de faire connaissance avec la famille de Magalie. Je le n’avais pas encore vu aujourd’hui, mais cela ne tarda pas puisque la cérémonie allait commencer d’ici peu. En effet, elle arriva du ciel, comme un ange battant des ailes, dans sa robe blanche et son voile emportant ses cheveux dans l’élan. Son père se tenait à son bras, tel un chevalier servant et sa dame. Derrière le cortège, quelques enfants suivaient portant des fleurs et le voile de la mariée. Le maire était coiffé et vêtu de son costume de mariage, et Magalie prit place à mes côtés. Je lui souris, elle fit de même. Le maire fit son discours habituel, mais ma préoccupation se portait sur la Beauté à l’état pur qui se tenait à ma droite. Le visage radieux, gracieux, taillé au millimètre près, ne manquait pas de charme. Ses yeux bleus, et le regard perçant fixaient le maire qui parlait, et parfois ses paupières se rabaissaient, ainsi ses cils bien noirs et bien longs, s’allongeaient sur son visage poudré. Son nez respirait régulièrement, comme une musique classique en rythme. Ses oreilles étaient découvertes et ornées de boucles d’oreilles simples, qui formaient des notes de musiques. Sa bouche pulpeuse et rouge remuait de temps en temps et semblait gonfler de temps à autre, comme un cœur qui bat. Sa gorge était recouverte d’un collier sobre mais brillant, où au bout d’une chaine sans doute en or et argent, pendait une perle. Elle ne balançait pas, restant sans cesse en équilibre parfait entre le dièse et le bémol. Le tissu de sa robe blanche semblait faire un bruit mélodieux à chaque mouvement, un froissement inhabituel, un son divin, et ses pieds collés à la clé du sol, ne bougeaient pas, mais ses chaussures étincelaient. Son corps entier s’illuminait, et son cœur, le soleil de ce corps, s’allumait d’une vive chaleur et se consumait, réchauffant tous les cœurs tristes, ranimant tous les objets morts, rallumant les lustres dont la lumière ne se diffusait plus. Moi je regardais ce bijou de beauté, cette somptuosité, cette illustre chef d’œuvre unique et rare, et je rêvais. Si bien que le long cérémonial rébarbatif du maire me passa par-dessus l’épaule et je l’oubliai. Fort heureusement, au moment où je devais être acteur, mes pensées s’évadèrent par les fenêtres aux rideaux de velours rouges, et je revins à la réalité. Le maire, tout souriant, demanda : - Madame Magalie Dumoulin, voulez-vous épouser monsieur Grégoire de Plérin ? - Oui, répondit-elle dans un éclat de sourire et de dent. - Monsieur Grégoire de Plérin, voulez-vous épouser madame Magalie Dumoulin ? Les mots m’échappaient, une larme coula le long de ma joue, sans raison autre que l’émotion, et j’ouvris la bouche, je prononçai un mot mais le son manqua. Alors, je dis plus fort le même mot, mais je n’entendis rien. La foule commençait à s’inquiéter, certains pâlissaient, d’autres suaient, je bouillonnais de rage. Alors, je le répétais encore plus fort, et là j’entendis un bruit, un beau son, un son venu en carrosse en or et pierreries précieuses tiré par des chevaux capés de bleu et de rouge, ce mot si royal, je le redis plus calmement : - Oui, bien sûr ! Je souris, Magalie aussi, le maire aussi, et la foule entraînée retrouva sa splendeur, ses couleurs et ses lumières. Ce « oui » sortit de ma bouche était aussi un « oui » à la poésie, un « oui » à l’amour, un « oui » à la campagne, un « oui » à ma famille. Le maire conclut : - Vous êtes ainsi mari et femme ! Il applaudit et tout le monde le suivit. Je prit le bras que Magalie m’avait tendu, fait de chair charnue et douce et recouvert d’un tissu en dentelle, voilé, flou. Ainsi, sous les applaudissements de la foule, et sous les hourrah et les confettis qui volaient encore avant de caresser le parquet ciré, nous marchions bras dessus bras dessous, resplendissants de joie, de bonheur, de jeunesse, de fierté, de tendresse, d’émotion, de vivacité, de comble. Rien ne pourrait nous arrêter désormais, pas même les frontières, ni le désespoir, ni le temps, ni le Jugement dernier s’il y en a un. Rien ! Dans la foulée, ma famille et belle-famille avait insisté pour qu’une célébration religieuse ait lieu, nous nous rendions dans une église très simple, petite mais agréable, où le prêtre nous béni. Le reste de la fête se passait dans une grande salle largement décorée. Les gens mangeaient, discutaient, dansaient, riaient, se souvenaient, les enfants couraient, jouaient gaiement. Vraiment peu de fois autant de gaieté se réunissait en un si petit endroit. L’humeur rendait l’atmosphère si agréable et si tendre, comme paradisiaque, si le paradis était le lieu parfait et harmonieux évidemment. Ma belle-mère vint me voir et me dit, à part : - Tu es si beau aujourd’hui ! Tu sais, je suis si contente pour ma fille ! Heureusement qu’elle t’a rencontré, parce que sinon elle ne se serait pas épanouie et sa vie aurait été gâchée. Quel poète tu es ! Tu m’impressionnes ! Tu as déjà essayé de publier, n’est-ce pas ? - Oui, mais personne n’a voulu m’éditer. - Il y a une tante éditrice ici, je te la présenterai si tu veux ! En attendant, dansons, si tu veux bien ! Elle me prit à la taille et enchaînait les pas de danse. Elle souriait. Je la fis tourner, valser, sauter, car elle dansait merveilleusement bien. Pendant au moins 5 minutes, nous dansâmes parmi les danseurs, Magalie et son oncle Antoine je crois, ma sœur et un cousin de ma femme, tout le monde s’y mit bientôt. Puis, lorsque j’eus un peu de temps libre, je sortis pour m’aérer et marcher un peu, seul, comme j’aimais. Je m’éloignais de la musique et du buffet pour me rapprocher de mes pensées. Je marchai dans l’herbe fraîche et mouillée. Puis je m’assis sur un banc en pierre et je plongeai dans ma personne. Ma vie défilait, comme elle défile sur un lit de mort. Je la revoyais dans les détails et je me dis qu’elle était parfaite, comme je l’avais désirée. En rentrant, après environ 10 minutes de réflexion et de calme, je vis ma vieille tante lubrique qui discutait avec un cousin de Magalie, un peu plus jeune que moi. Je vis le soleil briller une dernière fois avant de s’endormir dans sa couette orangée, rosée, noire, bercé par le doux et saint bruit de la nuit. Avant de pénétrer totalement de nouveau dans la salle je fis le tour. Je vis ma sœur qui tenait la main d’un garçon un peu plus grand qu’elle. Souriant, je me cachai tout en les suivant discrètement. Ils s’assirent sur un banc, assez loin pour ne pas être vu, mais pas suffisamment pour que je ne les entendisse pas, et ils s’embrassèrent amoureusement, presque sauvagement. Je souris devant leur amour si rapide. Puis je retrouvai les autres sous le chapiteau bruyant. Magalie me sauta au cou et me demanda où j’étais, je lui expliquai tout et elle m’embrassa passionnément. Puis elle me prit par la main et nous dansâmes encore une fois, corps à corps, poitrine à poitrine, cœur à cœur, amour à amour. Petit à petit, les invités partirent où allèrent se coucher. A minuit, mon père avait préparé une surprise. Un feu d’artifice éclata au-dessus du petit lac du domaine. C’était ravissant, les couleurs se mélangeaient, et faisaient ainsi de nouvelles couleurs qui n’avaient jamais existées auparavant. Je rêvais presque. La musique bougeait encore, les bouteilles se vidaient encore, les gens commençaient à tituber, à rire bruyamment, à parler pour ne rien dire, à dire pour ne pas parler, certains s’endormirent, d’autres couraient dans tous les sens, dans tous les sens ils couraient, ainsi l’alcool les faisaient chavirer et les noyait dans l’abus. Alors que je ramenai des plats vides à la cuisine, dans la maison silencieuse, j’entendis du bruit à l’étage. Ma curiosité me fit monter. Derrière une porte, des rires sortaient. Je m’accroupis et plaçai mon œil devant la serrure. Je vis ma sœur et son nouvel ami couchés sur un lit. Ma sœur se déshabillait. Elle était magnifique, presque elfique. Ses jambes fines et harmonieuses et sa poitrine bien ronde et attirante faisait d’elle une beauté sexuelle et sensuelle. Elle plongea sur le lit et s’enfouit sous une mer de draps, qui tempêtèrent. Elle avait un beau prénom pour une belle personne : Angélique. Je redescendis en riant, et je retournai sous le chapiteau. De plus en plus de gens allaient se coucher, une heure allait sonner au clocher de l’église. Les gens raisonnables ou résistants discutaient entre eux, dansaient même pour les plus courageux. J’aperçus ma belle-mère avec une dame vieille ridée et laide. Elle m’appela et me présenta la tante Mélanie. Elle n’était pas charmante, contrairement à ce que son prénom aurait pu révéler, mais elle était curieuse et on voyait qu’elle cherchait à plaire aux autres. Ma belle-mère me dit : - C’est elle l’éditrice dont je t’ai parlé. - Bonsoir madame ! Que je suis content de vous voir ! J’ai écrit un livre relatant des discussions que j’ai eu avec un vieil ami qui est décédé maintenant. J’allais lui rendre des services en échange d’un peu d’argent, et nous aimions bien discuter ensemble, de tout, de rien. A sa mort, j’ai appris qu’il me léguait tous ses biens. Alors pour lui rendre hommage, j’ai voulu lui écrire un livre. - Intéressant beau garçon ! Comment s’intitule ce livre ? - « Discussions du samedi matin ». - As-tu ce bijou sur toi? - Oui, dans les bagages. A chaque fois que je le prends, je repense à cet homme doux et sobre, mais bon vivant, interprète de la vie qui se présente à ses yeux. Je lui amenai le livre que j’avais imprimé. Je lui donnai, elle le saisit, dit qu’elle le lirait, le rangea dans ses affaires, me promit de le proposer à son patron, et me tenait au courant. Elle me sourit et me dit qu’elle allait se coucher je la quittai. La soirée prit fin et les derniers allaient se coucher dans le château que nous avions réservé pour l’occasion, un château en pierres avec deux tours, quatre-vingt chambres, un salon immense, un château de conte de fée, un château de mots et de vers, de cartes qui tomberait bientôt en ruines, un château béni. Il était presque deux heures. La nuit fut formidable, agitée et nous nous racontâmes toutes les nouvelles que nous avions apprises sur les uns et sur les autres, et aussi sur elle et moi. Puis le sommeil nous emporta et les rêves avec lui. J’étais marié à une femme splendide en physique et en intelligence, issue d’une famille aussi précieuse et polie, comme une pierre rare. Ma vie allait parfaitement bien, et elle se proposait bien à moi. J’étais sans doute l’homme le plus heureux de la planète à ce moment-là. 15) Une vie nouvelle : Un mois après le mariage s’était écoulé. Un jour ma femme merveilleuse m’annonça qu’elle avait trouvé un travail. Elle allait devenir actrice, parce qu’elle trouvait cela très beau, poétique, car il fallait changer de visage et prendre des tons différents, comme un poète et son poème. Je fus fou de joie pour elle. Elle allait devenir connue, comme sa vie l’avait promis, elle serait une star, et une étoile dans mon cœur. Elle me donna même envie de travailler. Etant donné que depuis longtemps le cinéma et la poésie m’avaient tendu la main, je décidai de commencer ma carrière de scénariste. J’écrivais des histoires avec elle, avec des collègues, avec des réalisateurs, avec mon inspiration aussi. N’est-ce pas cela la vie : faire ce que l’on veut faire, avec qui on veut le faire, quand on veut le faire ? Magalie dénicha mon carnet et trouva mes propos sur la France blessée, elle les lut et me conseilla de les montrer à un journal ou à une radio. Me voyant sceptique, elle se lança dans l’affaire à ma place et mon article fut radiodiffusé au lendemain d’une nouvelle attaque. Mon livre fut enfin publié par la tante Mélanie. J’en fis lire un bout à Magalie, mon moment préféré : « Je finissais de passer le dernier coup de râteau, je ramassai les dernières feuilles de son jardin d’automne, et l’herbe redevint libre, verte, fraîche, coupée courte. Puis je rangeai mes ustensiles et je rentrai dans la maison de mon ami. Il me demanda si j’avais fini et si je voulais boire. Au bout d’un moment, je lui demandai : - Avez-vous été marié ? - Oui il y a longtemps. J’avais une femme remarquable. Elle s’appelait Ange. C’est un joli prénom, n’est-ce pas ? - Oui, ravissant ! - Nous nous étions rencontré à la guerre. J’étais caporal à l’époque, et je dirigé le 18ème bataillon d’infanterie légère. Quand nous allâmes au front, je fus blessé. Ange était l’infirmière qui me prit en charge. Elle était belle ! Je restai une semaine sur le lit des blessés, puis elle me guéri. Je retournai au front. Mon général me retrouva enfin. Mais il mourut d’une balle et je dus le remplacer. Je fus de nouveau blessé et envoyé à l’infirmerie. De nouveau, je vis Ange me masser, me guérir, me panser. Elle était toujours aussi charmante. Puis la guerre prit fin et je la ramenai à mes parents. Nous nous mariâmes en été. Mais deux ans après, elle mourut d’un cancer du sein. J’avais alors un fils. - Quelle horreur ! Mais… c’est une belle histoire d’amour en tout cas. - Tous les ans j’allais sur sa tombe. Elle m’avait sauvé deux fois et moi je n’avais rien pu faire pour la sauver. Quel malheur ! Puis, cinq ans après, mon fils mourut en parachute. Je vivais seul, et ça jusqu’à aujourd’hui, conclut-il en souriant tout de même une larme au coin de l’œil gauche. - Comme ça me fais plaisir de parler avec vous ! J’aime ce genre de discussion, et puis vous n’êtes plus tout seul ! Je peux vous rendre visite quand vous le voulez, je suis là. Je vais vous laisser, je pense que je vous ai rappelé trop de souvenirs pour aujourd’hui. Au revoir monsieur. - Merci mon gars… allez, à plus tard ! Ainsi, je venais pour lui rendre un service et nous discutâmes des heures entières. Parfois même, je restai la journée entière. Ainsi, le samedi devint ma journée préférée. » Elle referma le livre. Elle m’embrassa amoureusement et me dit : - Tu es formidable mon petit chat ! Enfin, je devins même réalisateur de films. N’est-ce-pas une forme de poésie que de devenir réalisateur ? Une forme de poésie visuelle, concrète, une forme de poésie que l’on comprend vraiment ? Je rédigeai enfin « le Manifeste du cinéma nouveau », qui fus diffusé un jour à la radio. La journaliste avait annoncé : « Appel pour sauver le septième art »… Je trouvai le titre assez bien, et pour une fois, j’étais d’accord avec les journalistes ! « Un jeune homme encore peu connu a lancé un appel aux cinéastes du monde entier, pour sauver selon lui le septième art en danger. Il a rédigé ce qui pourrait être le Manifeste d’un cinéma moderne. Ses propos touchent droit au cœur. Cet homme s’est lancé récemment dans le cinéma, grâce à sa femme, l’actrice Magalie de Plérin. Ecoutez ceci avec le cœur. » avait-elle introduit avant de me laisser la parole : ‘’Pour un nouveau cinéma : Quand le cinéma est devenu un art, le septième à recevoir ce titre d’honneur, il était digne de cela. C’était un art qui, par un habile agencement, une parfaite pensée, réunissait les six autres arts en une seule œuvre. On appela cela un film. A cette époque donc, il méritait bien son badge « art » auquel on aurait dû ajouter un « s ». Ah, la belle époque ! Personne n’aurait pu penser que le cinéma, malgré lui, se dégraderait autant un jour. Et pourtant, ce jour arriva. Le cinéaste oublia dans son film, un des arts indispensables. L’architecture et la sculpture restèrent dans l’ingénieux décor, la peinture offrait des tableaux somptueux dans les plans de caméras inédits, la musique donna encore le rythme et l’atmosphère de l’action et le théâtre fut encore l’indispensable grand frère du cinéma. Où passa donc la poésie ? Cet art si sublime, offrant le rêve et le voyage avait-il disparu ? L’avait-on rejeté ? La douce poésie de Chaplin, la danse des petits pains, la scène du globe, tant d'autres scènes encore, Max Linder et sa scène du miroir, Buster Keaton, Pasolini et son cinéma de poésie, Cocteau, Prévert, poètes et cinéastes, et tous les autres… Oubliés ! En réfléchissant bien, on pourrait se dire que des trois genres littéraires elle est la plus difficile à adapter. Est-ce là une raison pour la mettre de côté ? Le cinéaste moderne est un fainéant qui croit que l’amour remplace la poésie ! Cela n’a rien à voir. Le cinéaste moderne doit se lancer des défis, sinon l’art est trop simple et n’avance pas, donc la modernité n’est plus rien. Le cinéaste moderne doit se lever de son siège et doit apporter les rêves jusqu’au lit. Le cinéaste moderne doit faire parler son cœur, il doit ressentir et frémir ce qu’il fait. Il est là indifférent. Il doit ouvrir son cœur et celui des autres. Le cinéaste moderne doit être un poète. Un bon film doit être un poème par moment. Ce n’est pas un hasard si le cinéma et la poésie sont voisins chez les arts. Modernité et poésie ne sont pas antithétiques. Parmi la violence, parmi l’amour, parmi l’aventure, ne négligez pas la poésie. Alors, vos films seront très bons. Le cinéma a ce pouvoir étrange de faire évoluer la société. Il a le pouvoir de toucher droit au cœur des gens, de leur remuer l’âme et de leur faire découvrir un autre visage d’eux-mêmes. Imaginez un monde fait uniquement de violence, comme dans vos films. Maintenant, imaginez un monde plein de poésie, d’harmonie, mélangé à de l’action, de l’aventure, des émotions, car il en faut aussi bien sûr, un monde équilibré. Oui, en équilibre, car l’échelle des arts sera réparée, et plus aucun barreau ne menacera de casser et de tout faire chuter. Imaginez-vous cela ? Maintenant, dîtes-vous que vous seul avez ce pouvoir et qu’il vous suffit de l’utiliser convenablement pour redonner au cinéma le cœur qu’il avait perdu. Car même avec des jambes dodues, des bras musclés, un buste robuste, des mains agiles, une tête bien faite, des yeux formidables, un nez senteur, une bouche charnue, des oreilles à l’écoute et un cerveau hors-du-commun, sans cœur, un corps ne vit pas et meure. Ensemble, faisons revivre ce qui nous tient à cœur : faisons un cinéma nouveau, faisons de nouveau un cinéma complet. Un cinéma… le Cinéma avec un fière majuscule. Relevez-vous le défi ? Donnons ensemble vie au cinéma, en commençant par lui donner un nom : le cinéma du cœur. ‘’ Grégoire de Plérin » *** Je marchais dans le parc tranquillement bercé par le roucoulement des oiseaux qui chantaient pour leurs oiselles, bercé par la douce musique du vent qui remuait les herbes et les fleurs en harmonie, bercé par la fraîcheur du temps et le bruit de la nuit. Je marchais comme souvent, pour me rafraîchir le corps et les idées, pour dégourdir mes jambes et ma pensée trop crispée par une dure journée de travail. C’est dans ces moments-là que je m’évadais au plus profond de ma pensée, et que quelque fois des idées absurdes parvenaient à mon cerveau, et que les syllogismes fusaient à toute vitesse, sans raison, sans maîtrise. Donc je marchais, à une allure maîtrisée, ni trop rapide, pour ne pas gâcher ce moment de bonheur, ni trop lente, pour ne pas en abuser… Je marchais comme jamais avant je n’avais eu l’occasion de marcher, sûrement, assurément, fièrement, certainement, plus rien ne m’arrêterais, ni les troncs d’arbres, ni les tempêtes de vent, ni les ouragans. Chacun de mes pas m’encrait encore plus dans cette terre que j’aimais davantage à chaque pas. Si ma vie devait être une leçon, je dirais simplement que la meilleure chose qu’il soit au monde, soit de vivre sa vie, celle qu’on voulait vivre, assumer ses choix, oser la rencontre et battre la timidité, discuter, débattre et apprendre de ses expériences… Rabelais disait : « Fais ce que voudras. » … mais fais le bien ! FIN !




Envoyé: 11:29 Fri, 13 January 2017 par: de Thoury Benoît